mercredi 27 janvier 2021

Au suivant!...

 Les compagnies pharmaceutiques ont épaté en produisant des vaccins contre la COVID-19 en moins d’un an. La science, conjuguée à l’appât du gain, a fait ici des miracles. Mais pour ce qui est de la distribution du produit tant attendu, c’est une autre paire de manches. Très peu de pays agissent actuellement avec un véritable sentiment d’urgence — à l’exception d’Israël qui a déjà vacciné 44,5 % de sa population. Le Canada ? Environ 2 % en date du 25 janvier, encore moins que nos voisins américains (7 %) qui se sont pourtant démarqués par leur ineptie durant la pandémie.

Que se passe-t-il ? L’approvisionnement est en partie en cause. Bien que 400 millions de doses aient été négociées par le gouvernement Trudeau — assez pour immuniser la population entière plusieurs fois — moins de deux millions de doses ont été reçues jusqu’à présent. Sachant l’avidité avec laquelle nous attendons tous cette venue du messie — 74 % des Canadiens disent vouloir le vaccin — pourquoi la torture au compte-gouttes ? Mystère. Les contrats entre le gouvernement fédéral et les géants pharmaceutiques étant secrets, il est impossible de connaître les conditions négociées ni même le prix payé pour chacune des doses — ce qui pourrait bien avoir un effet sur la qualité de service après-vente.

Manque de transparence, encore une fois, dans la gestion de cette pandémie où nos gouvernements ne cessent de prétendre à un contrôle qu’ils n’ont manifestement pas. Mais il n’y a pas que le fédéral, les provinces ont aussi une part essentielle à jouer dans la campagne de vaccination. Au Québec, on se targue d’être parmi les premiers de classe pour ce qui est de la distribution du vaccin, mais son déroulement, ici aussi, souffre de manque d’efficacité et de transparence. Le modèle, semblable d’une province à l’autre, est bureaucratique à souhait. Un exemple de son dysfonctionnement ? On a nommé un militaire à la tête des opérations tout en boudant les médecins et infirmières de première ligne. Selon le modèle proposé, la Santé publique doit procéder à la vaccination massive par le biais de cliniques désignées et de pharmacies seulement.

« Personne ne sait exactement quel pourcentage de la population doit être vacciné afin d’atteindre l’immunité collective », écrit dans le Globe and Mail Vincent Lam, un omnipraticien torontois qui plaidait récemment pour la mobilisation des médecins de famille dans la lutte contre le coronavirus. « Mais si nous voulons vacciner assez de gens pour y arriver, il faut que les omnipraticiens soient au cœur de la campagne. »

Qui sont ceux qui, mieux que les médecins de famille, ont la santé des gens à cœur ? Connaissent leur bilan médical ? Sont susceptibles de vaincre les réticences face à la vaccination ? Sans parler du simple accès. Il y a plus de 11 000 omnipraticiens au Québec, multipliez ce nombre par quelques centaines de patients par semaine et vous vous retrouvez avec du monde à la messe. Et, pourtant, les omnipraticiens ne font pas partie de la stratégie vaccinale à l’heure actuelle. Selon le Dr Lam, ils n’ont pas non plus accès au registre central identifiant les personnes qui ont été vaccinées à ce jour.

On reproduit ici l’erreur fondamentale de la gestion de la pandémie depuis le début : le personnel le mieux outillé à venir en aide aux patients ne se retrouve tout simplement pas dans l’équation. Une fois le diagnostic de COVID posé, on ne traite pas les malades, on les confine à domicile en croisant les doigts. On impose des mesures sociales plutôt que des soins médicaux et puis, ô surprise, quand les conditions s’aggravent, on n’a pas d’autre choix que d’envoyer les malades dans les hôpitaux. Avec les conséquences qu’on sait, et qu’on redoute, tant pour les hôpitaux que pour les malades.

Derrière ce vice de forme évident se dessine un vice plus profond : la hiérarchisation du système de santé dont le Québec, en particulier, a le secret. Les « soins de proximité » dans cette province ont subi un échec après l’autre — la faillite des CLSC (1971), de la « réforme ambulatoire » (1995), des soins à domicile (2014) — préparant ainsi le terrain aux méga hôpitaux et aux médecins spécialistes. Ce sont eux qui aujourd’hui ont le haut du pavé, les médecins et infirmières de première ligne venant, on le voit bien, loin derrière.

Encore plus bas dans l’échelle des priorités venait, jusqu’à récemment, la Santé publique. La pandémie a remis en question ce parti pris, et c’est tant mieux. Mais bien que valorisée au moment où l’on se parle, la Santé publique traîne quand bien même de vieilles lacunes. On ne passe pas des décennies dans la cave de la maison familiale, privés de visibilité et de ressources, sans que ça ne paraisse un peu. On le voit dans les interventions un peu trop improvisées du Dr Arruda, dans le manque d’études sérieuses derrière certaines décisions et, surtout, le manque de préparation face à la pandémie dès le départ.

Il n’est pas trop tard pour revoir la stratégie de vaccination et inclure ceux et celles qui ont une véritable expérience de terrain. Rien n’est plus crucial, après tout, que le succès de cette campagne.

mercredi 13 janvier 2021

La brutalité étatique

 Oscar Anibal Rodriguez, un « ange gardien » comme il s’en fait encore trop peu, est mort seul chez lui lors du Nouvel An. Un homme excessivement prudent qui ne répondait apparemment jamais à sa porte sans d’abord mettre un masque, il est le premier travailleur de la santé à mourir du coronavirus dans la région de Québec. Ayant répondu à l’appel du gouvernement en juin, M. Rodriguez travaillait au CHSLD Saint-Antoine — un endroit durement touché par la COVID et qui a d’ailleurs été le premier au pays à distribuer le vaccin. Curieusement, Oscar Rodriguez, un informaticien argentin vivant au Québec depuis quelques années, n’aurait pas reçu le vaccin, contrairement à bon nombre de ses collègues. Diagnostiqué aux alentours du 24 décembre, atteint « d’un peu de fièvre » le 28, il a été trouvé mort le matin du 2 janvier.

On sait le virus particulièrement traître dans certains cas, et peut-être M. Rodriguez cachait-il quelques vulnérabilités derrière ses dehors d’armoire à glace. Mais bon. Comment un homme solidement bâti de 58 ans peut-il mourir en l’espace d’à peine une semaine ? Pourquoi n’a-t-il pas reçu de vaccin, d’abord, et surtout, pourquoi n’a-t-il eu aucun suivi médical ? Pourquoi des milliers de personnes atteintes du virus sont-elles, elles aussi, simplement sommées de rentrer chez elles ? Sans plus ? Où est la légendaire première ligne ? Les CLSC, les médecins de famille, les « super infirmières » ? L’isolement, on veut bien, pour prévenir la contagion. Mais pour guérir ? C’est un peu court. Si l’on veut préserver à tout prix les soins hospitaliers, ce sont des soldats dans les tranchées qu’il nous faut.

Le sort d’Oscar Rodriguez rappelle, encore une fois, que la véritable catastrophe au sein de cette pandémie n’est pas tant les restrictions qu’elle nous impose, mais le foutu système de santé. Un système qui, avec chaque nouvel événement, illustre son manque de coordination, de personnel, d’équipement, de transparence et sa survalorisation des centres hospitaliers au détriment de la toujours sous-estimée première ligne.

Un autre exemple ? Celui-ci concerne la belle-mère d’une amie, une femme de 89 ans qui vit dans une résidence pour aînés autonomes à Montréal. Elle s’y plaît bien et se porte bien aussi pour son âge — du moins, jusqu’à dimanche dernier où, après avoir été déclarée atteinte du virus, la vieille dame a été transportée à l’hôpital. Cette résidence n’a connu que trois cas d’infections, dont celui de Mme M (appelons-la ainsi), et un décès. Du moins, si on se fie aux chiffres colligés par le gouvernement. Seulement, l’histoire de Mme M laisse croire que d’autres cas ne tarderont pas à se manifester.

Mme M a commencé à avoir de légers symptômes (nez bouché, mal de gorge) le 3 janvier.

Toute la semaine précédente, elle avait reçu la visite d’employées de l’immeuble, des femmes travaillant d’ordinaire à la cafétéria, afin de prendre sa température deux fois par jour. Mesures imposées, en plus d’un isolement de 7 jours, pour les résidents qui, comme elle, avaient eu la chance de visiter leur famille à Noël (avec toutes les précautions d’usage, bien entendu). Lors d’une de ces visites, la « préposée » terminera la séance en enlevant sa blouse de protection, la remettant ensuite à sa patiente en lui demandant de la mettre aux poubelles. On voit un peu le degré d’improvisation. Dans cet établissement, il y a bien une infirmière sur place, mais de 8 h à 16 h seulement, pour une clientèle de plus de 300 personnes. Incapable, en d’autres mots, de vraiment faire son travail d’infirmière.

Quatre jours plus tard, la vieille dame se sent un peu plus mal (diarrhée, vomissement) et demande à voir l’infirmière afin de subir un test de dépistage. La fille de Mme M se fait tester également, car l’infirmière croit que c’est elle, la fille, qui a dû infecter sa mère. Fausse piste. Le foyer d’éclosion est intérieur : plusieurs employées de la cafétéria sont porteuses du virus, admet le gestionnaire de l’immeuble lors d’une communication interne. (Les chiffres du gouvernement, soit dit en passant, ne tiennent pas compte de ces cas d’infection). Pendant ce temps, la médecin de famille de Mme M, malgré une demande de sa fille, n’est toujours pas dans le décor. Il n’y a personne pour soigner les symptômes — l’ABC de la médecine, comme dirait un médecin de mon entourage — sauf sa fille et sa blonde qui lui font parvenir par la bande des boissons contre la déshydratation.

Sans soins à domicile, sans soutien de sa famille, sans informations solides sur son état de santé — ni la patiente ni la famille ne seront informées des résultats du test de la malade —, comment se surprendre que Mme M se retrouve aujourd’hui à l’hôpital ? Où, heureusement, son état ne laisse pas craindre pour sa vie.

Au moment où de nouvelles restrictions déclenchent de nouvelles récriminations contre le gouvernement, mettons le doigt, au moins, sur le véritable bobo. La vraie « brutalité étatique » n’est pas ici la violation des droits et libertés individuels, mais plutôt le laisser-aller dans lequel languit le système de santé depuis trop longtemps.