mercredi 27 novembre 2013

Tasse-toi, Beethoven

Le sujet est controversé et loin d’être évident, mais selon la journaliste américaine Hanna Rosin, nous touchons à « la fin des hommes ». Dites « bye-bye mon cowboy » à 200 000 années de domination masculine et dites bonjour à la montagne de femmes qui vont prendre le relais. Vous n’en êtes pas convaincus ? Moi non plus, mais sachez que le public qui assistait récemment à un débat sur la question, The End of Men, d’emblée dubitatif lui aussi, s’est surpris à changer d’idée. En arrivant au chic Roy Thomson Hall à Toronto, les gens ont voté 84/16 en faveur de la pertinence des hommes ; à la fin, ils n’étaient plus que 56/44 à le penser.
  Cette domination féminine s’expliquerait du fait que les femmes, en plus de mieux réussir leurs études, sont mieux adaptées à la nouvelle économie de services qui exige des qualités « traditionnellement féminines » telles la communication, l’empathie, la patience et la solution aux problèmes de tous les jours. Selon Hanna Rosin, les femmes seront donc de plus en plus nécessaires, et les hommes, de moins en moins.
  Pour sa part, la croustillante Maureen Dowd du New York Times, qui a elle-même publié Are Men Necessary ? en 2003, écrivait récemment : « Les hommes sont-ils nécessaires ? Non. Et je peux vous le prouver en huit mots. Rob Ford, Ted Cruz. Dick Cheney. Anthony Weiner. » Dowd en rajoutait samedi dernier en exposant le piteux état du chromosome Y, le grand architecte du sexe masculin, que le renommé biologiste James Page décrit comme un gars avachi dans son fauteuil, entouré de boîtes de pizza vides, incapable de prendre rendez-vous chez le médecin sans l’aide de sa blonde.
  Vous l’ignoriez sans doute, mais il y a environ 200 à 300 millions d’années, « au moment où nous quittions la compagnie des oiseaux », le chromosome Y est tombé en crise : il s’est mis à perdre des gènes et ratatiner sur place. Même s’il s’est ressaisi depuis — il y a de ça 20 à 30 millions d’années, au moment où nous devenions des grands singes, juste à temps pour entreprendre sa longue carrière de « pilleur, ravisseur et conquérant » —, le dénommé Y, comparé au « plantureux X », n’est toujours pas beau à voir. Des biologistes spéculent d’ailleurs sur la disparition du chromosome Y d’ici 100 000 à 10 millions d’années. La raison est simple : Y est incapable de se régénérer lui-même, mais X, le chromosome associé au sexe féminin, oui. Ça s’appelle la parthénogenèse.
  Quelqu’un pourrait-il svp en avertir le PQ et ses porte-voix ? Qu’on cesse de se déchirer la chemise en invoquant des « océans de sang » et en fantasmant sur le supposé totalitarisme qui nous guette. Bientôt (en termes astrophysiques, s’entend), l’égalité homme-femme sera une question non seulement révolue, mais inexistante.
 
Bouleversement sismique
  Blague à part. Même si on peut trouver un brin utopique la vision d’un nouveau matriarcat (Rob Ford trône toujours à Toronto, après tout), un profond changement est certainement en train de se produire. Nous vivons l’équivalent d’un bouleversement sismique en ce qui concerne le rôle des femmes. Mieux encore que le phénomène Mélanie Joly, la bataille pour Toronto-Centre remportée lundi par la libérale Chrystia Freeland, mais drôlement bien disputée par la néodémocrate Linda McQuaig, toutes deux redoutables femmes de contenu, est un exemple de ce qui s’en vient. De plus en plus, les femmes quittent les seconds violons pour prendre une place beaucoup plus importante, jusqu’à occuper, comme dans ce cas, toute la place.
  À mon avis, c’est précisément parce que les plaques tectoniques des genres sont en train de bouger sous nos pieds qu’on assiste, dans ce satané débat sur la Charte, à des divisions ô combien acrimonieuses. Les disciples de Djemila, toujours prompts à applaudir une vision apocalyptique du monde, ne voient que l’ordre ancien où les femmes sont des victimes, et les hommes, des bourreaux. Même confrontés à des femmes ayant pris leurs propres décisions (que ce soit par rapport au voile, à la prostitution ou à autre chose), ils sont incapables de le croire. L’idée que des femmes puissent exercer un libre arbitre ne leur rentre tout simplement pas dans la tête. Bien qu’il demeure troublant de voir une femme en niqab, il ne s’agit quand même pas d’un phénomène du même type s’il est dicté par en haut ou s’il procède d’un choix individuel. Être incapable de faire la différence, c’est perpétuer l’infantilisation des femmes, les condamner à toujours être perçues et traitées comme des idiotes. Bref, c’est faire la job du patriarcat à sa place.
  Nous sommes aujourd’hui à un point de non-retour en ce qui concerne les femmes : ou nous regardons derrière, ressassant sans cesse les mêmes vieilles embûches, ou nous regardons devant, en faisant confiance aux femmes et aux changements dont nous sommes nous-mêmes responsables.

dimanche 17 novembre 2013

L'Hôpital juif de Montréal


Si par hasard vous êtes un habitué des hôpitaux montréalais, vous savez déjà que l'Hôpital général juif (HGJ) est parmi les plus agréables de la métropole, en autant qu'on puisse décrire un hôpital ainsi. Au 3755 chemin de la Côte-Ste-Catherine, on a moins l'impression d'être happé, sitôt entré, par le sort (mortel) de l'humanité, ou de se perdre dans un méandre nauséabond de corridors vert bile. De construction plus récente, le HGJ est plus grand, plus lumineux et plus convivial. C'est d'ailleurs ici que l'ex Premier ministre Jacques Parizeau a été traité pour un problème cardiaque en 2010.

Depuis sa fondation en 1934, le Jewish, malgré son nom et sa mission communautaire, dessert "les malades de toutes les croyances et de tous les milieux", ainsi que tous les hommes politiques qui s'y présentent. Le HGJ est parmi les meilleurs hôpitaux à Montréal et, avis aux Janette, parmi les plus performants. Seulement, à venir jusqu'à maintenant, il l'a fait le kippa, le turban et le hidjab bien accrochés. À vue de nez, environ un tiers des employés portent un signe "ostentatoire" dont, non le moindre, le nouveau directeur général, le Dr. Lawrence Rosenberg, qui, on soupçonne, n'a aucunement l'intention, depuis le temps qu'il l'a porte, d'enlever sa calotte.   Bref, c'est l'endroit au Québec où l'on retrouve le plus d'ostentatoirisme au pouce carré, du moins dans un organisme public.

Qu'adviendra-t-il de l'hôpital général juif dans un Québec rigoureusement laïque?

Je parierais que cette question a été au centre des débats du cabinet des ministres, le genre de discussion que le responsable de la charte de la laïcité, Bernard Drainville, garde pour lui, tout comme le contenu des 26,000 courriels reçus par son ministère. La "question du Jewish" a dû certainement motiver le droit de retrait offert dans un premier temps aux établissements d'enseignement et de santé. Car comment pourrait-on interdire l'apparât religieux dans un endroit créé précisément pour des raisons religieuses? Pourtant, c'est ce que le gouvernement Marois s'apprête à faire avec son projet de loi 60. Le droit de retrait initial s'étant métamorphosé en simple droit de transition, l'HGJ aura en tout et partout neuf ans pour rentrer dans le rang de la neutralité. Il n'aura plus le loisir de pointer ses origines religieuses pour obtenir une exemption, ce qui revient à nier sa légitimité, ni plus ni moins.  C'est un peu comme si le Canada sommait le Québec de passer à l'anglais, après une période d'ajustement, au nom d'une soi-disant harmonie collective.

 L'Hôpital général juif a vu le jour il y a 80 ans pour subvenir aux besoins d'une communauté qui, vu la mainmise des églises chrétiennes sur le réseau de santé, sentait le besoin d'avoir ses propres établissements. Le besoin était particulièrement criant vu l'augmentation de la communauté juive à l'époque. Entre 1901 et 1931, la population juive passe de 7,000 à 60,000 au Québec, une augmentation de 800%.  Les juifs de l'Europe de l'Est fuient la persécution et Montréal, où l'on trouve une communauté juive établie depuis 1768, est une destination de choix. C'est d'ailleurs au Bas Canada (le Québec d'alors) que les juifs ont obtenu, en 1832, la reconnaissance de leurs droits civiques pour la première fois au sein de l'empire britannique.

Seulement, l'accroissement de la population du début du 20e siècle n'est pas sans attiser l'antisémitisme. On connait tous l'histoire d'Adrien Arcand et ses chemises brunes; on a tous vu la célèbre affiche de Ste-Agathe-des-monts ("On est un village canadien-français. Pas de Juifs ici"). En fait, les juifs d'alors vivent, en plus exacerbé, ce que les musulmans vivent aujourd'hui : ils sont ceux par qui le malheur arrive. Le besoin de se retrouver dans un établissement à eux, à la fin des année 20, est criant et, malgré le krach économique, ils réussissent à recueillir 1$ million à cette fin.

Plus qu'un simple hôpital, le Jewish est une plaque tournante d'une communauté qui, toujours un peu inquiète pour sa survie, est autosuffisante comme nulle autre. La religion juive, en tant qu'identité culturelle surtout, est le ciment de cette congrégation qui, à maints égards, est au Québec ce que le Québec est au Canada : une société distincte qui veut maintenir coûte que coûte sa spécificité culturelle. Ne pas voir ça, c'est non seulement ignorer le rôle de la religion dans la construction d'une identité culturelle, c'est nous méconnaître nous-mêmes. C'est ne pas comprendre que plus on voudra aplanir, affadir et uniformiser la place publique, si ce n'est que de façon restreinte, plus on risque de rendre l'existence même du Québec, basée sur le droit à la différence, plus fragile.   

Vive la différence.

mercredi 6 novembre 2013

L'attrait du vide


Vous vous êtes tous posé la question au moins une fois, j’en suis sûre. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Dans votre milieu de travail, en regardant la télévision ou en apprenant le résultat des dernières élections, vous vous êtes demandé comment un tel a bien pu être promu, élu, ou simplement récompensé. Le gars qui fait partie des meubles au travail, le gars « moyen » dont la principale caractéristique est de ne pas faire de vagues, nommé, contre toute attente, à un poste de direction. Surprise. Ou encore, la fille qui vient d’être embauchée mais qui se retrouve chouchoutée par la direction pour aucune autre raison (évidente) que son empressement à plaire. Grincement de dents.
  « Il n’y a pas de justice », disait une des personnes invitées par Le Devoir à commenter les élections. Sûr qu’avec la double victoire de Denis Coderre et de Mélanie Joly - lui, comme maire élu, elle, comme star de la campagne -, on n’a pas fini de se poser des questions. À Montréal, comme le faisait remarquer Gabriel Nadeau-Dubois, les candidats avec le moins de contenu sont arrivés en premier et ceux, avec beaucoup plus à offrir, en dernier.
  De la simple irritation, permettez-moi de tomber ici dans la déprime (momentanée, assurez-vous). Bien que plusieurs tentent de minimiser la victoire de Denis Coderre en rappelant que les deux tiers de l’électorat n’ont pas voté pour lui et qu’un pourcentage plus élevé encore n’a pas voté du tout, si on ajoute Mélanie Joly dans la balance, ce sont quand même 59 % des électeurs qui ont choisi les claques dans le dos et/ou le flair promotionnel plutôt que des propositions plus solides. Comme si la métropole n’était pas suffisamment affaiblie par la corruption et le manque de ressources, il fallait maintenant lui ajouter une propension pour les formules creuses.
  Bien sûr, l’aptitude pour le jeu politique a joué dans la balance. Le don d’attirer l’attention, de créer un phénomène d’adhésion, de savoir se péter les bretelles sans jamais verser dans l’arrogance, est un jeu auquel Denis Coderre et Mélanie Joly excellent tous les deux. En plus de leur carte maîtresse - lui, vieux routier au coude bien huilé, elle, jeune ingénue dégageant la fraîcheur -, ils transpirent tous les deux l’assurance et l’estime de soi tout en sachant (ô mystère) rassurer les gens. Formule gagnante qui a clairement fait défaut aux deux autres candidats.

Bêtes politiques
  Denis Coderre et Mélanie Joly sont de vraies bêtes politiques, alors que Richard Bergeron, pas tellement ; et Marcel Côté, pas du tout. Quand même, permettez-moi de m’apitoyer un instant sur le sort qu’on réserve aux gens qui ont mis des années à réfléchir à ce dont Montréal a besoin, pas seulement le transport, l’obsession de cette campagne, mais la culture, le développement urbain, économique, la gestion et j’en passe. Des hommes qui, dans le cas de Richard Bergeron du moins, ont mis des années à construire un véhicule pour mener ces idées à bon port, et qu’on balaie finalement du revers de la main pour cause de sourire crispé et de supposé dogmatisme. Et les idées, bordel ? Admettez que c’est cruel comme jeu, pas seulement pour les deux hommes en question, mais pour les intellectuels en général, et l’avenir de la métropole en particulier.
  À sa manière de bon père Noël au ton bourru, Denis Coderre résumait, lundi, sa vision des choses ainsi que son dédain à peine dissimulé pour Projet Montréal. « Les gens ont soupé des lignes de parti. On est une administration. Notre rôle, c’est de donner des services. » Remarquez, il se peut que cette philosophie de cafétéria soit salutaire à Montréal dans l’immédiat. Il se peut aussi que le p’tit gars de Montréal-Nord s’avère un bon gestionnaire, ce qu’on ignore pour l’instant. Il se peut même que Mélanie Joly demeure fidèle à ses engagements et poursuive ce qu’elle a commencé. « On verra », comme dirait François Legault.
  Pour l’instant, nous sommes « officiellement pognés », comme disait Coderre lui-même, avec une copie quasi conforme de Jean Chrétien : même culte du gros bon sens, même humour redoutable, même amour du « concert d’orteils » - comme disait Jacques Parizeau de la politique -, même colère à peine contenue devant ceux qui osent critiquer. La différence, et elle est de taille, littéralement et intellectuellement, c’est que Chrétien a fait du surf pendant 10 ans sur l’héritage de son prédécesseur, qui lui, au moins, en avait des idées. Mais, bon, l’ère de transition dans laquelle nous nous trouvons a peut-être davantage besoin de quelqu’un qui sait composer des menus du jour que de projeter Montréal dans l’avenir. Qui sait ?
  Ne reste plus qu’à souhaiter que quatre ans suffisent à faire le passage de l’ère du vide et du désengagement à une époque autrement plus emballante pour Montréal et ses habitants. Nous méritons mieux, c’est sûr.