mercredi 29 janvier 2020

À quoi sert Recyc-Québec?

Tout s’apprend. Sauter en parachute, parler mandarin ou manier une cuillère avec ses orteils, s’il le faut. Pourquoi alors n’a-t-on pas appris, depuis 30 ans qu’on en parle, à recycler nos déchets ? Les derniers chiffres sont franchement désastreux. Au Québec, seulement 52 % du papier, du carton, du verre et du plastique et 27 % des matières organiques sont recyclés, selon le dernier bilan. Et cela, sans savoir très souvent, dans le cas des matières sèches, où et comment elles l’ont été.
C’est pourtant ce qu’il y a de plus simple, non ? Dans le grand livre de tout ce qu’il nous reste à apprendre (ou à désapprendre) pour échapper à la fin du monde, trier les déchets paraît aussi élémentaire que d’apprendre à tirer la chasse d’eau à un enfant. Il s’agit d’y penser, d’abord. Avoir des installations sanitaires capables d’en disposer efficacement, ensuite. Et, finalement, de mettre en place un système pouvant remettre en circulation ce qui est récupérable. Or, tout est déficient à l’heure actuelle : les bonnes habitudes, les installations et, surtout, le recyclage proprement dit. Pourquoi donc ?
Créée en 1990 pour « amener le Québec à réduire, à réutiliser, à recycler et à valoriser les matières résiduelles dans une perspective d’économie circulaire », Recyc-Québec est-elle à la hauteur ? On est en droit de se le demander. Sur son site, l’agence gouvernementale se vante, en vidéo, d’avoir vu naître de « saines habitudes », des « milliers d’emplois » et de « nouveaux débouchés ». Cet optimisme béat jure avec le cynisme ambiant des Québécois, dont la moitié n’a aucunement confiance que ses déchets, même déposés aux endroits appropriés, sont en fait recyclés et dont l’autre n’a jamais humé l’intérieur putride d’un bac brun de sa vie.
Force est de constater que la tâche première de Recyc-Québec, l’éducation, laisse à désirer, malgré les efforts louables de Popa (alias Claude Meunier, porte-parole émérite) pour nous déniaiser. Vous le saviez, vous, que le styromousse n’est pas recyclable ? Je l’ai seulement appris récemment. Où sont les panneaux, les explications qui pourraient facilement nous expliquer les hauts et les bas du recyclage ? Sans le débusquer soi-même sur Internet, s’entend. Et qu’est-ce donc que « l’économie circulaire » ? Ces concepts, toujours un peu rebutants pour le commun des mortels, apparaissent soudainement sur la place publique sans que personne ne sente l’obligation d’expliquer de quoi il s’agit.
Le problème avec la question environnementale, c’est qu’elle repose sur un discours d’initiés, les seuls à véritablement comprendre ce qui se passe et, surtout, à comprendre ce qu’il faut faire. Ne disposant pas de l’information nécessaire, le citoyen moyen ne voit jamais la lumière au bout du tunnel, s’enfonçant toujours davantage dans le désoeuvrement ambiant. L’autre problème, plus grave encore, c’est que les solutions à la question environnementale passent par des entreprises privées, pour qui le profit est le premier motivateur. Ajoutons à ce cocktail douteux des gouvernements trop souvent indolents, soulagés de laisser les « intermédiaires » offrir des solutions à leur place, et, presto, vous avez la situation loufoque que nous connaissons aujourd’hui : des citoyens qui comprennent mal ce qu’il faut faire, des entreprises étrangères qui expédient le travail de recyclage à l’autre bout du monde, ayant beau jeu de faire chanter les gouvernements pour toujours plus d’argent, et ces derniers, toujours hésitants à s’en mêler eux-mêmes.
La fermeture des marchés chinois et indien aux denrées recyclées nous force aujourd’hui à revoir ce système abracadabrant, et c’est tant mieux, car il s’agissait ni plus ni moins d’un système de pelletage en règle. Le citoyen qui s’en remet à la municipalité, qui s’en remet au centre de tri, qui s’en remet au recycleur de son choix, une relation d’affaires qui, elle, « n’est pas supervisée par Recyc-Québec, qui ignore combien de courtiers sont sollicités et où se retrouvent les matières qu’on leur confie ».
Mais la farce a assez duré. La « réforme en profondeur », réclamée par plusieurs intervenants, s’impose plus que jamais. Le gouvernement du Québec doit pouvoir contrôler le processus de recyclage de A à Z, selon des normes établies. Un processus qui n’a de sens que s’il reste confiné au Québec. À l’heure actuelle, plus de la moitié des matières recyclées sont expédiées hors frontières.
On doit finalement donner à Recyc-Québec les moyens de ses ambitions en assouplissant les règles internes. L’agence cumule des surplus financiers depuis des années, une taxe sur les pneus neufs assure le plus gros de ses revenus, mais sans pouvoir le réaffecter ailleurs. Pourtant, des campagnes de sensibilisation font cruellement défaut. L’indifférence est notre pire ennemi. Donnons donc à Recyc-Québec le mandat de s’y attaquer. Ça presse.

mercredi 22 janvier 2020

Mon Prince, un jour viendra...

Et vous, vous logez à quelle enseigne par rapport à la crise « sismique » qui secoue la maison de Windsor? 1-Vous vous en foutez complètement (vous détestez la monarchie). 2- Vous applaudissez la ligne dure vis-à-vis de Harry et Meghan (vous appréciez la persévérance de la Couronne et sa façon de resserrer les rangs). 3- Vous n’avez aucun sentiment particulier envers la royauté, mais vous en avez beaucoup face à ce qu’a pu endurer la pauvre Meghan — et par extension, son prince, Harry. (Vous êtes féministe sur les bords).
Pour ma part, je n’ai aucun atome crochu avec la royauté. La monarchie constitutionnelle qui régit le système parlementaire canadien est à mes yeux absurde, pour une ancienne colonie comme le Canada notamment. Mais je comprends le roc constitutionnel que représente la royauté dans l’histoire de la Grande-Bretagne et aussi le fabuleux spectacle qu’elle offre à ses sujets. J’ai même de l’admiration (merci à la série The Crown) pour la reine Élisabeth II, une femme qui a beaucoup plus de jugement et de coeur que les caricatures d’usage laissent entendre, tout en demeurant, on devine, une conformiste dans l’âme.
Comme le dit l’ex-rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, il est difficile d’avoir l’heure juste en ce qui concerne la famille royale. Non seulement parce que tout ce qu’on sait sur elle nous vient directement de correspondants « royaux », un type de journalisme qui procède par ouï-dire, sans jamais nommer ses sources, mais aussi parce la presse sensationnaliste de droite (Daily Mail et The Sun) cannibalise les agissements de la royauté à qui mieux mieux.
L’exil de Harry et Meghan dans les colonies (si on peut dire), la mise au rancart des deux seuls membres cool de la famille royale, les seuls capables de susciter l’adhésion parmi les plus jeunes, n’aurait pas eu lieu sans la campagne de salissage médiatique sans précédent qu’a vécue l’actrice américaine, Meghan Markle, dès son arrivée au sein de la « Maison ».
« Un jour, on la réprimandait à cause de sa relation avec son père », écrit Catherine Bennett dans The Guardian, « le lendemain, on s’en prenait à ses collants, ses amis, son ventre de femme enceinte, son extravagance, ses employés malmenés, ses photos de baptême, sa méchanceté envers Kate (épouse du prince William). Sans oublier son apparition dans Vogue magazine, son désintérêt pour la reine et l’église le dimanche, ses réceptions cadeaux pour bébé et son contrôle de Harry. Devant un tel barrage, le harcèlement médiatique qu’a connu [la princesse] Diana transpire le respect mutuel ».
La duchesse de Sussex était vue comme une usurpatrice de premier ordre. Une Américaine divorcée, racisée, people, « sans la moindre goutte de sang aristocratique » qui osa importer ses valeurs progressistes au sein de la plus conservatrice des institutions britanniques. « Pire, elle entraîna un des pivots de la monarchie dans son giron. Les jours du prince Harry en uniforme nazi étaient désormais bien derrière lui, écrit Owen Jones du Guardian ».
En fait, au moment même où on découvrait les liens qu’entretenait un autre membre important de la famille royale, le prince Andrew, avec l’homme d’affaires Jeffrey Epstein, condamné pour pédophilie et mort par suicide en prison, la presse britannique en avait plus à dire sur le « vernis à ongles de Meghan » que sur les relations glauques entretenues par le fils de la reine. Bref, le traitement raciste et sexiste réservé à la première femme de couleur au sein de la monarchie est proprement scandaleux. Pas moins de 70 députées britanniques ont d’ailleurs dénoncé l’accueil réservé à la duchesse américaine comme de « vieux réflexes colonialistes ».
À quel point ce traitement méprisant était-il aussi reflété à l’intérieur du palais de Buckingham ?
Cela fait partie du voile entourant les royals et qui n’est pas prêt à être levé de sitôt. De toute façon, vu la campagne éhontée des tabloïds à l’égard de la nouvelle duchesse, quel choix le jeune couple avait-il ? Où il continuait à se piler dessus ou il pilait sur la Couronneen se tirant de là. Harry et Meghan ont heureusement décidé de se tirer de là.
Pour la deuxième fois en moins de 100 ans, un membre éminent de la famille royale a tourné le dos à Buckingham par amour d’une femme — américaine. Si l’abdication d’Edouard VIII en 1936 ne semble guère avoir affaibli la Couronne britannique, malgré la « crise constitutionnelle » de l’heure, que dire, au moment où le long règne d’Élisabeth II tire à sa fin, de cette dernière saga ? La monarchie britannique empruntera-t-elle enfin, à la manière des autres monarchies européennes, une voix moins protocolaire, plus moderne, plus effacée, ou, au contraire, la royauté la plus connue, la plus contestée et la plus guindée de la planète redoublera-t-elle d’efforts pour rester pareille à elle-même ?
Les paris sont ouverts.

LE CO

jeudi 16 janvier 2020

L'allergie à la religion

Histoire vraie : nous sommes au temps d’avant le cours Éthique et culture religieuse (ECR), au moment où, dans un esprit de déconfessionnalisation, beaucoup d’écoles québécoises offraient un cours de morale aux élèves voulant se soustraire aux cours de catéchèse. Un ami à moi avait inscrit son fils en morale et tentait, ce jour-là, de lui expliquer pourquoi. « Tu vois, fiston, on n’est pas très religieux, ta mère et moi. En plus, elle est catholique et moi je suis juif. » « Et moi, de renchérir le petit garçon, je suis moral ? »
Se débarrasser des carcans religieux pour en conserver la substantifique moelle, la conscience éthique, voilà un grand objectif dans lequel le Québec a vraisemblablement beaucoup investi. En ce sens, le cours ECR, instauré en 2008, celui-là même que l’actuel gouvernement voudrait abolir, a marqué un grand bond en avant. D’abord, il signe le véritable aboutissement de la déconfessionnalisation des écoles au Québec. Rappelons que de 1983, au moment de l’introduction des cours de morale, jusqu’en 2005, le gouvernement québécois devait invoquer, tous les cinq ans, la disposition dérogatoire afin de se soustraire à l’article de la Constitution canadienne l’obligeant à instruire ses élèves selon les prescriptions catholiques ou protestantes. 40 ans après la Révolution tranquille, la chose devenait de plus en plus embêtante. Comment se surprendre qu’on ait voulu trouver mieux ?
Rappelons aussi que le Québec a été, avec l’instauration d’ECR, un véritable pionnier dans le domaine. « Nulle part ailleurs en Occident », dit Louis Rousseau, un des universitaires responsables de la création de ce cours, « n’y a-t-il eu un programme voué à la découverte anthropologique des religions ». Et puis, l’initiative arrivait au moment où les accommodements raisonnables commençaient à déchirer le Québec. Un programme qui visait « la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun », qui aspirait à aller au-delà des simples préjugés, en d’autres mots, tombait pile.
Selon l’ex-directeur du Département des sciences des religions de l’UQAM, le programme avait un grand succès parce que les élèves « apprenaient des choses », souvent peu connues, les récits mythiques autochtones, par exemple. La formation des profs d’ECR au secondaire ne laissait pas non plus à désirer. À l’UQAM, on parle d’un bac de quatre ans, dont une année d’étude en éthique, une en histoire des religions, une autre en psychoéducation et finalement, une année de stage. Du solide. Or, qu’adviendra-t-il de ces profs, de leur formation, de toute la vision derrière les cours d’ECR maintenant que le gouvernement Legault a décidé de passer le cours à la moulinette ? Et sur quelles bases justifie-t-on l’élimination de ce cours, au juste ?
« Après plus de 10 ans d’existence, jamais le cours ECR n’a été formellement évalué », soutient Louis Rousseau. Il a essuyé son lot de critiques, ça, oui, mais personne ne peut prétendre connaître les véritables résultats de cette pédagogie à l’heure actuelle. Le programme pouvait certainement être amélioré, le peu de discussion sur l’athéisme était manifestement une lacune, mais de là à foutre tout le volet religion à la poubelle ? Comment ne pas voir là un autre exemple de l’allergie de ce gouvernement à tout ce qui est religieux ? Et pour le remplacer par quoi ? Tout ce qui bouge : du numérique à la sexualité, de l’environnement au juridique, en passant par les relations interpersonnelles et la citoyenneté.
« Quel enseignant peut même envisager de donner un tel cours ? » demandait cette semaine l’ex-président de la CSN, Louis Roy. À partir de quelle formation surtout ? Car c’est tout un fourre-tout qu’on nous propose désormais. On semble vouloir procéder avec cette brochette de sujets à la mode comme on l’a fait avec l’éducation sexuelle. À défaut d’un cours sérieux, cohérent, donné par quelqu’un qui a été formé pour le faire, on risque de s’en tenir à l’improvisation et au saupoudrage.
Mais revenons aux critiques qui ont contribué à discréditer le cours ECR. Le Conseil du statut de la femme a accusé le volet religieux de véhiculer des stéréotypes sexistes. Est-ce à dire qu’il ne faudrait pas enseigner l’esclavage parce que cette période dépeint les Noirs comme des bêtes de somme ? Il faudrait occulter les points sombres de l’évolution humaine plutôt que d’essayer de mieux les comprendre ? Il y a une expresssion pour décrire cette tendance à censurer ce qui nous incommode : cancel culture. Ce n’est pas une avenue recommandée pour l’ouverture d’esprit ni pour la suite du monde.
Et que dire du « projet multiculturaliste caché » que dissimulerait le cours ECR ? Outre l’esprit de paranoïa derrière une telle affirmation (l’ombre pernicieuse de Pierre Elliott Trudeau, tel un Joker maléfique, ne finira-t-elle donc jamais de nous hanter ?), c’est trouver de bien mauvaises excuses pour ne rien faire. La religion fait peur ? Alors, confrontons-la, étudions-la, comprenons-la. Se contenter d’un bras d’honneur n’est pas à la hauteur de la tâche qui nous incombe.

LE COURRIER DES IDÉES

mercredi 8 janvier 2020

L'ordre moral, hier et aujourd'hui

On ne peut condamner Gabriel Matzneff, l’écrivain français accusé de pédophilie, sans condamner l’époque qui a glorifié sa sexualité pédophile. C’est ce que disait essentiellement mon collègue Christian Rioux dans sa dernière chronique. Comment comprendre la curiosité amusée qui a accueilli la séduction de « lycéennes » sans comprendre la permissivité qui régnait à l’époque ? La fameuse « interdiction d’interdire » est parfois allée trop loin, c’est vrai, et il fallait le préciser. Mais de là à voir les années 1960-1970 comme un simple dérapage ou, comme le dit un certain chroniqueur du Journal de Montréal, « l’une des périodes les plus stupides de l’histoire moderne », il y a un pas à ne pas franchir.
Disons, d’abord, que la France était un lieu propice pour une affaire Matzneff. La provocation, l’idée de préconiser ce qui est contraire aux convenances, le plaisir de choquer, est une tradition intellectuelle française de longue date. Le philosophe Alain Finkielkraut n’a pas laissé sa place en déclarant à la télévision récemment : « Je dis aux hommes : "Violez les femmes !" D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs et elle en a marre ».
Deuxio, certains Français adorent choquer sexuellement par-dessus tout. Outre M. Finkelkraut, le Marquis de Sade (1740-1814), Pauline Réage (Histoire d’O, 1954), Virginie Despentes (Baise-Moi, 1995), Catherine Millet (La vie sexuelle de Catherine M., 2002), et jusqu’à Catherine Deneuve qui a tenu, à la suite de dénonciations d’agressions sexuelles en 2018, à défendre le droit des hommes « d’importuner » les femmes. Choquer en réclamant une sexualité « hors normes » est une spécialité française qui n’est pas nécessairement reliée aux années soixante-huitardes. Baisez n’importe qui, n’importe quand, mais baisez. C’est l’impératif culturel d’une certaine France. Demandez-le à Michel Houellebecq. Un jour, quelqu’un nous expliquera pourquoi.
Maintenant, les années du « peace and love », de Marx et des soutiens-gorges flambés étaient-elles si « stupides » ? Il y avait sans doute beaucoup de naïveté derrière la notion de « l’imagination au pouvoir ». Avec le recul, l’amour (« all you need is love ») n’a malheureusement pas suffi à réinventer le monde. Cela dit, jamais le monde n’aura vécu une transformation aussi profonde, menée par si peu de gens, en si peu de temps. Les années 1960-1970 sont en quelque sorte les années lumières des deux derniers siècles, le moment où le conformisme céda le pas à l’esprit critique, le provincialisme à l’ouverture sur le monde, les vieux empires à la décolonisation, la censure à l’ouverture d’esprit, les grossesses forcées à la contraception, la religion aux droits et libertés, l’uniformité à la diversité, Papa a raison à Janette veut savoir, la Grande Noirceur à la Révolution tranquille.
Au Québec, notamment, tout ce qui nous rend si fiers aujourd’hui, la prise en charge de notre destin collectif, le sens de la différence, la valorisation de l’éducation, l’égalité hommes-femmes, tous ces partis pris radicalement différents de ce qui avait défini la Belle Province à venir jusqu’à maintenant, auraient été impossibles sans le bouleversement culturel qui secouait l’Occident à l’époque. On peut bien sûr rouler de la paupière devant les excès des marxistes-léninistes mais ce ferment d’extrême gauche n’est pas non plus étranger à la politisation de la province à grande échelle, à l’ouverture sur le monde et au nationalisme décidément progressiste qui distinguera le Québec. Mais le moins « stupide » dans tout ça ? Le mouvement de libération des femmes.
Les années 1960-1970 visaient un « changement radical » et, parmi tous les courants idéologiques de l’époque — la contre-culture, l’extrême gauche, l’indépendantisme — le féminisme est sans contredit celui qui s’est le mieux acquitté de la tâche. La seule véritable révolution, celle qui a résisté au changement d’époque, concerne la mise en valeur des femmes dans toutes les sphères de la société. C’est un changement énorme, une restructuration non seulement de la famille, mais de la société elle-même, que personne n’oserait qualifier aujourd’hui de stupide, sans risquer de se voir coller la même étiquette.
C’est d’ailleurs grâce au féminisme, et non à un retour aux valeurs traditionnelles, qu’invoquait Christian Rioux dans sa chronique, que la pédophilie a finalement été dénoncée. « L’idée que le crime sexuel est une chose grave est une idée très récente », explique l’historienne française Anne-Claude Ambroise-Rendu. Elle est liée « à la dénonciation de la domination masculine qui se traduit par la domination du corps des femmes et des enfants». En d’autres mots, c’est seulement à partir du moment où on a compris la vulnérabilité sexuelle des femmes vis-à-vis des hommes qu’on a également compris celle des enfants.
Oui, les années 1960-1970 ont connu certains dérapages, mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, voulez-vous ? Ces deux décennies ont servi de fondation à beaucoup de ce qui nous honore aujourd’hui.