jeudi 26 juillet 2012

Léo au pays des merveilles


Admettez que ça surprend. Un jeune de 20 ans, à peine sorti du CÉGEP, qui veut se lancer tout de go en politique. Je sais bien que le mouvement étudiant est un terreau fertile pour la graine de politicien, en particulier péquiste (Claude Charron, Louise Harel, Bernard Landry, François Rebello), mais la politique c'est un peu comme le mariage, non? Vaut mieux vivre un peu sa vie avant d'y faire son lit.

Personnellement, ce n'est pas tant que Léo Bureau-Blouin n'ait pas complété ses études qui me frappe dans cette aventure. C'est que, à ce point séduit par la politique, il soit prêt à compromettre, non seulement ses études et sa vie de jeune adulte, mais aussi ses idéaux. Il existe après tout des partis politiques beaucoup plus proches des idées de M. Bureau-Blouin que ne l'est le PQ. Qu'il s'agisse des droits de scolarité, de l'environnement, de la démocratie directe ou même, de justice sociale, Québec Solidaire et Option Nationale sont davantage dans la cour d'idées auxquelles souscrit LBB.

Si Léo Bureau-Blouin était un grand indépendantiste, bon, à la rigueur. On comprendrait un peu plus le choix du PQ. Mais LBB apparaît comme la grande majorité de sa génération : l'affirmation lui vient naturelle mais "le flag sur le hood", pour reprendre l'expression de Jean Chrétien, n'est pas tellement son truc. Son combat repose bien davantage sur l'affranchissement social et environnemental que purement politique. (Les nombreux jeunes députés québécois NPD font partie du même phénomène). On le voit d'ailleurs dans les raisons qu'il énumère pour justifier son entrée en politique: "un Québec plus juste, plus vert et plus fort sur la scène internationale." On est loin du souverainiste pur et dur.

Pourquoi alors choisir un parti qui ne colle pas tout à fait à ses positions, ni lui, aux siennes? Serait-ce le goût de rouler en cadillac? C'est-à-dire d'être élu le plus tôt possible.

Et c'est là que mon coeur s'inquiète. Il existe une race d'hommes (pour l'instant, c'est exclusivement l'apanage des hommes) qui n'existe que pour la politique. Des mangeurs de politique, si on peut dire, qui, avec le temps, se font eux-mêmes manger par la politique. On pense évidemment à Jean Charest, tombé dedans étant petit, comme d'ailleurs son ex-collègue de corridors à l'Assemblée Nationale, Mario Dumont. Ils sont tous deux des exemples de ce que je veux dire.

A la différence de Léon Bureau-Blouin, Messieurs Charest et Dumont ont complété des études, mais tout en rêvant de faire de la politique. Ils n'ont jamais vraiment fait autre chose (Mario Dumont, même aujourd'hui, ne fait que ça), ni voulu exercer le métier pour lequel ils ont été formés. Pourquoi?  Sans doute pas par besoin pressant de changer le monde. Ou pour influencer les gens par leurs idées. Ce n'est pas le propre d'un jeune conservateur (Jean Charest) ou d'un jeune libéral (Super Mario) de rêver de refaire le monde.

C'est bien davantage la nature du travail ici qui les motivait : le concert d'orteils, comme dirait Parizeau, les pognées de main, les discours, les applaudissements, la représentation constante, en passant par l'ineffable odeur du pouvoir. Ceux qui ont goûté à la politique vous diront qu'il y a là quelque chose d'enivrant.

Léo Bureau-Blouin affiche beaucoup plus d'idéal que ces illustres prédécesseurs. Il y a toutes les raisons de croire qu'il veut contribuer à rehausser le débat, à rendre l'éducation plus accessible, la planète plus verte, l'égalité homme-femme plus réelle. On le lui souhaite; on nous le souhaite. Il fait bon, en plus, de rajeunir les bancs des députés. Mais il y a un je ne sais quoi d'inquiètant, une petite affaire qui dépasse dans son empressement d'être élu. On ne peut s'empêcher de se demander qui, des idéaux de LBB, qui, de la bête politique, auront/aura le dernier mot.

Remarquez, Léo (pour reprendre un titre célèbre) aura 50 ans en l'an 2042. On a le temps de le voir venir.

vendredi 20 juillet 2012

Le manifeste qui fait grincer des dents


Il fallait bien sûr s'attendre à ce que le manifeste de LA CLASSE fasse jaser. Bien qu'à mille lieues du brûlot, le simple fait d'appeler ça un "manifeste" semble raviver chez plusieurs des souvenirs... explosifs? Personne n'a encore évoqué la FLQ, à ce que je sache, mais des images de bombes doivent bien trotter dans la tête de certains. Hier, on apprenait que la police de Montéal a transféré le dossier étudiant au département (tenez vous bien) du crime organisé.

LA CLASSE et le crime organisé, même combat? C'est fort en ketchup, comme d'ailleurs certains commentaires qui ne sont pas passés inaperçus depuis la publication du manifeste. Je retiens les deux plus savoureux: celui de Normand Lester, qui voit du fascisme dans les propos étudiants, et de Louis Fournier qui, lui, parle d'anarchisme. Pour l'un, c'est l'extrême-droite qui sévit, pour l'autre, l'extrême-gauche. Tout un saut, là aussi.

Mais qu'est-ce qui les énerve tous autant?...

Normand Lester, on le sait, aime se crêper le toupet. On se souvient de sa charge à fond de train contre l'électorat québécois suite aux dernières élections fédérales. Des "centaines de milliers de Ti-counes ont voté comme leurs voisins", se plaignait-il, traitant les Québécois de "peuple de suiveux et de moutons complexés".  Le moins qu'on puisse dire c'est que chaque fois que le Québec s'exprime politiquement à gauche, M. Lester est là pour nous asséner un bon coup de savate, quitte à invoquer Mussolini (l'extrême-droite) pour le faire. Cré Normand.

Si les allusions à Mussolini et au fascisme surprennent, l'ex-journaliste du petit écran nous explique d'où vient son inspiration en parlant "des relents de
fémino-fascisme" de LA CLASSE. "Tout le monde sait qu’ici au Québec, nous sommes depuis toujours une société dominée par les bonnes femmes", écrit-il. Il en rajoute en disant que le "gender politics" qui mène les étudiants par le bout du nez a comme mantra:"t’as le choix d’être d’accord avec nous ou de fermer ta gueule".

Voilà donc ce qui énerve tant notre Normand national. Au moment d'écrire ces lignes, un homme quelque part au Colorado vient de tuer 12 personnes assises dans un cinéma, encore un autre, mais ce serait les femmes les vraies fascistes, les femmes qui ont le vrai pouvoir, même si elles ne sont pas aux postes de commande, sauf exception, et que la discrimination salariale persiste comme si de rien n'était. On n'est pas à une contradiction près.

Beaucoup moins incendiaires, les propos de Louis Fournier (http://www.ledevoir.com/societe/education/354773/une-greve-sociale-avec-la-classe) surprennent également, si ce n'est que l'ex-journaliste et syndicaliste est un ami de la gauche, non un adversaire acharné comme Normand Lester. Mais, de la même façon que Lester voit de la graine de fasciste chez les Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde, Louis Fournier, lui, voit des anarchistes, une réincarnation selon lui "du bon vieux marxisme-léninisme, populaire ici à la fin des années 70 et au début des années 80."

Normand Lester est hanté par les "bonnes femmes" alors que Louis Fournier est hanté par les "m-l", et plus précisément par le douloureux souvenir du référendum de 1980 où les m-l votèrent non. Bref, si un homme de gauche comme Louis Fournier s'en prend à la plus vigoureuse expression de gauche à survenir depuis belle lurette, c'est qu'il soupçonne LA CLASSE d'être des "adversaires du nationalisme".  En ce sens, il rejoint un troisième commentaire, celui de Marc Laviolette et Pierre Dubuc du SPQ Libre, accusant LA CLASSE de bouder "la question nationale" (Le Devoir, 19 juillet).

Pour plusieurs, cette "absence" est plus grave encore que l'appel à la désobeissance civile. Comment peut-on passer à côté du "pays", à plus forte raison quand on se nomme "avenir"?...

A mon avis, c'est mal comprendre ce qui se passe actuellement. C'est amener de vieilles préoccupations à une conjoncture totalement nouvelle. Pour reprendre un cliché, nous avons abandonné l'axe fédéralisme-souveraineté pour l'axe gauche-droite. C'est manifeste depuis les dernières élections fédérales et incontournable depuis la crise étudiante.

Comme me disait le metteur en scène et militant Dominic Champagne, un "séparatiste" par ailleurs convaincu, "ce n'est pas le combat pour l'indépendance qui intéresse en ce moment, c'est davantage poser des gestes de souveraineté". Tels la gratuité scolaire, (peu importe ce que font les autres provinces), le rapatriement de nos ressources naturelles, une alliance avec les peuples autochtones, l'égalité homme-femme... précisément ce dont parle LA CLASSE dans son manifeste. 

Il y a plusieurs façon d'envisager la liberté. Le manifeste de LA CLASSE a le mérite de mettre du contenu sur la table, des cibles concrètes, plutôt que de rêver au simple contenant, "le flag sur le hood", comme disait Jean Chrétien.

Les nombreuses critiques parfois insensées de ce texte illustrent bien l'impasse dans laquelle se trouve le Québec, tout comme celle de la souveraineté comme telle.

jeudi 12 juillet 2012

Tweet toujours, mon lapin


Le tweetosphère est en émoi depuis que François Legault a écrit 140 caractères de trop sur les femmes. Du moins est-ce l'opinion de ses nombreux détracteurs pour qui la phrase "les filles attachent moins d'importance au salaire que les gars", tweetée par Legault,  serait sexiste et déplacée.

Déplacée, peut-être. Twitter n'est vraiment pas l'endroit pour s'attaquer à des enjeux sociaux ou des considérations philosophiques. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le chef caquiste commet l'erreur : souvenons-nous de son échange musclé avec la leader étudiante Martine Desjardins sur le financement universitaire, il y a quelques semaines.

Le problème avec ces échanges c'est que les arguments massus font défaut, faute de place. C'est une longue succession de petits coups fourrés. Ça devient très futile, très vite. L'équivalent d'assister à un match de lutte où deux forcenés se garochent l'un sur l'autre sans jamais accomplir autre chose que l'étalage, assez loufoque, de leur propre égo.

Vous comprendrez que je ne suis pas Miss Fan # 1 de Twitter. Il y a beaucoup trop de m'as-tu-vu-tisme sur ce fil d'oiseaux, et François Legault semble être tombé dedans, ou dessus, à pieds joints. Mais sexiste, son commentaire? Pas du tout. C'est une évidence sociologique que les femmes sont (toujours) désavantagées économiquement malgré de grandes enjambées sur le marché du travail. Et ce désavantage n'est pas seulement l'affaire du "système" mais l'affaire des femmes elle-mêmes.

Exemple: les femmes en médecine. Au grand désespoir du président de l'Association des médecins spécialistes, Gaetan Barrette, qui s'en plaint régulièrement,  les femmes médecins, qui forment déjà plus de 50% des effectifs, sont en train de changer la pratique médicale. Elles travaillent moins, exigent des horaires plus flexibles, prennent leurs congés de maternité. Conséquence? Elles gagnent moins d'argent.

Comme dit Anne-Marie Slaughter dans l'article que tout le monde s'arrache, Why Women Still Can't Have it All (Atlantic Monthly), il est impossible pour les femmes aujourd'hui, malgré le discours contraire, de tout avoir, c'est-à-dire tant la vie de famille que la belle carrière dont elles rêvent. Elles doivent faire des compromis puisque le monde du travail, lui, a généralement fait peu de cas de l'arrivée des femmes sur le marché du travail. Ce sont les femmes mères de famille qui ont dû se plier en six pour arriver à tout faire.

Autre exemple: les femmes à Radio-Canada. Ce fut tout un choc, il y a quelques années,  quand une enquête syndicale révéla que les femmes gagnaient moins que leurs vis-à-vis masculins. On parle ici des Céline Galipeau et des Alexandra Szacka, pas seulement des secrétaires de rédaction . Ce n'est pas SRC qui discriminait (à ce point) contre ses employées mais celles-ci qui mettaient la barre moins haute lors de leurs négociations salariales.

Voilà. Les filles accordent non seulement moins d'importance au salaire que les gars (un compliment, dans le fond, dans ce monde éhontément matérialiste), elles accordent malheureusement moins d'importance à elles-mêmes (que le font les gars vis-à-vis eux-mêmes). Tough à dire, impossible à pronocer si on est un aspirant candidat à l'Assemblée nationale, encore plus dur à admettre, particulèrement chez les jeunes femmes, mais néanmoins vrai.

Il n'y a pas d'autre explication au fait que, bien que les garçons décrochent de plus en plus et que les filles réussissent de mieux en mieux à l'école, ils se retrouvent, quelques années plus tard, à égalité sur le marché du travail, voir même dans des proportions inverses: les hommes au sommet et les femmes derrière. Comment expliquer ce décalage professionnel si ce n'est que les femmes ont d'autres considérations que le statut ou le salaire (la famille) et, deux, qu'elles hésitent encore d'exiger les mêmes conditions que les hommes?

On souhaite évidemment que ça change. Des jeunes femmes comme Martine Desjardins et Léa Clermont Dion laissent croire que les jeunes femmes aujourd'hui commencent à avoir la même aisance, assurance, voire le même estime d'elles-mêmes que leurs vis-à-vis masculins. Et c'est tant mieux.

En attendant, avez-vous remarquez comment Twitter est macho, bête et méchant? Des batailles de coqs, comme celle qui attendait François Legault après sa sortie sur les femmes, sont monnaies courantes. A noter que la majorité qui ont tapé sur le politicien pour ses propos soi-disant sexistes étaient des hommes.

Plus ça change...