mercredi 18 décembre 2013

Rentrer à la maison

C’était du Daniel Paillé comme on ne l’a jamais vu. Je parle de la conférence de presse où le chef du Bloc québécois a annoncé sa démission, lundi. Il affichait toujours ce sérieux qui est le sien, cette espèce d’intensité de jésuite qui le distingue mais avec un relent d’émotion qui, bien que contenue, le transformait. L’homme, qui peut paraître assez froid, détaché, sévère même, paraissait ému, vulnérable, vrai. On a envie de s’incliner dans des moments pareils, pas seulement pour la personne devant soi qui souffre et qui, en plus, est appelée à souffrir devant tout le monde pendant de longues minutes, mais parce que ces moments sont trop rares en politique.
  Assenés de questions, comme s’en plaignait dans ces pages le jeune député Léo Bureau-Blouin, les politiciens aujourd’hui ont la fâcheuse tendance de s’arc-bouter devant un micro, de se donner de la prestance plutôt que nous donner l’heure juste. On comprend, évidemment, la difficulté d’avoir à constamment composer avec une multitude de questions, parfois pièges, mais il n’y a pas que la réflexion qui en souffre. La vérité en prend aussi pour son rhume. La reine de Tout-va-très-bien-Madame-la-Marquise, Pauline Marois, est allée jusqu’à reprendre son ministre des Finances pour avoir osé avouer, dans un moment de rafraîchissante humilité, sa gaffe concernant les prévisions budgétaires. Quand vient le temps de siffler dans le cimetière, le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, ne laisse pas sa place non plus. Cette hypocrisie politique, tout autant que l’instantanéité médiatique, pose aussi un problème de démocratie.
  Mais revenons à la démission de Daniel Paillé. Le dernier clou pour le Bloc ? Curieusement, M. Paillé a été le premier, au lendemain des résultats désastreux de 2011, à poser la question de la survie du BQ. A-t-on vraiment besoin d’un parti souverainiste à Ottawa ? That is la question. René Lévesque a toujours été contre, comme bon nombre de souverainistes encore aujourd’hui. Sans les circonstances exceptionnelles créées par l’échec de l’accord du lac Meech, le Bloc n’aurait jamais vu le jour, c’est clair. D’ailleurs, au départ, Lucien Bouchard ainsi que Gilles Duceppe étaient contre la formation d’un parti, tellement l’expérience devait être brève. « Le succès du Bloc sera mesuré à sa courte durée », affirmait M. Bouchard lors du congrès de fondation en 1991.
  Souveraineté
  Le Bloc a été créé pour une seule raison : parce que la souveraineté semblait, miraculeusement, à portée de main. Selon un des organisateurs de première heure au Bloc, François Leblanc, « la durée utile de Bloc était d’environ deux ans après un référendum gagnant, ou d’une ou deux élections subséquentes ». En d’autres mots, le Bloc avait une date de péremption autour de l’an 2000. Il a pourtant largement survécu à ce pronostic, sans trop se poser de questions. Quelque part entre l’après-référendum 1995 et le tournant du siècle, l’objectif de souveraineté s’est mué en défense des « intérêts du Québec ». Le scandale des commandites, puis les politiques désagréables de Stephen Harper ont justifié la survie du parti pendant une bonne décennie, tout en usant subrepticement la vie utile du BQ.
  En 2011 arriva ce qui devait inévitablement arriver : sans justification circonstancielle et avec un rival de taille en la personne de Jack Layton, le Bloc s’est pété la fraise sur ses propres contradictions. 1-Un parti souverainiste à Ottawa sans l’ombre d’une souveraineté en vue ; 2-Une formation politique résolument à gauche qui indisposait de plus en plus de souverainistes (plus à droite) au Québec, tout en se confondant régulièrement avec les positions du NPD.
  Selon mes informations, la candidature de dernière minute, en décembre 2011, de Daniel Paillé à la direction du parti était d’inspiration péquiste. Certains bonzes du parti craignaient non seulement que le Bloc tombe aux mains de l’imprévisible Maria Mourani, mais rêvaient d’une succursale un peu plus conforme à la maison mère. L’ironie du règne de M. Paillé est que, tout en étant resté largement inconnu du grand public, il aura réussi ce qui aurait été impensable sous Gilles Duceppe : l’arrimage avec le PQ. Décriant, d’abord, les positions systématiquement à gauche de son parti, le nouveau chef a ensuite accueilli à bras grands ouverts la controversée charte de la laïcité, faisant rouler la tête de Maria Mourani en cours de route. Rendons à César.
  Avant de lui-même rentrer à la maison, Daniel Paillé aura redirigé le Bloc, pour la première fois de son histoire, sous le grand chapiteau du PQ. Il aura décanadianisé le parti, en d’autres mots, et c’est à se demander, à l’instar de Jean-François Lisée, si le processus ne mériterait pas d’être poursuivi jusqu’au bout.
 

mercredi 11 décembre 2013

Feu vert à Enbridge

Résumons. Une consultation de dernière minute. Menée par des députés sans expertise en la matière. Où certains groupes environnementaux ont d'abord été exclus et où le principal intéressé, le transporteur pétrolier Enbridge,  qui accuse 610 déversements depuis 10 ans, n'a su ni rassurer sur l'état de son oléoduc (datant de 1975) ni démontrer qu'elle disposait des ressources nécessaires en cas de déversement majeur. Ce qui n'a pas empêché le ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, de déclarer son "préjugé favorable" tout de go.

Ce qui n'a pas empêché Enbridge de se moquer du gouvernement Marois, non plus, la compagnie albertaine étant peu intéressée à se plier aux directives du Québec. Elle aurait déjà les mains pleines avec l'Office nationale de l'énergie, dit-elle. Vlan dans les gencives.  En passant, acheminer le pétrole albertain par oléoduc ne réduira pas le transport ferroviaire pour autant. Bref, un déversement comme celui qui s'est produit au Michigan en 2010 (4 millions de litres répandus à partir de l'oléoduc Enbridge 6B, très semblable au 9B) ou encore, des wagons de train qui déraillent en pleine municipalité, ne sont pas à exclure à l'avenir. On n'arrête pas le progrès. Ou, du moins, l'envie féroce de faire tourner l'économie à coups de pétrodollars.

Dans le contexte actuel, où l'on ne peut plus ignorer les ravages des gaz à effet de serre, où les glaciers fondent, les mers montent, les forêts disparaissent, les tempêtes se succèdent, les abeilles, les monarques, les bélugas, les ours polaires, pour ne nommer que ceux-là, disparaissent, le feu vert à l'importation de bitumen est un geste irresponsable, de la part d'un gouvernement qui dit vouloir réduire notre dépendance au pétrole, notamment.

La source #1 des problèmes environnementaux, l'émission de carbone, est directement liée à la production de pétrole. On le sait. Or, de tous les gisements de pétrole sur la planète, le Canada a l'insigne honneur de posséder un des plus polluants et, aussi, des plus vastes. Selon le Scientific American, "si nous consommons tout le bitumen albertain disponible, nous connaitrons une hausse de température équivalente à la moitié de ce qui a déjà été enregistré sur Terre". Seulement à cause de l'Alberta. Notez que depuis 2005 la production albertaine de bitumen a augmenté de 64% et les émissions de C02, de 75%. D'ici 2020, on prévoit les augmentations suivantes:  bitumen, 90%, C02, 105%.

Alors que l'opposition face à Keystone XL, autre projet d'oléoduc de pétrole albertain, s'organise, le gouvernement Marois, lui, fait la carpette face à Enbridge. On est en droit de s'étonner, non seulement à cause des risques environnementaux, mais parce que ce projet fait aussi le bonheur de Stephen Harper. L'occasion était pourtant belle, pour un parti qui ne demande rien de mieux que de se démarquer des conservateurs, de se montrer un peu plus original.  Quand on sait que les inquiétudes concernant le réchauffement climatique rejoignent aujourd'hui Wall Street, bastion conservateur s'il en est, on se demande ce qu'attend le gouvernement Marois.

Les investisseurs en bourse sont de plus en plus inquiets de la dévaluation des produits de ressources naturelles, vu, justement, l'opposition au pétrole. Tentant de calmer le jeu, l'entreprise d'analyse financière Bloomberg LP, la compagnie derrière l'ex-maire de New York, Michael Bloomberg, vient tout juste de lancer un outil permettant de mesurer les risques associés aux problèmes environnementaux (Carbon Risk Valuation Tool).  En d'autres mots, on est en train d'accrocher un "pensez-y bien" aux investissements liés aux ressources naturelles. Un investisseur avisé, après tout, en vaut deux.

Autre signe que le vent tourne, une étude commandée par la pétrolière Suncor, celle-là même qui exploite le pétrole albertain depuis 1967 et qui a pignon sur rue dans l'est de Montréal, avertit qu'il faut désormais contrer l'opposition aux sables bitumineux sans quoi "on pourrait voir le mouvement de contestation le plus important de la décennie". Diffusée grâce à Wikileaks, l'étude démontre que les pétrolières sont passées en quelques années d'une attitude où elles ignoraient tout simplement les groupes environnementaux, "dépourvus de pouvoir politique", à celle où elles sentent le besoin de les déjouer. D'ailleurs, l'autre grande pétrolière albertaine, TransCanada, instruisait plus tôt cette année les autorités du Nebraska sur comment poursuivre les opposants à leur projet Keystone XL.

Le combat pour l'environnement s'annonce comme celui qui marquera, plus que tout autre, le 21e siècle. Dommage que le gouvernement Marois ait choisi de se mettre la tête dans le sable, bitumineux en plus.

mercredi 4 décembre 2013

Portrait de société

Étiez-vous au rendez-vous, dimanche soir dernier ? Je ne suis pas une fidèle de l’émission Tout le monde en parle, lieu de rassemblement qui a remplacé le perron d’église, mais dimanche j’y étais comme une seule femme, scotchée au téléviseur presque du début à la fin. La controverse entourant le dénommé Gab Roy m’avait fait courir. Comme d’autres, je n’étais pas du tout convaincue qu’il fallait faire une place, dans cette messe dominicale, à un pornocrate sans scrupule, mais ne connaissant ni le bonhomme, ni le nouveau site de l’hebdo Voir qui l’héberge (trouble.voir.ca), je voulais en avoir le coeur net. Je n’ai pas regretté.
  Le segment voué au controversé GR aurait très bien pu tourner à vide, l’homme lui-même n’étant ni très sympathique ni particulièrement intéressant. Même le rédacteur en chef de Voir, Simon Jodoin, immensément plus réfléchi, peinait à justifier l’existence de ce gros bébé bruyant en invoquant un « espace d’expérimentation ». Heureusement, les autres invités ont sauvé la mise. « L’invité le plus controversé » de tout temps, selon Dany Turcotte, mettait visiblement tout le monde sur les dents, en commençant par les deux animateurs eux-mêmes, qui n’ont jamais, à ce que je sache, autant froncé du sourcil.
  L’animatrice France Beaudoin et le docteur Réjean Thomas ont tour à tour remis les pendules à l’heure en pétant la balloune de « l’humour », l’éternel prétexte pour marteler, à coups de farces plates, la discrimination contre les femmes, les homosexuels et les Noirs, petit jeu auquel GR se plie. Mais le moment de grâce est venu lorsqu’une de trois « survivantes », des femmes dont les enfants ont été tués par leur conjoint, Marie-Paule McInnis, a osé élever la voix contre la désinvolture ahurissante des GR de ce monde. Sans le dire nommément, Mme McInnis accusait « l’agitateur Web » d’être en partie responsable de son malheur.
  « Un homme qui fait de la violence conjugale va toujours essayer de se rallier à “ tu vois, Pierre, Jean, Jacques dit que j’ai raison  », dira plus tard une autre survivante.
  Scène saisissante que ces trois femmes éplorées, dont la vie est pour toujours alourdie, endeuillée, assises comme un choeur grec derrière les trois « fauteurs de trouble », pendant que ceux-ci tentaient de nous instruire sur l’ouverture d’esprit et les subtilités du deuxième degré. Surréel. Le contraste entre ce GR baveux, tombé dans son nombril étant petit, ne se posant pas trop de questions sauf celles de satisfaire ses envies (ses performances vidéo sont des monuments d’autocongratulation), et ces trois femmes, dont la vie a été détruite par des hommes n’ayant qu’une envie, les punir, était à couper le souffle.
  D’un côté, la douleur des victimes, de l’autre, l’inconscience du bourreau qui se défend, bien sûr, d’en être un. Dans la tête d’un GR, il n’y a pas de lien entre le « Far Web », son terrain de jeu de prédilection où on peut fantasmer sur une femme (connue) « toute écartillée », l’humilier et l’avilir, ou encore, interviewer un facho fini proclamant l’infériorité des femmes, et ce que vivent les trois femmes derrière lui. Sauf qu’il y en a un. Le besoin de tenir les femmes en laisse, de les maltraiter pour mieux leur rappeler leur place (le but ultime du hardcore) et, finalement, de les punir si jamais elles osent s’affranchir.
  À mon avis, l’émission de dimanche a brillamment joué son rôle. Au-delà des introductions d’usage aux goûts du jour, elle a permis une véritable incursion dans le monde dans lequel on vit, faisant le pont entre la dernière trouvaille Web où se retranchent, malheureusement, les pires misogynes, phénomène dont on parle encore trop peu, et la question indécrottable, vieille comme le monde, de la violence conjugale.
  L’invitation au controversé Gab Roy était donc parfaitement justifiée, pas parce qu’il attire « 100 000 visiteurs », comme l’a plaidé Guy A. d’entrée de jeu, mais parce qu’on a pu démystifier cet engouement pour tout ce qui grouille sur le Web, travers qui se remarque particulièrement chez les directeurs de médias en perte de vitesse par les temps qui courent. Si Simon Jodoin a raison de dire qu’il faut s’ouvrir les clapets par rapport à ce médium, encore faut-il débusquer la complaisance et la grosse bêtise, même si on en redemande.
  En plus d’éclairer tous ces coins sombres, l’émission a en même temps su réjouir par la dévotion d’un Réjean Thomas dans sa lutte contre le sida et les MTS, l’intégrité d’une femme comme France Beaudoin, les prestidigitations fabuleuses de Luc Langevin, le talent du comédien-réalisateur-chanteur Émile Proulx-Cloutier qui, lui, se pose visiblement beaucoup de questions.
  L’émission du 1er décembre 2013 passera aux annales comme un petit instantané de la société québécoise. Pour le meilleur et pour le pire.