mercredi 26 août 2015

Anne et le NPD

Alors que cette semaine tous les regards se tournaient vers Mélanie Joly — nommée candidate libérale dans Ahuntsic-Cartierville après des mois de tractations —, il y avait nouvelle plus intéressante encore, celle de la candidature d’Anne Lagacé Dowson dans Papineau.

Anne (je me permets de l’appeler par son prénom, nous avons déjà travaillé ensemble) s’en va-t-en guerre contre le « golden boy » par excellence, Justin Trudeau. Le pugilat s’annonce d’ailleurs assez captivant, non seulement parce qu’il oppose un homme à une femme, mais parce qu’il met en relief le vieux fond de commerce NPD vis-à-vis le Parti libéral allégé et revampé de Justin Trudeau. L’ex-journaliste de CBC ne se considère pas comme un simple « poteau », en passant, mais comme quelqu’un qui a des chances de l’emporter vu l’actuelle force néodémocrate et la difficulté du Parti libéral à se remettre en selle.

Contrairement à la majorité des candidats néodémocrates de 2011 — qui, en plus de ne pas connaître grand-chose à la politique, ne connaissait pas grand-chose, à l’instar des Québécois eux-mêmes, au NPD —, Anne est tombée dedans étant petite. Son arrière-grand-père était un des fermiers ontariens qui ont voulu damer le pion aux banques en créant des coopératives dans les années 30. L’ancêtre du NPD, la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC), est né en 1932 dans la foulée de la grande dépression et sur les ailes d’organisations agricoles, syndicales et communautaires qui tentaient de pallier la situation.

Le « filet de sécurité » qui fait aujourd’hui la fierté des Canadiens — l’assurance maladie, la pension de vieillesse, l’assurance-emploi et même le bien-être social — a été imaginé par la FCC. Réclamant qu’on « subvienne aux besoins humains plutôt que de s’astreindre à faire des profits », nos premiers sociaux-démocrates, fiers socialistes à l’époque, sont alors les seuls à proposer des solutions à la misère ambiante. Dans les années d’après-guerre, le premier ministre William Lyon Mackenzie King récupérera les idées de la FCC, allant jusqu’à en faire les pierres de touche du programme libéral.

Le Manifeste de Regina (1933), le texte fondateur de la FCC, écrit notamment par l’écrivain et avocat montréalais Frank Scott, élaborait d’autres idées qui ont été essentielles au développement du pays : la nationalisation du transport, des communications et de l’électricité. Aussi, l’organisation syndicale, l’élaboration d’un code du travail, la mise en place d’un système bancaire et d’une économie planifiée« non soumise au contrôle d’intérêts privés ». On croyait également que le socialisme devait supplanter le capitalisme, idée qui sera abandonnée en faveur d’une vision keynésienne de l’économie peu de temps avant que la FCC devienne le Nouveau Parti démocratique, en 1961, sous la direction de l’ancien premier ministre de la Saskatchewan, Tommy Douglas. Consacré aujourd’hui « le plus illustre Canadien », Douglas est le seul leader fédéral à s’être opposé aux mesures de guerre en 1970.

Même s’il y a une similarité de situations et de perspectives — la FCC s’opposait également à la conscription durant la Seconde Guerre mondiale — même si le NPD et le Québec étaient faits pour se rencontrer, il a fallu attendre un demi-siècle avant que la séduction opère. Curieux, quand même, que l’endroit le plus étranger au parti de Tommy Douglas et d’Ed Broadbent, le Québec, est également celui qui va le catapulter dans la stratosphère politique. De 1932 à 2008, le FCC/NPD n’a jamais obtenu plus de 15 % du vote populaire, ni aucun siège au Québec. Tout ça change en 2011 grâce à la vague orange québécoise, qui double littéralement les intentions de vote (30,6 %) et permet au parti d’obtenir 59 des 75 sièges de la province. Un petit miracle.

Il y a trois raisons pour ce revirement spectaculaire. D’abord, le nouveau chef, Jack Layton, originaire de la Montérégie, décide qu’il est temps de faire du Québec une priorité. Deuxièmement, il atténue, pour la seconde fois dans l’histoire du parti, les aspects plus radicaux du NPD. On se rapproche de la classe moyenne et de la grande entreprise. Finalement, et c’est la raison la plus décisive, l’opposition fédéraliste-souverainiste cède le pas en faveur d’un axe gauche-droite, résultat inévitable de la révolution conservatrice de Harper couplée à l’effritement de la cause souverainiste au Québec.

Anne Lagacé Dowson est le fruit par excellence de ce NPD renippé, québécisé, mais aussi plus politisé, bien plus capable de mener un débat d’idées qu’en 2011. Souhaitons-lui bonne chance. Le courage, elle l’a déjà.

mercredi 19 août 2015

La caricature des genres

« Appelez-moi Caitlyn », titrait récemment le magazine Vanity Fair sous la photo de la transsexuelle Caitlyn Jenner. La photo de celle que tout le monde appelait jusqu’à récemment Bruce (déjà célèbre pour ses exploits de décathlonien olympique en 1976 et, plus récemment, comme vedette d’une télé-réalité américaine) a fait le tour de monde. Posant en bustier très chic, longue chevelure auburn balayant des épaules dénudées, le regard en coin, elle ressemblait à une starlette des années 40 se moquant des conventions vestimentaires. Caitlyn (alias Bruce) devenait sur-le-champ le porte-étendard de la cause transgenre.

Il y a des sujets qui illustrent mieux que d’autres l’époque dans laquelle on vit — le trou dans la couche d’ozone, la chirurgie à distance —, et la transsexualité est un de ceux-là. Qui aurait pensé, il y a 25 ans, qu’on envisagerait d’ajouter une case « autre » aux formulaires demandant le sexe d’une personne ? La notion selon laquelle l’espèce humaine ne se réduit pas à deux genres imperméables, immuables — féminin ou masculin —, qu’il peut y avoir des variations sur le thème, est un signe de l’évolution de notre espèce. On ne naît pas femme, écrivait Simone de Beauvoir, on le devient. Et personne ne l’aura mieux illustré que Caitlyn Jenner elle-même.

L’identité sexuelle est une chose immensément complexe, que nous commençons seulement à comprendre. On ne peut qu’imaginer les souffrances de ceux et celles qui se sont retrouvés dans « le mauvais corps » toute leur vie. Les suicides sont d’ailleurs là pour en témoigner : environ un tiers des personnes transgenres tentent de s’enlever la vie. Le nombre croissant de chirurgies de réattribution sexuelle est aussi révélateur: au Québec seulement, on compte 108 réassignations sexuelles depuis 2010. Qui envisagerait une transformation aussi radicale, irréversible, sans qu’il s’agisse d’une question de vie ou de mort, un puissant impératif psychologique, moral aussi, puisqu’il s’agit, pour la grande majorité, de cesser de vivre « un mensonge ».

Caitlyn Jenner, elle, n’a pas subi à ce jour la « grande opération » (l’ablation du pénis), mais elle s’est soumise à toutes sortes d’interventions chirurgicales : la trachée « rasée », le nez refait, une opération de dix heures de féminisation du visage, des implants mammaires, l’épilation permanente du poil, en plus de la prise d’hormones. Pas exactement une partie de plaisir chez l’esthéticienne. Au bout de ce calvaire, la nouvelle effigie de la transformation sexuelle avoue s’être exclamée : « Mais que me suis-je donc fait ? »

Je poserais la question différemment : quel effet ce genre de transformation a-t-il sur l’image des femmes en général ? À quoi sert-il, en d’autres mots, de changer de sexe si c’est pour colporter les pires stéréotypes ? Personnellement, j’ai un peu de difficulté à voir un homme de 65 ans soudainement transformé en jeune allumeuse. Pas vous ? Ce n’est pas un aspect qui est beaucoup discuté chez les transgenres, et ce n’est certainement pas le cas de tous, mais pourquoi applaudir à une pareille caricature ? Quand il n’est pas conçu pour faire rire — le cas des drag-queens, par exemple —, il y a toujours quelque chose d’un peu insultant dans le travestisme.

Encore une fois, je ne remets pas en question la possibilité de vivre son identité sexuelle différemment. Mais les personnes concernées semblent ignorer dans quoi elles s’embarquent. La transformation homme vers femme (H/F), plutôt que son contraire (F/H), est trois fois plus fréquente aujourd’hui, notamment parce que la reconstruction génitale d’un vagin est plus facile. Mais aussi, on le devine, parce que l’image glamour de la femme sans cesse véhiculée agit comme une espèce d’appel de la sirène. En même temps, les hommes qui se transforment en femmes sont surpris de ne plus être traités comme avant. « Au travail, on ne me demandait plus mon avis », dit aujourd’hui une transgenre. Bien que la discrimination envers ces derniers puisse être en cause, le traitement souvent inégal réservé aux femmes ne semble jamais avoir été envisagé par les candidats à la réassignation sexuelle. Il serait temps de l’inclure dans l’équation ! Bien qu’il s’agisse d’une décision éminemment personnelle, l’identité sexuelle n’est pas seulement individuelle, elle est aussi collective.

Plus que jamais aujourd’hui, on repousse nos frontières, on tente d’aller « là où aucun homme n’est encore jamais allé ». Mais comme vous le dirait le capitaine Kirk lui-même, il y a un prix à payer à défoncer les étoiles. Il se peut qu’on aille trop loin.

mercredi 12 août 2015

Combines électorales

Comme s’il n’existait pas suffisamment de raisons de se méfier de Stephen Harper, le chef conservateur enfonce encore une fois le bouchon. Non seulement faut-il une invitation aux événements de campagne du PCC, ceux-ci désormais se dérouleront sous la loi du bâillon. Interdiction formelle de divulguer sur les réseaux sociaux où ailleurs le contenu des rencontres, incluant les photos d’événements. Vous devez également vous soumettre à une fouille avant d’entrer. Après tout, même les paranos ont de véritables ennemis. Le parti conservateur dément aujourd’hui que ces mesuresseront mises en vigueur, mais, vérification faite, la clause antidiffusion semble toujours en vigueur pour le rallye conservateur qui doit avoir lieu mercredi à Edmonton.

Cowboy solitaire de la politique canadienne, Stephen Harper ne fait rien comme les autres. Ça crève les yeux cet été alors que la rivalité de ses adversaires libéraux et néodémocrates lui permettrait, disent les sondeurs, de se faufiler entre les deux (ou les trois, si on ajoute le Bloc ou le Parti vert). Si tous ceux qui se disent conservateurs votent pour lui, et que ceux qui veulent du changement s’éparpillent un peu partout ailleurs, la réélection de Stephen Harper semble assurée le 19 octobre prochain. Faut dire que la base électorale conservatrice est la plus fidèle, la moins sujette à flirter avec d’autres partis politiques. Plus que jamais, M. Harper se concentre donc sur les seuls électeurs qui l’intéressent, les conservateurs de sa trempe. Du jamais vu dans la politique canadienne. Ces électeurs-là ne voient pas d’inconvénient à restreindre certains droits fondamentaux au nom de la sécurité, pas plus qu’à se retrouver dans des événements sur invitation seulement.

Comparez maintenant cette approche avec celle que pratique le chef néodémocrate, Thomas Mulcair, dont la popularité inespérée des derniers mois lui a plaqué un sourire permanent au visage. Alors que Stephen Harper n’a d’yeux que pour ceux qui boivent de son eau, M. Mulcair, lui, a les yeux tout le tour de la tête. Déjà, l’idée du double prénom — l’un en anglais (Tom), l’autre en français (Thomas) — indique un certain penchant à vouloir plaire à la galerie. (Plus tirée à quatre épingles pour les francophones au balcon, plus relax pour les anglophones au parterre). Ensuite, l’homme s’est mis à faire la fine bouche devant les questions des journalistes et la participation aux débats. Celui qui a le mieux dénoncé les combines et cachotteries des conservateurs ces dernières années s’est mis à furieusement calculer à son tour. Dans le but, toujours, de ne déplaire à personne et de conserver ses acquis.

Rien n’illustre mieux ce nouveau souci de plaire de la part de M. Mulcair que l’incident Linda McQuaig, la candidate néodémocrate qui s’est fait rabrouer, cette semaine, après s’être exprimée sur les sables bitumineux. Précisons, d’abord, que Mme McQuaig est une sommité canadienne. Intellectuelle de gauche bien connue, auteure de nombreux ouvrages sur la fiscalité, le pétrole, la mondialisation et le rôle du gouvernement, elle est précisément le genre de candidate dont rêve le NPD. Ou rêvait ? L’ex-journaliste et commentatrice, qui essaie pour la deuxième fois de se faire élire dans Toronto-Centre, n’a pas la langue dans sa poche, c’est sûr. Le National Post l’a déjà décrite comme la« Michael Moore canadienne ». Mais ses arguments sont solides et sa recherche, irréprochable.

Qu’a donc dit Linda McQuaig pour mériter une correction du chef ? Simplement que« beaucoup des sables bitumineux devront probablement rester dans le sol ». Tous les scientifiques inquiets des changements climatiques le disent : on ne peut prétendre sauver la planète sans renoncer à déterrer et à exploiter 80 % des combustibles fossiles existants. Ah ! Mais ce n’est pas dans la plateforme néodémocrate, s’est empressé de corriger Tom Mulcair, de peur d’offusquer les Albertains qui craignent pour leurs emplois. Le spectacle n’est pas sans rappeler le veto de René Lévesque après qu’un congrès péquiste eut voté en faveur de l’avortement en 1977. Là aussi, un parti de gauche s’était hissé, contre toute attente, au pouvoir, et essayait fort de rassurer le commun des zouaves.

Le spectacle n’en demeure pas moins désolant pour autant. Bien sûr, le pari est difficile pour le NPD, comme pour le PQ avant lui. Mais l’homme qui se targue d’avoir « le courage de ses convictions » — c’est le titre de l’autobiographie de Thomas Mulcair lancée cette semaine — devrait plutôt remercier sa candidate vedette de le forcer à ne pas renier ses principes au moment où ça compte le plus.

mercredi 5 août 2015

Nos Valeurs

Malgré ses protestations, Gilles Duceppe n’avait pas l’air mécontent de se lancer à l’eau dimanche dernier. On sentait son envie de mordre dans l’os — 78 jours de campagne ininterrompus — le plaisir toujours renouvelé de marteler « nos convictions, nos intérêts, nos valeurs ». Visiblement, le doyen des chefs de parti a du métier, du talent et une forme physique bien au-dessus de ceux du sexagénaire moyen. Mais, bon. Le retour-surprise de l’ex-député de Laurier–Sainte-Marie force un réexamen de l’évolution du Bloc québécois qu’autrement on se serait contenté d’ignorer.

D’abord, le Bloc du début et le Bloc d’aujourd’hui ne sont pas du tout la même paire de manches. Imaginé dans le tumulte politique, l’échec de lac Meech en juin 1990, et conçu « pour ne pas durer », le parti de Lucien Bouchard était une espèce d’arme blanche devant préparer l’accession à la souveraineté. Advenant l’échec référendaire, il devait durer au maximum trois ou quatre ans de plus. Gilles Duceppe prend les commandes à peu près au moment où il aurait fallu penser plier bagage, une perspective qui n’emballe aucun nouveau chef. En plus, 1997 est une année électorale : la hantise vis-à-vis de Jean Chrétien et de sa « loi sur la clarté » font le reste. À partir de ce moment, la défense des « intérêts du Québec » devient la nouvelle raison d’être du Bloc. La machette rutilante de la souveraineté se transforme, sans trop qu’on y pense, en espèce de marteau de la spécificité québécoise. « Pourquoi renoncer à ce que nous sommes ? » comme disait, encore dimanche dernier, le lider maximo du Bloc.

Pour peu réfléchie qu’ait été cette transformation, portée d’année en année par une crise politique après l’autre, elle comporte un volet intellectuel important : l’institutionnalisation d’un parti indépendantiste à Ottawa envoie aussi le message que l’indépendance, loin d’être inévitable, n’est peut-être même pas nécessaire. De la même façon que le mouvement souverainiste a eu comme effet pervers de nous donner l’indépendance d’esprit, la liberté d’être et d’exprimer qui nous sommes, mais sans passer par un siège aux Nations unies, la présence continue du Bloc à Ottawa est une façon d’encourager ad nauseam le beurre et l’argent du beurre. Rappelons que 70 % de ceux qui ont voté « oui » en 1980 et 63 % des souverainistes de 1995 espéraient « demeurer une province canadienne ».

Ce que je dis, c’est que la tendance à s’en tenir aux préliminaires, sans jamais aller jusqu’au bout, est un travers québécois que le mouvement souverainiste de la première heure a reproduit plus ou moins consciemment. En se présentant à Ottawa, plutôt qu’à Québec où doit forcément se faire l’indépendance, Gilles Duceppe, malgré toutes ses qualités, encourage ce travers. De plus, pour justifier cet excentrique détour, il doit sans cesse raviver le spectre du méchant Ottawa, indifférent à notre sort ou, pire, complotant dans notre dos. Alors que peu de Québécois se voient aujourd’hui comme des porteurs d’eau, le Bloc continue à dandiner le fretin mort de notre humiliation constante. Quand est-ce que ça va finir ? Dieu sait que le mouvement souverainiste mérite mieux, une raison d’être moins cheap et des arguments plus vigoureux, ancrés dans la réalité d’aujourd’hui.

Sans minimiser les différences culturelles qui séparent le Québec du Canada, qu’elles sont, au fait, les valeurs, les intérêts, voire les convictions qui nous sont propres ? Outre bien entendu la question de la langue, de la survie culturelle ou encore, de la souveraineté — qui, je le répète, se règlent à Québec et non à Ottawa. L’environnement ? La justice sociale ? L’immigration ? Le développement économique ? La sécurité ? Selon que vous êtes à droite ou à gauche du spectre politique, vous trouverez chaussure à votre pied sur toutes ces questions dans l’un ou l’autre parti fédéral. La leçon des dernières élections n’a-t-elle pas précisément été le remplacement de la vieille tension fédéraliste-souverainiste par une dynamique gauche-droite ? Stephen Harper et son conservatisme radical obligent. Tant qu’à ne pas faire l’indépendance, se sont dit bon nombre de Québécois, aussi bien s’investir dans le pays de façon utile. Comme par hasard, le choix des Québécois a privilégié le parti, le NPD, dont les valeurs sont à peu près exactement — mise à part la question de l’indépendance — celles du Bloc.

M. Duceppe peut toujours croire que les Québécois ont simplement craqué pour les beaux yeux de Jack Layton. À mon avis, c’est une erreur de jugement qui aujourd’hui se conjugue à une erreur de parcours.