mercredi 26 octobre 2016

Changer la honte de côté

Le viol n’est plus ce qu’il était. Les révélations concernant le comportement sexuel de Donald Trump, tout comme les événements récents entourant les agressions sexuelles à l’Université Laval, démontrent que ce que nous appelons d’ancienne mémoire « viol », le terme date de 1647, a énormément changé.
 
Déjà, en 1975, l’Américaine Susan Brownmiller venait démanteler la notion du Petit Chaperon rouge et du gros méchant loup. Avant la publication de son livre phare (Against our Will : Men, Women and Rape), on concevait le viol comme essentiellement un crime d’honneur, l’acte d’un dépravé qui s’en prenait à une pauvre innocente, les déshonorant, elle et sa famille, à tout jamais. Brownmiller démontra que les agresseurs n’étaient ni particulièrement détraqués ni, surtout, inconnus de leurs victimes. Qu’il ne s’agissait pas non plus d’une passion sexuelle déréglée, mais bien d’un acte de domination d’un homme envers une femme. Adieu malades mentaux cachés dans les buissons, bonjour ex en colère, étudiants saouls et collègues de bureau. Aujourd’hui, « 90 % des agresseurs sont connus de leurs victimes », dit la directrice des centres de lutte contre les agressions sexuelles, Nathalie Duhamel.
 
Au Canada comme aux États-Unis, les lois ont changéà la suite de cette révélation-choc. Dans les années 1980, le mot « viol » a été remplacé par le terme « agression sexuelle » pour souligner justement son caractère plus anodin, moins « exceptionnel », pour encourager davantage de femmes aussi à s’y retrouver et, idéalement, à porter plainte. Évidemment, ce n’est pas parce que les lois changent que les mentalités suivent. Les plaintes aux autorités policières sont encore au ras des pâquerettes, et il y a toujours quelqu’un pour dire (Alice Paquet est là pour nous le rappeler) que la victime l’a bien cherché. La notion du méchant loup et de l’innocente jeune femme comme condition nécessaire au viol, en d’autres mots, est tenace.
 
Mais, à la lumière des allégations d’agression sexuelle qui hantent aujourd’hui les campus tout comme l’élection américaine, on voit que la notion de violence sexuelle a encore évolué. D’abord, les accusations d’inconduite sexuelle qui pèsent aujourd’hui contre le candidat républicain ont participé à abaisser la barre encore davantage. « Le fait de peloter ou d’embrasser une femme sans sa permission n’aurait pas été reconnu comme une agression sexuelle il y a seulement cinq ans », dit Alexandra Brodsky, militante contre l’agression sexuelle sur les campus américains.
 
Ce n’est qu’aujourd’hui donc que les comportements de « mononcles » — les attouchements, les mains baladeuses, les farces plates — sont considérés comme faisant violence à une femme. La génération des Alice Paquet, des Ariane Litalien et des Mélanie Lemay a clairement la mèche plus courte que la mienne, et c’est tant mieux. Ce sont leurs vigiles, leurs banderoles, leurs « non veut dire non » qui ont permis aux femmes plus vieilles, dont les victimes de Donald Trump, de se plaindre de ce que, par le passé, on avalait de travers. Il faut les en remercier.
 
Mais ce qu’on voit également, c’est comment la libération sexuelle, celle qui, depuis les années 1970, n’a cessé de faire sa petite bonne femme de chemin, brouille encore davantage les cartes. Aujourd’hui, l’agression sexuelle se passe souvent, non seulement entre deux personnes qui se connaissent, mais entre deux personnes qui, toutes deux, cherchent l’aventure sexuelle. Aujourd’hui, les femmes ne sont pas traînées par les cheveux jusqu’à la chambre d’hôtel ; elles y vont de leur propre gré. Sauf que, quelque part entre l’acquiescement initial et la visite à l’hôpital le lendemain, quelque chose dérape sérieusement. Le fait d’avoir consenti initialement n’excuse pas, bien sûr, l’agression subséquente. Disons et redisons-le. D’ailleurs, la loi qui encadre l’agression sexuelle aujourd’hui précise que personne ne « peut consentir à ce qu’on lui fasse mal ».
 
Cela dit, le contexte où se passe l’agression sexuelle n’a fait que s’embrouiller avec le temps — ce qui explique le peu d’empressement des victimes à porter plainte. La sexualité a toujours été par définition une zone grise, mais elle l’est bien davantage aujourd’hui. Si la honte est pour vraiment « changer de côté », et si les femmes sont pour enfin porter plainte, il faut de toute urgence mettre l’accent sur la violence, bien davantage que sur le consentement, une notion un peu clinique, en noir et blanc, alors qu’on nage ici dans le gris foncé.
 
Pourquoi autant d’hommes utilisent-ils le prétexte de la sexualité pour humilier, brutaliser et blesser des femmes ? La voilà, la vraie question.

mercredi 19 octobre 2016

Danger: ours mal léchés

Ariane Litalien et Mélanie Lemay, deux jeunes femmes très crédibles, sympathiques, à mille lieues des « nunuches » qui, croit-on, ont le don de se mettre dans de beaux draps, livraient à Tout le monde en parle, dimanche dernier, un témoignage K.-O. Un peu comme celui qu’on espère entendre, ce mercredi soir même, de Hillary Clinton qui doit faire face pour une troisième et dernière fois à son ours mal léché, Donald Trump.

Victimes d’agression sexuelle, les deux femmes ont dit combien elles ont eu de la difficulté à se faire prendre au sérieux. « T’es sûre que t’es pas en train de te venger de ton ex ? », demande un policier à Mélanie Lemay. Le genre de sous-entendu qui attendait les étudiantes de l’Université Laval, cette semaine, à la suite de leurs propres plaintes pour inconduite sexuelle. Il aurait fallu fermer vos portes à clef, mesdames. Et le premier ministre lui-même d’en rajouter en jouant le Ponce Pilate : « C’est leur responsabilité », a dit Philippe Couillard, en pelletant dans la cour des universités.

Au moment où l’on croit faire de grands pas en ce qui concerne la violence sexuelle (merci Donald Trump, Jian Ghomeshi, Marcel Aubut, Bill Cosby…), où l’on pense voir le début du commencement d’une notion de ce que c’est que de se faire sauter dessus, on voit combien, encore une fois, on part de loin. Pourquoi est-ce donc si compliqué ? Pourquoi malgré les plans d’action, les politiques, les milliers de mains sur le coeur professant la valeur suprême de l’égalité hommes-femmes… est-on toujours à refaire la roue ?

Et pourquoi, puisqu’on y est, les plaintes ont-elles chuté de 35 % ? Selon Statistique Canada, seulement 5 % des femmes victimes d’une agression sexuelle ont porté plainte en 2014, comparativement à 8 % dix ans auparavant. L’agression sexuelle est déjà le crime le moins rapporté, pas besoin d’en rajouter. Où sont les Ariane, Mélanie et Kimberley Morin de ce monde ? « C’est signe que les préjugés sont tenaces », dit la directrice du Regroupement des maisons d’hébergement, Manon Monastesse. Et comment.

Mais disons, d’abord, qu’il y a un paquet de gens dans nos ministères qui dorment au gaz. Au Québec, il existe depuis 1995 un « comité interministériel sur la violence conjugale, familiale et sexuelle ». Cette structure inclut une douzaine de ministères, de la Solidarité sociale à la Condition féminine en passant par la Justice et l’Éucation, qui, chacun, doit voir à appliquer « la prévention, la promotion égalitaire, l’intervention psychosociale et judiciaire » en ce qui concerne la violence faite aux femmes. Est-ce parce que l’initiative était celle d’un gouvernement péquiste que Philippe Couillard se sent autorisé à lui tourner le dos ? On peut d’ailleurs se demander si les coupes de son gouvernement n’ont pas fini par complètement neutraliser cette initiative.

Et puis, bien sûr, les fameux préjugés. Les femmes ont peur d’être jugées, mal accueillies, ridiculisées. Et « parce qu’on est en 2016 » n’y change pas grand-chose. Les femmes qui osent hausser le ton, réclamer leur voix au chapitre se font parfois violemment rabrouer. Tenez, un partisan de Trump, Dan Bowman, vient d’invoquer l’assassinat de Hillary Clinton en ondes : « Clinton needs to be taken out » (On doit éliminer Clinton). Autre exemple dégoulinant d’actualité : à la suite de la publication deLes Superbes, un ouvrage collectif sur « le succès et les femmes », un certain Vincent Olivier (photo à l’appui) vient de twitter : « wow malade ! de l’au-delà Marc Lépine a mis à jour sa fameuse liste #lol ». Parlant de l’homme de Polytechnique, un admirateur anonyme m’envoie la photo de Lépine environ toutes les trois semaines au Devoir.Drôle à mourir.

On veut bien croire qu’il y a là-dedans le phénomène de la petite vermine qui prolifère dans les coins sombres et marécageux des réseaux sociaux. Mais quand on est à invoquer le meurtre de femmes à visière levée, même si prétendument à la blague, l’égalité si chère à nos coeurs (et valeurs) est peut-être moins acquise qu’on le pense. De jeunes hommes ne se croiraient pas autorisés à arracher les vêtements de leurs consoeurs lors d’initiations universitaires ou à s’introduire dans leur chambre la nuit si le mépris des femmes ne courait pas toujours les rues. Les ours mal léchés sont malheureusement plus nombreux qu’on le pense.

jeudi 13 octobre 2016

Le Tripoteur-en-chef

Il ment comme il respire, dit des énormités sur les Mexicains, les Noirs et les musulmans, se moque des handicapés, incite ses partisans à varloper ses adversaires, refuse de se distancier du Ku Klux Klan ou de Vladimir Poutine, ou encore de produire sa déclaration de revenus, du jamais vu pour un candidat à la Maison-Blanche. Comble d’arrogance, il a omis de payer ses impôts pendant 20 ans et, sombrant dans le parfait délire d’un petit potentat de république de bananes, menace maintenant de jeter Hillary Clinton en prison !

Chaque semaine, les Américains découvrent une nouvelle raison pour laquelle Donald Trump ne devrait (vraiment) pas être élu président. Mais c’est l’aveu de disposer des femmes comme il le veut qui, curieusement, risque de le renvoyer au vestiaire. Pour ceux d’entre vous qui faisaient une cure de sommeil, vendredi dernier, je vous le donne en mille : « Quand t’es une star, elles te laissent faire. Tu peux faire ce que tu veux, les empoigner par la chatte… »

Depuis la diffusion de cet enregistrement, les bons soldats républicains, ceux qui jusqu’ici se bouchaient les yeux, les oreilles et le nez pour mieux appuyer l’abominablelocker-room boy (dont le leader républicain Paul Ryan), tombent comme des mouches. La candidature de Trump a été marquée par plusieurs vagues de désaffection républicaine, mais jamais comme celle-ci. Malgré une meilleure performance dimanche dernier, la vedette de la téléréalité, de l’avis de plusieurs, ne saurait se remettre de cette ultime vantardise, celle d’agresseur sexuel en série.

La vengeance est douce au coeur de l'indienne. On aimerait croire que le « tripoteur-en-chef », comme le surnomme le New York Times, périt par là où il a péché. Depuis le début de la campagne, Trump a dégradé, humilié et sexualisé les femmes sur son chemin, en commençant par la journaliste Megyn Kelly, « le sang lui sortait de… je ne sais où », disait-il lors du premier débat de la course, en passant par l’ex-Miss Univers Alicia Machado, trop toutoune à son goût et donnant prétendument dans le « film porno », pour finir avec Hillary Clinton, qu’il a traitée de faible femme (« no stamina ») incapable de mener campagne, encore moins de diriger le pays, et allant même, dimanche dernier, jusqu’à lui faire porter l’odieux des frasques sexuelles de son mari.

Pourtant, il n’y a rien de vraiment surprenant dans les propos dégradants de Trump. Ces paroles révèlent parfaitement qui il est : un homme qui utilise les femmes comme des trophées pour mieux épater la galerie. « Heh, heh, heh », ricanait l’animateur Billy Bush, à qui il admettait son penchant de prédateur sexuel. Et, comme le révèle la complicité grivoise du cousin de l’ex-président George W. Bush, ce type de comportement n’est pas exactement réservé à Donald Trump non plus. Ce n’est pas par hasard si le candidat républicain invoque les nombreux dévergondages de Bill Clinton depuis une semaine. Si les propos étaient singulièrement grossiers, le comportement, lui, n’a rien d’exceptionnel ; il court les rues. Aux États-Unis, une femme est agressée sexuellement toutes les deux minutes.

Il y a une certaine hypocrisie, donc, dans les réactions outrées aux propos de Trump. Le fait que le comportement évoqué ici est carrément illégal, pas seulement hautement suspect, contrairement aux autres tares du roi du bling-bling, y est sans doute pour quelque chose. Mais, plus que tout, je pense qu’on assiste ici au phénomène de la goutte. Il y a bien toujours une limite à endurer la bêtise, l’ignorance, la misogynie, le racisme, l’autoritarisme et l’intimidation. Comme dans le supplice légendaire chinois, à un moment donné, on se retrouve avec un trou dans le front.

La menace que représente Donald Trump n’est pas d’abord sexuelle ni pour les femmes. Elle est d’abord et avant tout pour la démocratie tout court, comme le démontre l’engagement tenu, lors du dernier débat, de mettre son adversaire en prison. Du jamais vu, encore une fois, et bien plus surprenant que les propos lascifs sur les femmes. Mais comme ce type d’autocratie est beaucoup plus difficile à saisir, règle générale, que l’agression sexuelle, il faut se réjouir du rôle que les femmes ont joué lors de cette campagne. Il s’agissait d’ailleurs de voir Trump faire les cent pas derrière Hillary Clinton, dimanche, le visage obtus, l’agressivité à peine contenue, pour comprendre la menace qui se dégage de cet homme exécrable.

mercredi 5 octobre 2016

La supériorité masculine

Étiez-vous parmi les millions de spectateurs qui ont syntonisé le débat Trump-Clinton ? Parmi les milliers qui se sont tapé les derniers tours de piste des prétendants à la tête du PQ ? Des moments importants moins pour les idées présentées que pour ce qu’ils révèlent de l’attitude des candidats. Lors de ces tours de chant assortis de combats de boxe, c’est bien davantage une question de langage corporel, de ton et de symbolique que de contenu.

Le face à face entre Hillary Clinton et Donald Trump nous en a mis plein les yeux à cet égard. L’événement a non seulement souligné le pathétisme du candidat républicain, il a mis en pièces la notion selon laquelle les hommes, avec leur carrure, leur agressivité plus spontanée et leur confiance en soi, excellent à ce type d’affrontement. « Dans les annales de l’émancipation des femmes, le triomphe de Hillary Clinton sur Trump pourrait bien marquer le moment où la notion de la supériorité masculine a été anéantie pour de bon »écrit l’essayiste canadienne Linda McQuaig.

Pendant des siècles, on a maintenu que les femmes étaient trop frêles, trop émotives, trop peu intéressées par l’administration publique pour en mériter l’exercice quotidien. Or, lors de ce Super Bowl de la politique américaine, la personne qui portait le pantalon n’était pas celle qu’on pense. « En nous montrant que l’être bavard, médisant, chicanier, changeant, émotif, acariâtre et ménopausé n’était pas en fait la femme […]Trump nous a rendu un fier service »dit la chroniqueuse du New York Times Maureen Dowd. Qu’on aime ou non Hillary Clinton, sa supériorité intellectuelle, morale, physique même, crevait l’écran.

On ne saurait en dire autant du côté de la course à la chefferie du Parti québécois. Le fait, d’abord, qu’une seule femme se trouve en lice, alors qu’elles étaient quand même deux lors de la première course en 1985 (Pauline Marois et Francine Lalonde), montre la difficulté toujours très actuelle d’être une femme en politique. En d’autres mots, la victoire de Hillary Clinton (et encore faut-il qu’elle triomphe pour de vrai) ne s’étend pas miraculeusement aux autres combattantes dans l’arène. Et puis, il y a ce que j’appelle le mystère Martine Ouellet.

La députée de Vachon est la seule qui n’a pas réussi à avancer ses pions lors de cette course. Alexandre Cloutier, malgré ses difficultés à s’imposer pour de bon, demeure M. Populaire, celui qui a amassé le plus grand nombre d’appuis à l’intérieur du caucus. Paul St-Pierre Plamondon a démontré qu’il était plus qu’un simple opportuniste en faisant preuve d’un idéalisme qu’on croyait disparu au PQ. Et Jean-François Lisée, lui, a carrément réussi l’impossible : partant de loin derrière, à peu près à égalité avec Martine Ouellet d’ailleurs, il s’est catapulté comme un boulet de canon aux premières loges. Il a même réussi à refiler la chape de l’empêcheur de tourner en rond à sa collègue ainsi que le titre du candidat le plus désagréable.

Quel est donc le problème de Martine Ouellet ? Il y a longtemps que je me pose la question. Pourquoi n’a-t-elle toujours aucun appui à l’intérieur du PQ ? Il y a bien sûr sa proposition casse-gueule de tenir un référendum au plus vite. Si l’idée manque terriblement de jugement pour ce qui est de l’ensemble de la population, elle doit bien plaire aux élus qui tiennent à l’article 1, à la raison d’être du parti. C’est difficile de reprocher à quelqu’un d’être fidèle à ses principes. Non, son problème, à mon avis, est ailleurs.

La députée semble souffrir de ce qu’on appelle en anglais « a chip on the shoulder », d’un sentiment de persécution qui la pousse à montrer ses collègues inélégamment du doigt, à constamment interrompre, à faire des déclarations à l’emporte-pièce. « C’est moi qui l’ai gagné, ce débat-là », affirmait-elle après le débat au Monument-National. La candidate en beurre souvent épais, ce qui tient peut-être à sa personnalité, mais probablement davantage au fait d’être une femme dans la fosse aux lions.

J’ai souvent dit qu’il était difficile pour les femmes publiques de trouver le bon ton. De peur d’avoir l’air faible ou insignifiante, on a tendance à trop en mettre, à hausser le volume, que ce soit dans les médias, en politique ou ailleurs. Une préoccupation que les hommes n’ont généralement pas. Martine Ouellet, avec sa tendance à surcompenser, sa méfiance de ses adversaires, m’apparaît un bon exemple de cette peur de ne pas être à la hauteur, de cette crainte de se faire manger la laine sur le dos, du fait d’être une femme.

« Allez, viens, Martine, on se colle », lui lançait l’adversaire Lisée pour l’obliger à serrer les rangs pour la photo de groupe, lundi soir. Bonne indication que cette notion de supériorité masculine n’est pas entièrement chose du passé.