mercredi 20 octobre 2021

Vivre le virus

 Il y a enfin une bonne nouvelle dans le monde perturbé, souvent chaotique, du système de santé. À la suite de pressions du corps médical ainsi que de certaines associations communautaires, le gouvernement du Québec vient d’approuver un traitement thérapeutique contre la COVID-19. « À la lumière de l’augmentation du nombre de cas […] lors de la quatrième vague », dit l’avis ministériel du 8 octobre dernier, « il semble opportun d’utiliser les anticorps monoclonaux en appui aux autres mesures ».

Autre façon de dire que la campagne de vaccination touchant à sa limite, le temps est venu d’apprendre à « vivre avec le virus ». De se donner les moyens de guérir de la COVID, pas seulement de la prévenir. Si la vaccination demeure avec raison la voie privilégiée, on sait maintenant qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle. Nous allons fort probablement continuer à tomber malades du SRAS-CoV-2, car il est impossible de l’éliminer. Malgré un choix de plus en plus vaste de vaccins, l’écart faramineux entre les pays riches et les pays pauvres rend, en fait, la suppression de la maladie quelque peu dérisoire. À quoi sert un taux de vaccination exceptionnel — plus de 80 % au Québec chez les 12 ans et plus — si, ailleurs, dans les pays à faible revenu, seulement 2,8 % de la population a reçu une dose ? Sans un haut taux de vaccination partout sur la planète, le virus continuera à se propager. Sans parler de l’incertitude qui persiste, rappelle l’OMS, quant au « degré de protection des vaccins actuels contre les variants émergents du virus ».

Alors, revenons à ces anticorps neutralisants dont plusieurs études révèlent l’efficacité. L’une d’entre elles, publiée récemment dans le New England Journal of Medecine, a montré une baisse d’hospitalisations de 70 % et une absence de décès lorsqu’une combinaison de deux anticorps (le bamlanivimab et l’etesevimab) était administrée quelques jours après le diagnostic de COVID chez des personnes à risque — c’est-à-dire les 65 ans et plus, les immunosupprimés et toute personne souffrant de comorbidité (obésité, diabète, asthme, etc.). Largement utilisé aux États-Unis, en France et en Allemagne, ce traitement est le seul, selon le dernier guide thérapeutique de l’OMS, qui a un effet bénéfique au moment où ça compte le plus : avant que les gens tombent vraiment malades. À ce titre, d’autres traitements, dont la fameuse hydroxychloroquine du Dr Raoult, le remdésivir, le lopinavir / ritonavir et l’ivermectine sont tous déconseillés. Les seuls autres traitements qui reçoivent la bénédiction de l’OMS à l’heure actuelle sont les corticostéroïdes et les inhibiteurs de récepteurs — réservés, eux, aux cas graves.

Bien que les anticorps monoclonaux doivent être administrés par perfusion intraveineuse, ce qui demande du temps et de la supervision, on voit bien l’intérêt d’un tel traitement. Comme ce traitement a été approuvé comme mesure d’urgence par la FDA aux États-Unis en novembre dernier, puis par Santé Canada peu de temps après, plusieurs se demandent pourquoi il n’a pas été disponible plus tôt.

Après avoir été chef des soins intensifs au Centre hospitalier de St. Mary, à Montréal, en février dernier, le Dr Hugo Viladevall croit qu’avec ce traitement, il aurait pu sauver quelques-uns de ses patients. Notamment une dame qui a malencontreusement contracté le virus au moment même où elle devait sortir de l’hôpital, et qui en est morte peu de temps après. Connaissant le succès clinique des anticorps monoclonaux aux États-Unis et sachant que Santé Canada les approuvait, le Dr Viladevall a immédiatement demandé à ce qu’ils soient inscrits sur la liste des traitements offerts à St. Mary. Sa demande est restée sans réponse. L’hôpital n’est toujours pas habilité à fournir ce traitement, d’ailleurs, malgré la directive ministérielle du 8 octobre, qui exige qu’on établisse « un site d’administration des anticorps monoclonaux dans au moins une installation par territoire d’établissement ».

C’est le côté moins reluisant de cette apparente « bonne nouvelle ». Selon l’information obtenue, il n’y a que le Centre universitaire de santé McGill qui à l’heure actuelle administre ledit traitement, et ceci, de façon extrêmement parcimonieuse. Pourquoi ? Difficile de le dire, car le ministère de la Santé, après avoir officialisé sa politique sur les anticorps monoclonaux, refuse d’accorder d’entrevue sur le sujet.

« Pourquoi tout ce mystère ? » dit l’immunologiste et professeur de médecine à McGill Abraham Fuks. « Le Québec a mieux administré sa campagne de vaccination que quiconque », dit-il. Pourquoi pas utiliser ce savoir-faire, une partie de ces ressources, pour faciliter maintenant l’accès aux anticorps monoclonaux ? Pourquoi pas mener une véritable campagne de promotion ?

Au contraire, on semble ici vouloir y aller à reculons. D’abord, il est difficile de comprendre pourquoi, sur un total de 9000 doses achetées par le gouvernement fédéral selon le distributeur pharmaceutique Hoffmann-La Roche, quelques centaines seulement ont été commandées par le Québec.. « Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas cru bon de négocier un meilleur contrat ? » demande le fondateur de l’Association canadienne de santé communautaire, Samuel Herzog. L’homme d’affaires montréalais, qui milite depuis longtemps pour la distribution d’anticorps neutralisants au Québec, constate que des cliniques voulant s’approvisionner auprès du fournisseur désigné (McKesson) sont refusées, fautede stocks.

Un pas en avant, deux pas en arrière ? S’il faut certainement se réjouir du fait que le Québec compte désormais un traitement efficace dans sa lutte contre la COVID-19, on peut se demander pourquoi les avancées se font au compte-goutte, sans beaucoup d’explication ni grands moyens.

mercredi 6 octobre 2021

La femme de la situation

 Qu’on soit pour Valérie Plante, la mairesse de Montréal, ou décidément contre elle, tout le monde s’entend : voici une femme qui a le don de surprendre. Elle a surpris en battant Louise Harel lors de sa première élection sur la scène municipale en 2013 ; elle a surpris en remportant la course au leadership à Projet Montréal en 2016 ; elle a surpris encore une fois en gagnant le gros lot en 2017. « Trois cent soixante-quinze ans après Jeanne Mance, Montréal a enfin sa première mairesse ! » avait-elle alors lancé, plus joyeuse que jamais.

Quatre ans plus tard, la femme de 47 ans se retrouve coude à coude avec le même antagoniste, Denis Coderre. Mais cette fois, la barre est beaucoup plus haute. En 2017, Valérie Plante pouvait se contenter d’être l’anti-Denis : une femme, plus jeune, de bonne humeur, suintant la nouveauté et l’engagement communautaire plutôt que les vieilles combines et la Formule 1. Sans parler de sa carte de visite, Projet Montréal, bien implanté 12 ans après sa création. Un parti non seulement avec une « vision » de la métropole, mais un des rares, après le défunt RCM, qui fonctionne véritablement comme un parti politique, rappelle Daniel Sanger dans son livre Sauver la ville : Projet Montréal et le défi de transformer une métropole moderne (Écosociété). Un parti qui fonctionne comme il se doit : à coups de congrès et de débats d’orientation, d’associations locales et d’assemblées d’investitures.

De la Ligue d’action civique de Jean Drapeau à l’Équipe Denis Coderre — sans oublier Mélanie Joly et son Vrai changement, Balarama Hollness et son Mouvement Montréal,Marc-Antoine Desjardins et son Ralliement pour Montréal, et combien d’autres… —, toutes ces incarnations politiques ne sont finalement qu’un véhicule d’occasion cherchant « à prendre le pouvoir ».

En 2017, Valérie Plante avait donc tout pour elle. En 2021, tout en proposant un bilan très positif et en continuité avec les objectifs du parti — plus de logements sociaux, de pistes cyclables, de rayonnement culturel, sans oublier une bonne gestion de la pandémie —, l’héritière de Jeanne Mance traîne ses propres boulets : une difficulté à accepter la critique, des sautes d’humeur, une tendance à faire de la politique BCBG qui n’indisposera pas « la Chambre de commerce », des comportements qui ont suscité la grogne à l’intérieur des rangs, relate l’auteur Daniel Sanger. (Son livre est à lire autant pour son honnêteté intellectuelle que pour comprendre cette machine à mille petites pattes difficile à saisir qu’est la politique municipale.)

En fait, quatre ans après son élection, l’ultime surprise de Valérie Plante, c’est qu’elle s’est souvent montrée plus habile à gérer la Ville de Montréal qu’à gérer ses propres zouaves. Or, on s’attendait exactement au contraire. On pensait que la « fille de party » serait une bonne cheffe de parti, mais une mairesse sans trop d’envergure. Par manque d’expérience, évidemment, sans parler de la difficulté des partis de gauche de passer de grandes gueules à gestionnaires efficaces du jour au lendemain. Le défi pour quiconque aurait été considérable, mais pour une jeune femme à la tête d’un jeune parti progressiste, il était tout simplement vertigineux.

« Moi aussi, je pleurerais des fois », dit Marie Plourde, soulignant ainsi les critiques personnelles adressées à la mairesse. La conseillère de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal croit que l’attention indue portée au comportement de Mme Plante souligne le double standard qu’on impose aux femmes en politique. « Denis Coderre est connu pour ses saintes colères et qui lui reproche ? » Elle rappelle aussi la « formation pour femmes » dispensée aux élues de Projet Montréal en 2014 pour leur apprendre comment s’habiller et parler en public. « Il ne fallait pas s’emporter », dit-elle, sourire en coin.

Comptant seulement 24 % de mairesses dans son ensemble, le Québec n’est toujours pas une terre promise pour les femmes en politique, c’est clair. Mais si l’on porte incontestablement un regard plus sévère sur le comportement des femmes leaders, il y a aussi un certain excès de zèle qui tient aux femmes elles-mêmes. Je parle ici d’expérience, m’étant déjà aventurée sur la terre des hommes : le monde très majoritairement masculin des médias à une certaine époque.

Je connais le vertige de devoir soudainement performer sans avoir de repères ou de modèles, de devoir inventer sur place ce que c’est que d’être une femme dans une position traditionnellement masculine. Je crois que la peur de ne pas être à la hauteur, la peur de sous-performer, amène souvent une surperformance chez les femmes, notamment dans les postes de direction : un besoin de trop contrôler, des congédiements trop rapides, des critiques trop sévères. On en met trop de peur de ne pas en mettre assez. Comme Valérie Plante, les femmes passent alors pour de « gros ego », des enivrées du pouvoir, alors que le problème est ailleurs. Il est dans cette insécurité chronique qu’on retrouve encore trop souvent chez les femmes, un manque d’estime de soi camouflé sous un front de bœuf.

Après la question des agressions sexuelles, le secret le mieux gardé à l’heure actuelle est ce que vivent les femmes en politique et dans les hautes sphères.

À tant souhaiter l’égalité hommes-femmes, on oublie que c’est beaucoup plus difficile que ça en a l’air.