jeudi 26 avril 2012

Les Gros Seins Canadiens



"Y a-t-il quelqu'un qui a déjà défini c'est quoi la culture?"

La question est du rédacteur en chef, Alain Rochette, de Summum et Summum Girls, deux magazines à saveur érotique produits au Québec et généreusement subventionnés par le gouvernement fédéral. Interrogé à Radio-Canada, M. Rochette tentait de faire taire la critique suite aux révélations que ses deux publications reçoivent un total de 190,000$ par an, alors qu'au même ministère, on vient de fermer le robinet aux grandes entreprises culturelles que sont l'ONF, Téléfilm et Radio-Canada.

C'est quoi la culture?... 'Huit choses qui dérangent au lit'? (Summum - le magazine #1 pour hommes au Québec) 'Célibataires Hot 2012'? (Summum Girls - le magazine de la femme qui ose). Peut-être bien. La culture c'est pour moi la représentation de qui nous sommes, de tout ce qui nous distingue comme entité socio-politico-géographique, que ce soit par la poésie, la politique ou la sexualité.

Si au Québec on est plus "dérangé au lit" qu'ailleurs, alors c'est un phénomène culturel. Si on ne l'est pas, alors c'est de la surenchère de gros titres.

Mais Alain Rochette sait très bien que ce n'est pas son apport au patrimoine culturel qui le voit ainsi recompensé. C'est le fait, d'abord, d'être un magazine à contenu canadien. Il suffit que les beaux muscles ou les gros seins soient de chaire canadienne (à 80%) et, bingo, le gouvernement canadien is on your side. Mais, surtout, c'est le fait d'être rentable.

En 2007, peu de temps après s'être installé à Ottawa, le gouvernement Harper a "restructuré" l'aide aux périodiques en coupant certaines subventions aux magazines culturels. Dorénavant, cette aide va aux magazines dont la circulation est de 5000 ou plus. Autant dire les revues automobiles, musculation, décoration, jardinage et, bien sûr "à contenu glamour et sexy", pour citer Alain Rochette à nouveau.

Malgré leur travail de reconaissance des arts et de la littérature, les périodiques culturels québécois comme Nuit Blanche, Jeu, 24 Images, XYZ et bien d'autres, ont été les premiers touchés par cette mesure, ne pouvant satisfaire le critère de ventes. Ça donne une peitite idée de ce que le ministère du Patrimoine canadien considère comme culturellement valable.

"All I need is right here", a déjà dit le ministre James Moore, indiquant son téléphone cellulaire devant une assemblée de producteurs et réalisateurs de films. Traduction: il faut que ce soit facilement accessible, pas compliqué, court, divertissant, commercial.

Pas exactement ce qu'on veut attendre quand on a passé deux à trois ans à réaliser un (long) documentaire sur l'expropriation des habitants de Malartic par les minières ou encore, l'histoire du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Mais ça le mérite d'être clair. Le ministre à beau pavoiser à Tout le monde en parle de son engagement face à la culture, les récentes coupures de 10% à l'ONF, Téléfilm et Radio-Canada sont un affront brutal à la culture, en commençant par les films documentaires qui sont ici particulièrement visés.

Les coupures aux organismes culturels existaient avant l'arrivée des Conservateurs, me direz-vous, mais il y a des différences notoires avec le passé. D'abord, rien dans les finances publiques n'exigeait à ce moment-ci des coupures aussi draconiennes. Deuxièment, les coupures étalées sur trois ans concordent avec la date des prochaines élections. En d'autres mots, dans l'éventualité qu'il ne serait pas ré-élu, Harper a l'intention d'affaiblir ces institutions culturelles au maximum.

Comme avec les périodiques, le gouvernement conservateur est obnubilé par la rentabilité. Le ministre Moore l'a fait fait clairement comprendre aux producteurs et réalisateurs de documentaire: montrez-nous que vous pouvez vous-mêmes financer une partie de vos projets et ensuite, on sera mieux disposé à vous aider.

C'est un virage à 90 degrés de la politique culturelle de ce pays. Comme la plupart des pays Européens, et contrairement aux Etats-Unis, on considère ici que c'est un travail essentiel de l'Etat que de subventionner les arts et la culture. Au Québec, c'est une mission quasi sacrée puisqu'une question de survie du Québec comme tel. Les produits culturels ne sont pas une marchandise comme une autre puisque, contrairement aux magazines érotiques, leur valeur ne réside pas dans leur attrait commercial mais dans leur capacité de représentation de la réalité.

La bonne nouvelle? Après les étudiants et environnementalistes, les scénaristes, réalisateurs et producteurs de films québécois sont sur le pied de guerre pour éxiger, à leur tour, le respect du bien commun. Nous étions 100 réunis d'urgence, la semaine dernière, en réaction aux coupures annoncées. C'est d'ailleurs le cinéaste Denys Desjardins qui a découvert, en épluchant les allocations culturelles du dernier budget fédéral, le pot aux roses des gros seins canadiens.

Le mépris n'aura qu'un temps, disaient les féministes dans les années 70. Le mépris, en fait, est revenu de plus belle mais, heureusement, de plus en plus de Québécois s'insurgent. A nous, maintenant, de convaincre le ROC (Rest of Canada) d'en faire autant.

jeudi 19 avril 2012

L'invention du chauffage central

par Francine Pelletier

Une étudiante du collège de Rosemont est retournée en classe cette semaine, forte d'une injonction lui permettant de contourner le mouvement de grève. Elle est au moins la troisième ou quatrième à ne pas hésiter à faire un bras d'honneur, non seulement au ferment social de l'heure, mais à la plus importante manifestation étudiante de tout temps.

Comment se sent-on à braver un tel courant? Au moment de passer devant des centaines de collègues, et sûrement quelques amis, qui ont tous voté en faveur de la grève, qui défendent une idée essentielle, l'accessibilité aux études du plus grand nombre, qui ont l'appui de plus en plus de professeurs, de syndicats, de mouvements sociaux et de plus en plus d'élèves du secondaire... s'est-elle sentie fière? Enorgueillie de défendre si vaillamment la liberté de conscience? Peut-être un peu loner quand même? Un peu gênée d'envenimer une situation déjà passablement empoisonnée? L'ombre d'un doute l'a-t-elle même effleuré concernant la pertinence de sa démarche? ...

"LIBARTÉ!" Le président de la CSN, Louis Roy, a fait une démonstration magistrale, lors du dernier Moulin à paroles il y a 10 jours, de la dérive de l'idée de liberté,  notamment chez nos "libertariens", les Eric Duhaime, Joanne Marcotte et occasionnel animateur de radio poubelle de ce monde. En parodiant l'obsession avec le moi, moi, moi ("mes droits à assister à mes cours, mes droits à dire n'importe quoi..."), le chef syndical pointait du doigt la "confusion des genres entretenue par la droite".

Il y a bel et bien une catégorie de personnes pour qui la liberté est une "marque de yaourt", pour citer Pierre Falardeau. Elles en sont fières, comme si toutes ces velléités de bien commun, de désirs collectifs étaient choses du passé. La beauté du mouvement étudiant, comme celle du mouvement qui s'annonce pour dimanche prochain, le 22 avril, c'est justement de rappeler que "chacun de nous est responsable de l'effort qu'il apporte au destin commun" (Jean-Luc Melanchon, leader du Front de gauche français). 

Ça s'appelle: solidarité. Mot galvaudé s'il y en a un, c'est quand même l'invention du siècle (dernier), celle, non seulement que l'union fait la force, mais que nous avons une humanité commune et par conséquent, des responsabilités communes. Pour reprendre le merveilleux titre d'Alexis Martin et Daniel Brière du Nouveau Théâtre Expérimental, L'invention du chauffage centrale en Nouvelle-France,  la so-so-solidarité c'est le poêle à bois de l'édifice humain, la brique chauffante qui nous agglutine les uns aux autres, le calorifère à chaque étage qui nous empêche de geler, tout seul dans son coin.

L'exemple de solidarité le plus hot? Les musiciens du Titanic qui continuent à jouer alors que les passagers prennent leurs jambes à leur cou et le bateau coule...

Tout ça pour dire que les tactiques de division du gouvernement Charest auprès des étudiants puent au nez. On dirait Stephen Harper, tellement la manoeuvre est hypocrite et manipulatrice. De quel droit un gouvernement qui nage dans la collusion, ferme les yeux devant des décennies de fraudes électorales, exige-t-il qu'un groupe étudiant (mais pas les deux autres) montre patte blanche? Faut-il en rire ou en pleurer? De quel droit traite-t-il les dirigeants de la CLASSE comme des hors-la-loi alors qu'ils suivent un mandat clair, limpide, on ne se peut plus démocratique? Comment ose-t-il leur tenir la dragée haute en matière de morale quand la tactique même qu'il emploie, notamment en vue de l'agitation sociale qu'elle provoque, est immorale?

Gouvermement opportuniste s'il en est un (souvenons-nous du Mont Orford, du Suroît, des gaz de schiste...), Charest se fie aux sondages pour espérer gagner du capital politique en employant la ligne dure vis-à-vis les étudiants. Plus le conflit dure, plus les sympathies vont se retourner contre les étudiants, espère-t-il, et plus on va applaudir son "épine dorsale". Il n'y a pas l'ombre d'un principe, d'une vision sociale, encore moins éthique, là-dedans. Il n'y a qu'un calcul électoral à court terme.

De grâce, FECQ et FEQ, ne tombez pas dans le panneau! Bien sûr, le vandalisme c'est pas beau. Bien sûr, vous pourriez vous en dissocier tous un peu plus énergiquement. N'en demeure pas moins que c'est ni aussi grave ni aussi odieux que les dérapages policiers ou la corruption politique.  De grâce, restez solidaires.  Ce n'est pas seulement le mouvement étudiant qui en pâtirait, c'est l'idée même du chauffage central, de la solidarité, de la défense des droits collectifs. De grâce, faites-nous pas geler. L'hiver a assez duré comme ça.

D'ailleurs, pour tous ceux et celles qui voudraient se réchauffer, le printemps vous attend Place des festivals, dimanche, 14h: http://22avril.org/