dimanche 13 mai 2012

Derrière l'affaire Shafia


Comme histoire d'horreur, on pouvait difficile faire mieux. Ou devrais-je dire pire?

Quatre femmes de la même famille assassinées, toutes en même temps, par un père "déshonoré" par le comportement de ses filles. Un petit génocide, en somme, tant la ruse était cruelle, plannifiée et éxécutée froidement. Combien de fois me suis-je représentée ces quatre femmes, dont la plus jeune n'avait que 13 ans, assises dans leur Nissan alors que le véhicule plongeait dans le canal Rideau?

Vous imaginez la panique? La lente agonie? Combien de temps avant que l'auto se remplisse d'eau? Avant que les victimes manquent d'air? ...

J'ai lu chaque mot qui a été écrit sur cette innommable tragédie. Les seuls qui m'ont un peu confortée : les victimes auraient vraisemblablement été tuées avant de plonger dans l'écluse. On ne peut le jurer, la manière qu'elles sont mortes n'ayant jamais été éclaircie, mais, ouf, au moins ça.

Raymonde Provencher qui, disons-le tout de suite, est non seulement une collègue mais une amie, n'a pas attendu les révélations horrifiques de l'affaire Shafia pour se pencher sur la question des crimes d'honneur. Depuis son premier documentaire, War Babies - nés de la haine, sur le viol de femmes en temps de guerre, elle est devenue un genre d'experte sur le sort catastrophique des femmes de par le monde. Raymonde a aussi réalisé Grace, Milly, Lucy sur des filles soldates en Afrique.

Le sujet des crimes d'honneur -- définis comme le meurtre, la défiguration, les voies de fait ou agressions sexuelles d'un membre d'une famille (généralement le père ou frère) contre un autre membre (généralement la fille) -- semblaient lui revenir d'office.

A l'affiche depuis vendredi dernier, Ces crimes sans honneur abordent la question des sévices qui attendent les femmes qui ont le malheur de désobeir aux codes de conduite prescrits par leur culture. Le film précise qu'il s'agit bien d'un "problème culturel" plutôt que religieux, la tentation d'y voir une autre manifestation de fanatisme musulman étant bien grande par les temps qui courent.

D'ailleurs, le premier crime d'honneur commis au Canada est l'acte d'un immigrant italien, en 1954. Depuis 1999, on compte 17 crimes d'honneur au Canada, incluant les quatre victimes Shafia. Ce genre de crime a passablement augmenté au cours de la dernière décennie.

Préférer tuer sa propre fille, "aussi simple que boire un verre d'eau" nous dit une protagoniste du film, plutôt qu'endurer son comportement soi-disant délinquant (se maquiller, sortir avec un garçon, s'habiller sexy...) nous paraît le summum de la barbarie et de la misogynie. Mais, en fait, y a-t-il tant de différence entre ce genre de meurtre et les 139 femmes assassinées par leur conjoint au Québec au cours des 10 dernières années?

Une étude par une chercheuse en psychologie, présentée au congrès de l'ACFAS la semaine dernière, démontre que ces homicides conjugaux ont tous été commis parce que la femme avait quitté le foyer ou était "sur le point de le faire". Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de femmes qui ont le malheur d'aller contre la volonté de l'homme de la maison, et qui le payent de leur vie. Le besoin de les contrôler et de les punir l'emporte sur tout le reste. On a beau se féliciter du chemin parcouru, pour ce qui est des sociétés occidentales, du moins, il y a encore pas mal de chemin à faire.

Mohammad Shafia, sa femme Tooba et son fils Hamed, Afghans d'origine, ont tous été reconnus coupable de meurtres prémédités et condamnés à la prison à vie. Bonne nouvelle. Mais Guy Turcotte, lui, le médecin de Piedmont qui a tué ses deux enfants pour se venger de sa femme (qui l'avait quitté), a été déclaré criminellement non responsable. Très mauvaise nouvelle que celle-là, et la preuve qu'il y a deux poids deux mesures quand vient le temps de juger des hommes qui assassinent leurs enfants, dépendant du milieu culturel dont ils sont issus.

Ces crimes sans honneur est à l'affiche à l'Excentris et AMC Forum à Montréal et au Clap à Québec.

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