jeudi 31 mai 2012

Qui a peur d'Anonymous?



Jean Charest? Peu probable. C'est vrai qu'il est savoureux le vidéo du party chez les Desmarais mais, dans le grand livre des gros problèmes du PM, cette révélation, signée Anonymous, fait figure de pattes de mouche. Le piratage des sites du ministère de l'Éducation, la semaine dernière, n'est guère plus embêtant.

Bernie Ecclestone? Encore moins probable. Le groupe de pirates informatiques Anonymous, connu pour son masque souriant et énigmatique, a menacé d'infiltrer le site du Grand Prix de Montréal, cette semaine. Mais pourquoi le grand patron de la Formule 1 s'en inquièterait-il? M. Ecclestone, on le sait, a déjà affiché une souveraine indifférence vis-à-vis Montréal et la course automobile.

Alors, qui a peur d'Anonymous? Et bien, moi. Et tous ceux, j'ose croire, qui sont mal à l'aise devant le panoplie de hacktivistes toujours prêts à dénoncer et à menacer, dans le plus parfait anonymat, les gros de ce monde. La voix ténébreuse qui sort du plafond (ou, en l'occurrence, de l'ordi) vous sommant d'avoir peur, très peur... elle n'est pas celle d'un gouvernement omniprésent et répressif, tel qu'imaginé par George Orwell dans 1984. Elle est celle des matamores de l'internet qui collaborent à Anonymous.

"Nous sommes Anonymous. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n'oublions pas. Attendez-vous à nous voir."

Admettez que ça donne froid dans le dos. On dirait un passage de l'Ancien Testament, juste avant la pluie de crapauds et boules de feu....

Comprenez bien: ce n'est pas ce que défend Anonymous qui cause problème, mais la manière qu'il s'y prend. Anonymous s'est fait connaître en 2008, en menant une campagne tous azimuts contre l'église de Scientologie. On ne pouvait qu'applaudir --sauf, encore une fois, au ton emprunté. La campagne vidéo parue sur Youtube donnait envie de se cacher sous son lit: "Hello, leaders of scientology, over the years we have been watching you..." (http://www.youtube.com/watch?v=JCbKv9yiLiQ&feature=related)

Il est difficile aussi de leur en vouloir de cibler Jean Charest en ces temps de crise sociale, encore moins d'avoir révélé le vidéo de sa soirée faste au domaine Desmarais. On sait comment Pierre Falardeau aurait été aux petits oiseaux... http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2012/05/30/005-anonymous-charest-desmarais.shtml?

Que des jeunes (il faut forcément être jeune pour démanteler aussi facilement les codes informatiques) veulent faire un bras d'honneur aux élites, aux grosses corporations, aux régimes anti-démocratiques, où qu'ils se trouvent... j'en suis. J'en suis d'autant plus qu'au Québec, en ce moment, il y a une réelle déchirure entre ceux qui sont du côté du gouvernement, de l'économie et de la soi-disante raison et ceux qui sont du côté des étudiants, de la contestation et de la soi-disante utopie. C'est-à-dire du changement. Il m'apparaît impérieux d'être du côté du changement.

Anonymous aussi se dit du côté du changement mais, que voulez-vous, je n'aime pas les machos. Même quand ils défendent une bonne cause. A l'instar de Julian Assange et ses Wikileaks, Anonymous, qui a d'ailleurs pris le relais du prédecesseur australien depuis que celui-ci est sous surveillance, fait, à mon humble avis, un power trip.  Dans une entrevue à la radio de CBC en 2007, une des rares personnes identifiées à ce mouvement de cybernautes, Trent Peacock (sans doute un pseudonyme?), disait d'ailleurs ceci: "Nous sommes juste un groupe de personnes sur internet qui ont besoin d'un débouché pour faire ce qu'on ne pourrait pas faire dans la société normale. C'est à peu près ça l'idée: fais ce que tu veux. On dit souvent, "on le fait pour le lulz".

Lulz, au cas où vous auriez plus de 40 ans, est une déformation de l'acronyme internet lol (laugh out loud). Qu'on se bidonne aux frais des grosses légumes, encore une fois, je veux bien. Qu'on est prêt à faire un peu n'importe quoi pour se faire remarquer, c'est là que je débarque. C'est un peu comme le problème des casseurs masqués. Que l'inertie et mauvaise foi du gouvernement inspirent jeunes et moins jeunes à battre la casserole et crier leur colère, on comprend, voire on applaudit. Mais que ces manifestations soient l'occasion pour se défouler la testostérone, sous cagoule par-dessus le marché, ou derrière le sourire cynique du légendaire pyromane Guy Fawkes, ça frise l'abus et le n'importe quoi.

L'intimidation, d'où qu'elle vienne, et à plus forte raison sous anonymat, est intolérable. Le leader de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, était sur le point d'avoir à régler le problème lorsque le gouvernement Charest lui a fait cadeau de la loi 78, et les bonnes gens de Montréal, du bruit de leurs casseroles. Le problème des dérapages se voyait dès lors englouti sous un joyeux et amibitieux tin-t-on-en-a-marre. Mais la partie n'est que remise: tout mouvement populaire, s'il veut le demeurer, doit limiter les dérapages et le radicalisme puant.

Tant qu'à se cacher derrière un masque, Anonymous ferait mieux d'imiter Anarchopanda. Au moins un qui a compris que des câlins bien administrés sont à la fois plus subversifs et plus intéressants que des semonces paternalistes tombées du ciel.

http://www.francinepelletierleblog.com/




jeudi 24 mai 2012

Vive la poêle à frire



Donc, c'est un échec. La loi 78 ne marquera pas de pause, ne règlera pas la crise et ne marquera même pas de points de sympathie pour le gouvernement Charest. Les dénonciations ici comme ailleurs, à droite comme à gauche, ont vite fait de sceller le sort de cette mesure d'exception, exceptionnellement mal conçue. Jusqu'au ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, qui semble souhaiter que la Cour renvoie le gouvernement à ses devoirs.

Surtout, la manifestation monstre du 22 mai, énorme pied de nez à la nouvelle loi, aura établi les lettres de noblesse de la désobeissance civile. Le gouvernement libéral tente depuis des mois de délégitimer le mouvement étudiant en l'associant au vandalisme et aux têtes brulées pour finalement se buter le nez sur une joyeuse marée de 250,000 personnes de bonne humeur, pas du tout casseuses de party, mais capables de se tenir debout.

Encore la veille, le bâtonnier du Québec, qui nous avait surpris avec sa dénonciation de la loi 78, nous surprenait à nouveau avec sa dénonciation en règle de la désobeissance civile. "Complètement inacceptable dans un état de droit," dit Me Masson. Même Gilles Duceppe a senti le besoin de s'en dissocier en précisant qu'on n'était pas en "Afrique du sud ou dans l'Inde de Ghandi"

Et alors?  Rosa Parks qui a refusé de donner son siège à un homme blanc, en 1955 en Alabama, vivait dans un pays qui, dans les années d'après-guerre notamment, faisait l'envie du monde. Les suffragettes, qui se sont enchainées aux grilles du Palais de Buckingham au tournant du siècle dernier, vivaient dans le pays qui a inventé l'état de droit. Le Dr. Henry Morgentaler qui a pratiqué des milliers d'avortements clandestins avant la décriminalisation en 1988, vivait au Québec, l'endroit le plus progressiste en Amérique.

Le mouvement des femmes au Québec s'est bâti précisément sur le contournement de la loi interdisant l'avortement. Comme bien d'autres féministes à l'époque, j'ai aidé des femmes à avorter dans la plus parfaite illégalité. Arrêtez-moi quelqu'un.

Il y a parfois des gestes plus dignes de respect, certainement plus courageux, que de simplement faire les génuflexions d'usage devant la primauté du droit. On comprend, bien sûr, le besoin de juristes et politiciens de réitérer leur attachement aux règlements démocratiques puisque leur pain et beurre en dépend. Le problème c'est que la démocratie ne se conjugue pas uniquement du côté des lois. Elle se mesure tout autant et parfois davantage du côté de la dissension. Pouvoir s'opposer à ce qui nous paraît injuste est tout aussi fondamental, et passablement plus compliqué, que d'aller voter.

Ce qui ne veut pas dire accepter les dérapages et les agents provocateurs sans broncher. Des manifestants noctures ont d'ailleurs commencé à s'y opposer et c'est tant mieux. On souhaiterait maintenant que la police cible un peu mieux ce monde-là et un peu moins les innocents. C'est quand même un peu suspect, non, sur tant de gens arrêtés, qu'ils n'aient pas encore mis la main sur les vrais coupables?...

Entretemps, j'en ai marre de constater toute la nervosité qui persiste autour de la question de désobeissance civile. Car, veut veut pas, c'est faire le jeu de Jean Charest; c'est laisser croire que les dérapages sont tout d'un côté, celui des étudiants, et passer l'éponge sur ceux, pourtant nombreux, du gouvernement.

Comme dirait Pierre Falardeau, on va toujours trop loin pour ceux qui vont nulle part.

Entre le spectacle d'un gouvernement qui ne cesse d'improviser, prêt à sacrifier des droits fondamentaux pour assurer sa propre ré-élection, coupable de collusion et de passe-droits à répétition, et celui d'un légitime mouvement citoyen --il est clair que la colère nest plus uniquement celle des étudiants-- brandissant poêle à frire et pancartes assassines (Charest décrisse/ Fais donc comme ta ministre), il me semble que le choix est clair.

Le gouvernement n'a plus d'autre option maintenant que de s'asseoir et de négocier. De bonne foi, cette fois.


twitter: fpelletier1

jeudi 17 mai 2012

La matraque et le jello


Devant le conflit étudiant qui s'éternise, êtes-vous partisan de la ligne dure, d'une attitude musclée et sans compromis? Ou avez-vous, comme Pauline Marois, "du jello à la place de la colonne vertébrale"?...

A la 14e semaine de mobilisation et sous férule désormais d'une loi spéciale, on sent de plus en plus deux courants qui se dessinent: les durs et les mous, les faucons et les colombes. Ceux qui, à l'intar de notre pitbull en chef, Jean Charest, croient que la loi doit être respectée coûte que coûte et ceux qui, comme la leader de l'opposition, une femme de béton soudainement transformée en kleenex mouillé, à en croire le PM, croient que la paix sociale passe par la négociation, ou un moratoire s'il le faut.

En imposant cette loi, Jean Charest jouait le dernier acte de sa "vaste pièce de théâtre politique", pour reprendre les mots de Léo Bureau-Blouin. Depuis le début, M. Charest utilise ce conflit pour nous faire croire à son leadership et sens des responsabilités, et ainsi gagner des points auprès de l'électorat.

M. Charest fait un très mauvais calcul. On voit déjà ce que cette loi va donner: plus de pouvoirs aux policiers, moins aux étudiants, plus de manifestions dans la rue et moins de négociations en cabinet privé.  En fait, il n'y aura plus aucune négociation, encore moins de médiation. Loin d'amener une pause et rétablir le calme, la loi fait craindre le pire.

Le plus mauvais moment de théâtre est venu quand la nouvelle ministre de l'éducation, Michèle Courchesne, a affirmé qu'elle voyait un "durcissement" de la part des étudiants. Sachant que la loi spéciale se préparait déjà au moment de rencontrer les étudiants, la veille, et qu'au moins un d'entre eux (Léo Bureau-Blouin) a proposé une modification qui allait dans le sens du gouvernement, ce n'est pas seulement de la mauvaise foi, c'est carrément du mensonge.

On sait aussi que certains membres du cabinet Charest souhaitent une loi plus musclée encore. Hier, les durs étaient bel et bien derrière les micros de l'Assemblée nationale, pas dans la rue. Sitôt nommée pour remplacer Line Beauchamp, Mme Courchesne s'est d'ailleurs découvert une "colonne" comme Jean Charest les aime. Vue encore tout récemment comme plus conciliatrice par les étudiants, la voilà tout à coup raide comme une barre de fer.

On commence à comprendre pourquoi Line Beauchamp arborait cet air éploré de lièvre pris dans les phares d'une auto, et pourquoi elle a soudainement pris ses jambes à son cou. Jean Charest, toujours le premier à rappeler combien son gouvernement fait place aux femmes, les envoie au front, une après l'autre, pour faire sa sale besogne. Une femme, après tout, ça fait moins peur; donc, ça passe mieux.

On a vu que Line Beauchamp était particulièrement mal outillée pour la jobbe. Elle n'a pas tellement le ton militaire, d'abord, en plus de n'avoir jamais surmonté le choc des lunettes cassées de sa réceptionniste, lors de l'occupation de ses bureaux. Michèle Courchesne joue décidément mieux le rôle de la femme macho, même si les rumeurs circulent qu'elle aussi n'épouse pas tout à fait la politique hardcore de son chef.

Ce n'est pas tant du théâtre, que fait le gouvernement Charest, qu'un show de marionnettes.

Pendant ce temps, de plus en plus de groupes sociaux, d'artistes, de syndicats, de partis politiques prennent position en faveur des étudiants. On est de plus en plus nombreux à dire que ce n'est pas la hausse des droits de scolarité qui est le vrai problème, c'est la façon qu'on est gouverné. Jean Charest se leurre s'il croit que l'été suffira à faire oublier autant de basses manoeuvres.

















dimanche 13 mai 2012

Derrière l'affaire Shafia


Comme histoire d'horreur, on pouvait difficile faire mieux. Ou devrais-je dire pire?

Quatre femmes de la même famille assassinées, toutes en même temps, par un père "déshonoré" par le comportement de ses filles. Un petit génocide, en somme, tant la ruse était cruelle, plannifiée et éxécutée froidement. Combien de fois me suis-je représentée ces quatre femmes, dont la plus jeune n'avait que 13 ans, assises dans leur Nissan alors que le véhicule plongeait dans le canal Rideau?

Vous imaginez la panique? La lente agonie? Combien de temps avant que l'auto se remplisse d'eau? Avant que les victimes manquent d'air? ...

J'ai lu chaque mot qui a été écrit sur cette innommable tragédie. Les seuls qui m'ont un peu confortée : les victimes auraient vraisemblablement été tuées avant de plonger dans l'écluse. On ne peut le jurer, la manière qu'elles sont mortes n'ayant jamais été éclaircie, mais, ouf, au moins ça.

Raymonde Provencher qui, disons-le tout de suite, est non seulement une collègue mais une amie, n'a pas attendu les révélations horrifiques de l'affaire Shafia pour se pencher sur la question des crimes d'honneur. Depuis son premier documentaire, War Babies - nés de la haine, sur le viol de femmes en temps de guerre, elle est devenue un genre d'experte sur le sort catastrophique des femmes de par le monde. Raymonde a aussi réalisé Grace, Milly, Lucy sur des filles soldates en Afrique.

Le sujet des crimes d'honneur -- définis comme le meurtre, la défiguration, les voies de fait ou agressions sexuelles d'un membre d'une famille (généralement le père ou frère) contre un autre membre (généralement la fille) -- semblaient lui revenir d'office.

A l'affiche depuis vendredi dernier, Ces crimes sans honneur abordent la question des sévices qui attendent les femmes qui ont le malheur de désobeir aux codes de conduite prescrits par leur culture. Le film précise qu'il s'agit bien d'un "problème culturel" plutôt que religieux, la tentation d'y voir une autre manifestation de fanatisme musulman étant bien grande par les temps qui courent.

D'ailleurs, le premier crime d'honneur commis au Canada est l'acte d'un immigrant italien, en 1954. Depuis 1999, on compte 17 crimes d'honneur au Canada, incluant les quatre victimes Shafia. Ce genre de crime a passablement augmenté au cours de la dernière décennie.

Préférer tuer sa propre fille, "aussi simple que boire un verre d'eau" nous dit une protagoniste du film, plutôt qu'endurer son comportement soi-disant délinquant (se maquiller, sortir avec un garçon, s'habiller sexy...) nous paraît le summum de la barbarie et de la misogynie. Mais, en fait, y a-t-il tant de différence entre ce genre de meurtre et les 139 femmes assassinées par leur conjoint au Québec au cours des 10 dernières années?

Une étude par une chercheuse en psychologie, présentée au congrès de l'ACFAS la semaine dernière, démontre que ces homicides conjugaux ont tous été commis parce que la femme avait quitté le foyer ou était "sur le point de le faire". Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de femmes qui ont le malheur d'aller contre la volonté de l'homme de la maison, et qui le payent de leur vie. Le besoin de les contrôler et de les punir l'emporte sur tout le reste. On a beau se féliciter du chemin parcouru, pour ce qui est des sociétés occidentales, du moins, il y a encore pas mal de chemin à faire.

Mohammad Shafia, sa femme Tooba et son fils Hamed, Afghans d'origine, ont tous été reconnus coupable de meurtres prémédités et condamnés à la prison à vie. Bonne nouvelle. Mais Guy Turcotte, lui, le médecin de Piedmont qui a tué ses deux enfants pour se venger de sa femme (qui l'avait quitté), a été déclaré criminellement non responsable. Très mauvaise nouvelle que celle-là, et la preuve qu'il y a deux poids deux mesures quand vient le temps de juger des hommes qui assassinent leurs enfants, dépendant du milieu culturel dont ils sont issus.

Ces crimes sans honneur est à l'affiche à l'Excentris et AMC Forum à Montréal et au Clap à Québec.

jeudi 10 mai 2012

Noir(s) Désir(s)



La pièce de toutes les controverses, signée Wajdi Mouawad, est enfin à l'affiche à Montréal. Des Femmes, qui devait en partie être interprétée par Bertrand Cantat, inculpé en 2003 du meurtre involontaire de sa compagne, l'actrice Marie Trintignant, joue à guichets fermés au TNM depuis une semaine. Sans le tristement célèbre Cantat, il va sans dire.

On dit que le tollé suscité par la venue de l'ex-chanteur de Noir Désir a été particulièrement féroce au Québec. La "morale féministe", faut croire, veillait au grain. Mais bien des villes européennes (Nantes, Avignon, Madrid...) ont également refusé sa participation jugée, pour le moins, indélicate.

J'avoue n'avoir jamais entendu la musique de Bertrand Cantat avant de me taper les 6h20 de la trilogie sophocléenne, samedi dernier. Elle est sublime, cette musique. Il s'agit d'un immense talent, sans aucun doute. Il n'y a pas de doute non plus que le coup de génie de cette extravagance théâtrale tient à la transformation du traditionnel choeur grec en choeur rock. On aurait souhaité une inspiration équivalente pour le texte et la mise en scène. Bref, c'est la musique de Cantat, superbement livrée par les trois musiciens et chanteur sur scène, qui vaut le détour, et vous garde assis bien droit sur votre siège. (Aussi, la performance toujours exceptionnelle de Sylvie Drapeau et la découverte de la comédienne française Sara Llorca).

Faut-il déplorer l'absence de Bertrand Cantat pour autant? Plusieurs l'ont fait. Faut-il regretter d'avoir "jappé" son indignation devant l'insouciance --ou provocation, c'est selon-- d'associer un homme qui a tué sa femme à une entreprise qui invite à réfléchir sur la condition des femmes? La pièce aurait-elle vraiment été meilleure en mêlant l'aura sulfureux de Bertrand Cantat au spectacle étalée sur scène?

Il est toujours tentant de se positionner du côté de l'art, de ce qui soi-disant élève, éclaire et transforme, tout en pointant du doigt la morale des bien-pensants. D'un côté, l'art qui "lave tout", comme disait la directrice artistique du TNM, Lorraine Pintal, au moment où éclatait la controverse; de l'autre, les préoccupations contraignantes et terre à terre des donneurs de leçons. Faites vos jeux...

Pour ma part, je crois qu'il y a ici une surestimation (pour ne pas dire snobisme) de ce qui se passe sur les planches et une sous-évaluation de ce qui se passe dans l'auditoire. En d'autres mots, l'erreur de Wajdi Mouawad a été de croire que ce qu'il avait en tête était plus important, voire plus noble, que ce que nous pouvions ressentir sur le sujet.

Le problème, tant pour la participation de Cantat que pour les pièces elles-mêmes, est que la question des femmes battues (à mort, ou pas) est immensément plus réelle, plus forte et ultimement plus émouvante, pour la grande majorité du public, certainement féminin, que ce qu'on nous propose sur scène.

On a beau lire dans le programme que ces tragédies éclairent les "enjeux actuels", on peine à y trouver une réelle résonance. Antigone, à la rigueur, rappelle la révolte féministe contre l'ordre établi. Sauf que la jeune impulsive est motivée par les lois divines, autre grand patriarcat que celui-là, ce qui brouille un peu les cartes de l'identification.

Pour ce qui est des deux autres héroines, Déjanire et Electre, elles incarnent davantage
le vieux dada des tragédies grecques et, de son propre aveu, celui de Wajdi lui-même, qu'une quelconque insurrection féminine. "A force de lire ces auteurs, dit le metteur en scène, j'ai entendu leur message. Ne présume pas de toi. Ne dis pas : Jamais, je ne commettrai d'acte épouvantable."

La tragédie personnelle de Bertrand Cantat est l'illustration par excellence de ce précepte; on comprend que le metteur en scène y ait pensé. Sauf qu'à tant vouloir renforcer ce grand exorcisme de la douleur humaine que sont les tragédies grecques, Wajdi Mouawad, en bon intellectuel, s'est un peu perdu dans la théorie, en oubliant la pratique. Il a pensé à la symbolique, en d'autres mots, et à la réhabilitation de son ami Bertrand, mais certainement pas à Marie Trintignant ou aux millions de femmes violentées. Toute sa sensibilité était aiguisée dans un sens mais pas dans l'autre.

Personne ne nie que Bertrand Cantat a droit à refaire sa vie. De son talent, on doute encore moins. Mais il ne fallait pas le mêler à des pièces sur la douleur des femmes, bon sang, pour le peu qu'on s'intéresse rééllement à cette douleur-là.

Petite analogie: tout le monde comprend pourquoi Jean Charest s'est planté en faisant des blagues sur les étudiants, il y a quelques semaines. Non pas que l'humour du PM n'est pas bienvenu. Au contraire, c'est une de ses seules qualités par les temps qui courent. La blague, de plus, était assez drôle; c'est le contexte qui ne l'était pas.

Est-ce l'aplaventrisme du milieu culturel face à Wajdi Mouawad, et dieu sait qu'il en a, ou seulement le désintérêt crasse face aux femmes battues qui explique cet "aveuglement" digne d'une tragédie grecque?

Au moment d'écrire ces lignes, la rue Jean-Talon à Montréal est fermée pour cause de violence conjugale. Un homme, encore un autre, s'en serait pris à sa femme.

jeudi 3 mai 2012

Le gars en bobettes vs. Gabriel Nadeau-Dubois



Avez-vous vu le gars en bobettes et casque de moto? Vous l'auriez remarqué, croyez-moi, surtout si vous êtes un homme. Il s'agit d'une pub Desjardins pour l'assurance moto, et le plus criant exemple de la représentation, disons, pas toujours flatteuse de l'homo québécus à la télé. Sujet dont il a beaucoup été question, ces dernières années.

On a souvent déploré "l'image bafouée" des personnages masculins québécois dans les publicités au petit écran. L'homme en bobettes est ce tarla par excellence, perdu dans sa petite bulle vroum-vroum, qui réfère à la personne qui l'a conseillé à la Caisse comme "la madame". Sa blonde (qui lui parle comme si elle était sa mère) a vite fait de lui clouer le bec, pauvre demeuré qu'il est (du moins, il en a l'air). C'est du sexisme à l'envers. Avoir été un gars, je me serais plaint.

Curieusement, ce n'est pas du gros épais en caleçon dont on se plaint mais d'un autre jeune homme beaucoup vu au petit écran, ces temps-ci, Gabriel Nadeau-Dubois. On ne se gêne pas de parler de lui comme d'un dangereux personnage (ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil), d'un pelleteux de nuages (chroniqueur multiplateformant, Richard Martineau) et même, d'un "puant sale" (maire de Huntingdon, Stéphane Gendron). C'est dire comment ce jeune homme (à peine adulte) a pu, en trois mois, non seulement s'imposer mais combien il dérange.

Il me semble qu'on devrait plutôt se réjouir du fait que GND donne du galon à la gent masculine. Il a du nerf à revendre, est propre et bien habillé et plus articulé qu'à peu près tous les ministres du gouvernement Charest réunis. Mieux: il n'a pas la fixation de son propre nombril et croit en quelque chose de plus grand que lui-même. Bref, il a de l'idéal, une denrée rare à venir jusqu'à récemment.

Et pourtant, c'est lui qu'on cherche à chasser de l'espace public plutôt que la panoplie d'insignifiants (et j'incluerais bon nombre d'humoristes de bas étage, là-dedans) qui obstruent nos horizons politiques et culturels. Cherchez l'erreur.

En fait, avec l'élargissement du débat entourant l'accès aux études supérieures, on assiste à une polarisation de plus en plus marquée au Québec. D'un côté, ceux qui croient que la perturbation sociale a assez duré, qu'il est temps "de se ressaisir" (Voir les lucides qui persistent et signent dans Le Devoir du 2 mai). Ils demandent donc au gouvernement de mettre ses culottes et faire rentrer ses "enfants-roi" dans le rang. De l'autre, ceux qui croient qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire au Québec, que le soulèvement étudiant a permis d'évacuer l'insastifaction profonde que nous ressentons depuis combien de temps déjà?... à force d'être mal menés économiquement, mal représentés politiquement et mal imaginés culturellement.

Bref, ceux qui pensent que le projet de "changer le monde", c'est de la bouillie pour les chats (du vieux réchauffé de la go-gauche), et ceux qui croient que sans ça, on meurt, collectivement et individuellement.

Où tout ça va-t-il nous mener?...

Des élections printanières auraient été idéales, tout le monde en convient, pour dénouer l'impasse qui, plus elle dure, plus elle fait peur. Non seulement chaque partie est-elle irrémédiablement campée sur sa position,  mais chacun s'est un peu peinturé dans le coin, comme le note le confrère blogueur Jean-François Lisée: www.lactualite.com/lisee

 Avec les révélations d'hier du déjeuner de la ministre Beauchamp en présence d'un mafioso, la partie patronale perd non seulement de la crédibilité, encore une fois, ce pot aux roses donne raison aux revendications étudiantes qui visent, au-delà des droits de scolarité, une remise en question du système d'allocations politiques. Le système, on le voit bien, est pourri.

Malheureusement pour les étudiants, ils sont pris pour négocier LA chose qui les a mené dans la rue, la hausse des droits de scolarité, pas le contexte plus large et de loin plus important. Comme disait Dominic Champagne lors de la conférence de presse du 1er mai en appui aux étudiants, il y a des choses immensément plus problématiques que la hausse des frais. Le Plan Nord, par exemple. On peut se poser des questions sur la façon que nos universités sont gérées mais on ne peut remettre en question qu'elles ont besoin d'argent. On se chicane sur une question sur laquelle on devrait, en d'autres mots, pouvoir mieux s'entendre.

Les révélations concernant Line Beauchamp ayant clouées le cercueil d'élections hâtives, reste plus qu'à espérer une chose: un médiateur, on voit difficilement les parties arrivant d'eux-mêmes à une entente, afin de trouver la porte de sortie. 

Il faut surtout que le mouvement étudiant, qui nous a tous impressionnés par sa force, sa créativité et sa solidarité, puisse en sortir la tête haute. Il serait dramatique, pas seulement pour le mouvement comme tel mais pour le souffle vital du Québec, que ceux qui nous forcent, pour la première fois en 30 ans, de penser collectivement, soient bafoués au même titre que ces pauvres nonos à bobettes.