mercredi 28 octobre 2020

La fronde

 Les Québécois ne sont pas, finalement, des as de la solidarité. Il est peut-être temps de l’admettre. La fronde annoncée par des propriétaires de gymnases — ils menacent de rouvrir leurs portes d’ici jeudi — nous fournit encore un exemple de cette tendance à ruer dans les brancards. « On veut des chiffres vérifiés », dit le porte-parole Steve Dubé, ajoutant qu’il n’y a pas de preuves de propagation de virus dans leurs établissements.

Si on peut se poser des questions sur la sagesse de la manœuvre, les propriétaires de gym ont quand même raison de se poser des questions sur la stratégie gouvernementale. On est nombreux à se poser (discrètement) les mêmes questions. Il est évident que le gouvernement ne fournit ni suffisamment de données ni même suffisamment d’explications pour justifier ses variations sur le thème du confinement. Cette menace de désobéissance civile, de la part non pas de fieffés complotistes mais de simples commerçants, démontre que la méthode de confinement n’est pas viable à long terme.

Le besoin de mieux cibler les mesures sanitaires est précisément ce qui a motivé la récente Déclaration de Great Barrington, le manifeste de trois scientifiques inquiets pour la suite des choses. « Conserver les politiques actuelles de confinement […] causera des dégâts irréparables », disent-ils. Bien sûr, tout ce qui se réclame de l’économie d’abord, de la liberté à gogo ou du grand n’importe quoi — du gouvernement américain à Éric Duhaime, en passant par les conspirationnistes — se sont empressés de se draper dans cette déclaration pour justifier leurs propres positions. De là à condamner la réflexion proposée par les trois spécialistes comme étant elle aussi dangereuse et « sans éthique », il n’y a qu’un pas qui a vite été franchi.

Seulement, la Déclaration de Great Barrington, tout comme l’approche suédoise, dont elle s’inspire d’ailleurs, est tout sauf immorale. Il ne s’agit pas de « lâcher tout le monde lousse », comme on a pu lire, mais de protéger au maximum les plus vulnérables, les 60 ans et plus, en incitant le reste de la population à l’autodiscipline : distanciation sociale, lavage de mains et port du masque au besoin. Cette stratégie est basée sur l’aspect le plus troublant du virus : sa capacité d’être « 1000 fois plus mortel » pour les personnes âgées que pour les plus jeunes. Il s’agit presque de deux maladies distinctes tellement elle est sans merci chez les personnes fragilisées et relativement bénigne chez les bien portants (à quelques exceptions près, bien entendu). Il faut donc deux stratégies distinctes, disent ces trois experts, en fonction de deux situations différentes.

Le modèle de « protection ciblée » ici proposé n’est évidemment pas sans failles. Comment faire pour protéger les plus vieux tout en laissant les autres vivre plus ou moins normalement ? Le manifeste est plutôt avare de détails, c’est vrai, mais, si j’en parle, c’est surtout pour souligner l’esprit derrière cette approche, un esprit à la fois plus stratégique et plus holistique.

La santé publique, d’abord, est une préoccupation globale qui se décline à plusieurs niveaux, rappellent les trois épidémiologistes. Or, le combat mené actuellement contre la COVID a des effets désastreux sur d’autres questions de santé : moins de vaccinations chez les enfants, plus de maladies cardio-vasculaires, moins de dépistages de cancers, plus de suicides et de dépression. On ne peut pas continuer à ignorer ces problèmes encore longtemps. Ensuite, la méthode du confinement est bonne pour les bien nantis, ceux et celles qui peuvent travailler tranquillement de la maison (ou du chalet), mais pour les plus défavorisés ? L’exposition au danger à l’heure actuelle n’est pas du tout équitablement répartie. De plus, dans les pays du tiers-monde, des milliers risquent la famine à cause des ravages de la pandémie.

On dénote ici un souci de justice sociale et de bien-être collectif — pas seulement celui que procurent le travail mais aussi le théâtre, le cinéma et, oui, le gym. Une façon de concevoir le monde. On note aussi une préoccupation de la nature humaine. En Suède, par exemple, « on est conscient que d’en demander trop risque de décourager les gens et, donc, de propager plutôt que de contenir le virus ». On coupe souvent la poire en deux — proposant des quarantaines écourtées, par exemple — tout en maintenant un système rigoureux de dépistage et de recherche de contacts. Il y a à la fois la reconnaissance d’un problème inédit et le besoin de ne pas tout sacrifier sur son passage. Un souci tatillon de maintenir un certain équilibre.

Au Québec, on sent aussi la recherche de cet équilibre mais plus maladroitement, si l’on peut dire. Il n’y a pas ici une vision bien définie de ce qui devrait être le bien commun recherché. On est trop souvent à la remorque de la « courbe » et du court terme. Ne sentant pas une direction sûre, comment se surprendre que les Québécois, contrairement aux Suédois, n’aient pas entièrement confiance et, par conséquent, sont moins prompts à suivre les règles ?

fpelletier@ledevoir.com

Sur Twitter :@fpelletier1

mercredi 21 octobre 2020

La liberté d'enseigner

 Samuel Paty est un héros. Le professeur d’histoire et de géographie d’une petite ville du nord-ouest de la France est mort décapité, vendredi dernier, après avoir montré des caricatures de Mahomet, celles-là mêmes qui avaient causé un bain de sang dans les locaux de Charlie Hebdo en janvier 2015.

Il n’est pas un héros pour avoir fait un pied de nez, à son tour, aux dogmes islamistes. Bien que plusieurs le voient ainsi, le geste de ce professeur de lycée ne se limite pas à de la simple provocation. L’homme de 47 ans a fait bien mieux. Samuel Paty — qui donnait « envie d’apprendre », dit-on — voulait amener ses élèves à réfléchir à la liberté d’expression. « Situation dilemme : être Charlie ou ne pas être Charlie », écrira Célia, 13 ans, dans son cahier. Peut-on justifier, en d’autres mots, la publication de caricatures du prophète si elles offusquent plusieurs musulmans ? Où trace-t-on la ligne entre la liberté des uns et le respect des autres ? La leçon tenait à la complexité de vivre en société, à voir la vie démocratique pour ce qu’elle est : un exercice de haute voltige qui ne peut se faire que les yeux grands ouverts.

Conscient qu’il marchait sur des œufs, l’enseignant avait donné le choix aux élèves de sortir de la classe ou alors de tourner le dos au moment de montrer les caricatures tant controversées. Quelques-uns prendront effectivement la porte, accompagnés d’un adulte. La liberté des uns par rapport à la liberté des autres est un jeu délicat et compliqué, et on en avait ici la preuve.

Liberté pédagogique

Alors que la France pleure aujourd’hui un « martyr de la République », il me semble que la leçon de cet assassinat sauvage est moins celle de tenir tête coûte que coûte aux fous d’Allah — comme le clament de plus belle les autorités françaises. La leçon est plutôt celle de la nécessaire liberté pédagogique. La liberté de dire et de montrer les choses comme elles sont lorsqu’il s’agit d’expliquer des événements ou des idées, lorsqu’il s’agit, en fait, de se heurter à ce qu’on ne connaît pas encore. Être forcé de sortir du confort de l’indifférence, obligé de se cogner continuellement à ses propres limites, n’est-ce pas là le but de toute éducation ?

Cette leçon s’applique aussi à la dernière controverse dans une institution bien de chez nous : la suspension d’une professeure de l’Université d’Ottawa pour avoir dit le mot « nègre » en classe. C’est la troisième fois en quelques mois qu’on assiste à la mise au ban, non seulement du mot maudit, mais de la personne elle-même, toutes des femmes en l’occurrence, qui aurait osé prononcer le « mot en n ». Dans le dernier cas qui nous occupe, il ne s’agit aucunement d’un possible manque de jugement ou de mauvais choix de vocabulaire. Au contraire. Verushka Lieutenant-Duval utilisait le mot délibérément afin d’expliquer comment un même vocable peut signifier à la fois le jour ou la nuit, l’affection ou le dénigrement, le bien ou le mal. Comme le mot « queer », longtemps une expression méprisante, homophobe, devenu ensuite un badge d’honneur au sein de la communauté LGBTQ, le mot « nègre » comporte lui aussi différentes interprétations, expliquait-elle.

Aurait-il vraiment fallu, comme le prétend le président du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa, Babacar Faye, que la prof ne prononce pas le gros mot ? Qu’elle n’aille pas au bout d’une explication qui valait pourtant le détour ? De la même façon qu’il ne faudrait pas dire « pénis » ou « vagin » devant de jeunes enfants de peur de heurter leurs innocentes oreilles, il y aurait désormais, au sein même de l’université, le lieu par excellence des idées et des débats, des mots impies ou imprononçables ?

Apprendre à penser

L’Université d’Ottawa a vécu plusieurs incidents racistes et on comprend qu’elle sente le besoin de redoubler d’attention à ce sujet. Devant la discrimination en tout genre, raciste, sexiste, homophobe, la majorité des universités se montrent aujourd’hui de plus en plus vigilantes et c’est tant mieux. L’enseignement supérieur a le devoir sacré de préserver l’égalité des chances. Mais il a aussi le devoir, tout aussi sacré, de préserver la liberté pédagogique. Manifestement, ce droit-là, comme le soulignent les 579 signataires d’une lettre dénonçant les cas récents de censure, n’a pas été suffisamment défendu. En érigeant les sensibilités de certains étudiants comme une espèce de mur de Chine — « les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression », dit Jacques Frémont —, le recteur de l’UdeO discrédite la fonction d’enseignant et, surtout, indique que « le client a toujours raison ».

Cette controverse me touche tout particulièrement, étant moi-même professeure d’université depuis peu. Cette tendance à surprotéger le corps étudiant au détriment du corps professoral, à ériger des zones interdites au cœur de l’enseignement, m’inquiète. Ce que l’université fait de mieux, sa mission irremplaçable, bien avant l’accumulation de savoirs, consiste à apprendre à penser. Tout ce qui empêche ce processus est une grave entrave à sa mission.


mercredi 14 octobre 2020

Rebelote

 N’y avait-il vraiment personne d’autre qu’un ancien policier pour remplacer Sylvie D’Amours aux Affaires autochtones ? Cette nomination incongrue indique-t-elle un manque de personnel qualifié sur les bancs caquistes ou alors un autre exemple d’insensibilité vis-à-vis des Autochtones ? On comprend, en tout cas, les associations de femmes autochtones d’être « sous le choc ». Ian Lafrenière a beau être un bon communicateur, un homme avec une poigne redoutable, c’est un peu comme si on nommait le général Custer pour négocier la paix des braves. C’est une claque au visage pour ceux et surtout celles pour qui la police a rarement été un allié.

En juin dernier, des groupes autochtones signaient une lettre ouverte dénonçant le traitement d’une femme crie, en crise, au square Cabot à Montréal. Plutôt que d’envoyer une ambulance, ce sont 17 policiers du SPVM accompagnés d’une « escouade canine » qui ont été dépêchés sur les lieux. « Chaque femme autochtone ayant besoin d’une aide médicale a-t-elle besoin d’un intervenant pour assurer sa sécurité face à la police ? » demandent les signataires, déplorant l‘utilisation fréquente d’une « violence extraordinaire » lors d’interventions policières.

Cette violence a plusieurs visages, nous apprenait l’émission Enquête il y a cinq ans. Le reportage de Josée Dupuis — qui cherchait de prime abord à souligner la disparition de Sindy Ruperthouse, une femme anichinabée disparue depuis 2014 — finira par découvrir un tout autre panier de crabes : les sévices et surtout les abus sexuels subis par les femmes autochtones. « On allait dans un chemin dans le bois et là, ils me demandaient de leur faire une fellation. […] Ils me payaient chacun 200 $. 100 piastres pour le service, 100 piastres pour que je ferme ma gueule », dit l’une d’entre elles. Sans parler des « cures géographiques » qui consistent à laisser le ou la « suspecte » loin de chez elle, en plein hiver très souvent, en la dépouillant de certains de ses vêtements.

À la suite du reportage d’Enquête, huit policiers de la SQ de Val-d’Or, ciblés par les témoignages d’une vingtaine de femmes autochtones, seront suspendus et feront l’objet d’une enquête. Celle-ci est confiée au SPVM, dont Ian Lafrenière est à l’époque le porte-parole. La résistance se fait immédiatement sentir dans les rangs policiers : la moitié des effectifs de la Sûreté du Québec (environ 2500 sur 5000) portent un bracelet en appui à leurs confrères suspendus, y compris lors de leurs interventions auprès de la communauté autochtone. L’intimidation ne s’arrête pas là. Un an plus tard, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), représentant les huit policiers, intentera une poursuite de 2,3 millions de dollars en diffamation contre Radio-Canada, même si aucun policier n’est identifié dans le reportage.

Aucune accusation ne sera d’ailleurs portée contre les policiers ciblés de Val-d’Or, faute de preuves, d’identification notamment. Des 37 dossiers déposés au Directeur des poursuites criminelles et pénales — dont 14 allégations d’abus sexuel, 15 d’usage excessif de la force et 9 allégations de séquestration (cures géographiques) — seulement 2 feront l’objet d’accusations criminelles. Un des deux accusés, un policier de Schefferville, se suicidera peu de temps après. L’autre accusé est un policier autochtone de la Côte-Nord.

La cerise sur le sundae : à défaut d’accusations, les excuses formelles exigées de la SQ par des groupes autochtones ne viendront jamais, excuses que la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, « ne s’est pas engagée à obtenir ». Peu surprenant, alors, que les femmes autochtones ont peur encore aujourd’hui de croiser un policier en uniforme. Elles ont toutes les raisons, plus encore que leurs vis-à-vis masculins, de ne pas se sentir en sécurité.

Il ne s’agit pas ici de diaboliser le nouveau responsable des Affaires autochtones. Ian Lafrenière comprend sans doute mieux les questions impliquant les Premières Nations que l’ancienne titulaire, perpétuellement dépassée par les événements. Mais pour ce qui est de « rebâtir les ponts », comme le somme de le faire le premier ministre, loin de partir avec une longueur d’avance, le député de Vachon a toute une côte à remonter. De plus, son refus, calqué sur celui du premier ministre, de reconnaître le racisme systémique, plombe ses chances de réussite encore davantage. Depuis la mort de Joyce Echaquan, l’humeur a changé. On n’est plus seulement dans une simple bataille de mots autour du terme systémique ; on en est à choisir son camp. Ou on reconnaît l’injure (réelle) faite aux Autochtones, et aux groupes racisés, ou on continue de protéger les sensibilités d’une partie de l’électorat francophone en refusant d’utiliser le terme jugé insultant.

Ou on privilégie l’optique autochtone (pour une fois) ou on continue à privilégier l’optique de la majorité. Faites vos jeux. Le gouvernement semble avoir fait le sien.

mercredi 7 octobre 2020

Le sens de l'innocence

 Je déborde. Je ne parle pas de l’exaspération causée par la montée en flèche de la COVID, passée de moins de 100 cas par jour à plus de 1200 en quelques semaines. Il y a là matière à s’arracher les cheveux, mais on y reviendra. Je parle ici de l’exaspération causée par la mort de Joyce Echaquan.

« Maintenant, on veut que le déni arrête », disait le grand chef attikamek Constant Awashish dimanche dernier. Il parlait du refus systématique du gouvernement de ne pas reconnaître le racisme « systémique » après que ce racisme-là a été amplement démontré, jurons et bousculades à l’appui, à l’hôpital de Joliette, la semaine dernière.

Bien que visiblement secoué par le décès tragique de Mme Echaquan, François Legault, ainsi que sa vice-
première ministre Geneviève Guilbeault, a encore une fois refusé de prononcer le mot qui divise le Québec (plus encore que le port du masque), le mot « systémique ». Curieux, quand même, car M. Legault ne nie pas du tout le racisme comme tel ; il ne nie même pas que le racisme fasse partie d’un système, l’ayant admis du bout des lèvres à quelques reprises déjà. Après sa rencontre avec les chefs autochtones, le premier ministre s’est dit également prêt à présenter des excuses officielles aux Premières Nations. Signe de la reconnaissance d’un grave problème.

Seulement, il tient obstinément, c’est le cas de le dire, à protéger les Québécois de ce qu’il perçoit comme une injure. « Je ne veux pas qu’on se mette à accuser le peuple québécois, disait-il en point de presse, un peuple ouvert qui n’aime pas la discrimination. » M. Legault a même tendance à indemniser son « peuple » devant la catastrophe sanitaire qui nous guette. Face à un des pires bilans, non seulement au Canada mais au monde, la preuve que les Québécois ne sont peut-être pas aussi unis et solidaires que l’on croit, que dit le chef du gouvernement ? « Les Québécois aiment les partys. C’est une bonne chose d’aimer fêter »

Cette idée voulant que les Québécois soient du « bon monde », des gens bien intentionnés et progressistes par-dessus le marché est un thème qui refait surface régulièrement, lors de grandes crises notamment. Le problème n’est donc pas tant une négation de la discrimination ou du racisme en tant que tels, mais plutôt ce besoin obsessif de maintenir intacte la réputation « ensoleillée » (pour emprunter à un autre premier ministre) des Québécois. Bien sûr, il y a du vrai là-dedans : les Québécois sont souvent accueillants et ouverts d’esprit. Bons vivants également. Mais il y a un problème lorsque ce portrait un peu trop bon enfant devient prétexte à ne pas regarder la réalité en face — ce qu’on a pu constater lors du drame de Polytechnique, la crise d’Oka, celle des accommodements raisonnables, de la tuerie à la mosquée de Québec et encore aujourd’hui, face au traitement des Autochtones et peut-être même, ça reste à voir, face à la crise sanitaire.

Ce penchant très québécois de se considérer comme une collectivité innocente, non coupable des grands travers de ce monde, est un legs, à mon humble avis, de la Révolution tranquille. C’est la conséquence psychologique d’avoir une histoire coupée en deux : l’avant-Révolution tranquille, l’âge sombre de l’ignorance, des dogmes religieux et de la pauvreté, et l’après, où tout devient possible. Même si la réalité est un peu plus nuancée, l’impression d’un tout nouveau Québec apparaissant soudainement — une espèce de Naissance de Vénus — est incontournable. L’éducation offerte à tous, les femmes affranchies des maternités à répétition, la mainmise sur la fonction publique, l’accès au monde des affaires, l’ouverture sur le monde… tout ça équivaut à une transformation époustouflante, quasi miraculeuse, qui se produit, comme tous les miracles, en très peu de temps.

Cette transformation post-Révolution tranquille explique en partie cette tendance à dépeindre le Québécois francophone sous les meilleurs auspices. Du fait d’être sortis de la Grande Noirceur, nous nous retrouvons tous grandis. C’est à peu près dans ces termes, d’ailleurs, qu’on présente le Québec chaque fois que le débat sur la laïcité surgit. L’obscurantisme, on a déjà donné. Pas question de revenir en arrière. Le mal est derrière nous ; nous cheminons désormais vers la lumière.

La difficulté d’admettre ses responsabilités, ses torts lorsqu’une crise éclate, une crise qui a comme dénominateur commun la façon qu’on traite les marginalisés, vient du besoin de protéger cette nouvelle identité « améliorée » et, derrière elle, l’histoire même du Québec.

Tout se passe comme si le fait d’avoir été jadis des damnés de la Terre, un peuple qui a souffert mais qui a réussi malgré tout à relever la tête, nous empêchait d’être ceux et celles aujourd’hui qui méprisent ou marginalisent. Nous voyant toujours comme des êtres vulnérables, des victimes de l’Histoire, nous sommes réticents à concéder que nous pouvons aussi par moments être des dominateurs.

Le formidable bond en avant qui a révolutionné le Québec a aussi créé une mythologie qui nous empêche parfois d’avancer.