mercredi 6 novembre 2013

L'attrait du vide


Vous vous êtes tous posé la question au moins une fois, j’en suis sûre. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Dans votre milieu de travail, en regardant la télévision ou en apprenant le résultat des dernières élections, vous vous êtes demandé comment un tel a bien pu être promu, élu, ou simplement récompensé. Le gars qui fait partie des meubles au travail, le gars « moyen » dont la principale caractéristique est de ne pas faire de vagues, nommé, contre toute attente, à un poste de direction. Surprise. Ou encore, la fille qui vient d’être embauchée mais qui se retrouve chouchoutée par la direction pour aucune autre raison (évidente) que son empressement à plaire. Grincement de dents.
  « Il n’y a pas de justice », disait une des personnes invitées par Le Devoir à commenter les élections. Sûr qu’avec la double victoire de Denis Coderre et de Mélanie Joly - lui, comme maire élu, elle, comme star de la campagne -, on n’a pas fini de se poser des questions. À Montréal, comme le faisait remarquer Gabriel Nadeau-Dubois, les candidats avec le moins de contenu sont arrivés en premier et ceux, avec beaucoup plus à offrir, en dernier.
  De la simple irritation, permettez-moi de tomber ici dans la déprime (momentanée, assurez-vous). Bien que plusieurs tentent de minimiser la victoire de Denis Coderre en rappelant que les deux tiers de l’électorat n’ont pas voté pour lui et qu’un pourcentage plus élevé encore n’a pas voté du tout, si on ajoute Mélanie Joly dans la balance, ce sont quand même 59 % des électeurs qui ont choisi les claques dans le dos et/ou le flair promotionnel plutôt que des propositions plus solides. Comme si la métropole n’était pas suffisamment affaiblie par la corruption et le manque de ressources, il fallait maintenant lui ajouter une propension pour les formules creuses.
  Bien sûr, l’aptitude pour le jeu politique a joué dans la balance. Le don d’attirer l’attention, de créer un phénomène d’adhésion, de savoir se péter les bretelles sans jamais verser dans l’arrogance, est un jeu auquel Denis Coderre et Mélanie Joly excellent tous les deux. En plus de leur carte maîtresse - lui, vieux routier au coude bien huilé, elle, jeune ingénue dégageant la fraîcheur -, ils transpirent tous les deux l’assurance et l’estime de soi tout en sachant (ô mystère) rassurer les gens. Formule gagnante qui a clairement fait défaut aux deux autres candidats.

Bêtes politiques
  Denis Coderre et Mélanie Joly sont de vraies bêtes politiques, alors que Richard Bergeron, pas tellement ; et Marcel Côté, pas du tout. Quand même, permettez-moi de m’apitoyer un instant sur le sort qu’on réserve aux gens qui ont mis des années à réfléchir à ce dont Montréal a besoin, pas seulement le transport, l’obsession de cette campagne, mais la culture, le développement urbain, économique, la gestion et j’en passe. Des hommes qui, dans le cas de Richard Bergeron du moins, ont mis des années à construire un véhicule pour mener ces idées à bon port, et qu’on balaie finalement du revers de la main pour cause de sourire crispé et de supposé dogmatisme. Et les idées, bordel ? Admettez que c’est cruel comme jeu, pas seulement pour les deux hommes en question, mais pour les intellectuels en général, et l’avenir de la métropole en particulier.
  À sa manière de bon père Noël au ton bourru, Denis Coderre résumait, lundi, sa vision des choses ainsi que son dédain à peine dissimulé pour Projet Montréal. « Les gens ont soupé des lignes de parti. On est une administration. Notre rôle, c’est de donner des services. » Remarquez, il se peut que cette philosophie de cafétéria soit salutaire à Montréal dans l’immédiat. Il se peut aussi que le p’tit gars de Montréal-Nord s’avère un bon gestionnaire, ce qu’on ignore pour l’instant. Il se peut même que Mélanie Joly demeure fidèle à ses engagements et poursuive ce qu’elle a commencé. « On verra », comme dirait François Legault.
  Pour l’instant, nous sommes « officiellement pognés », comme disait Coderre lui-même, avec une copie quasi conforme de Jean Chrétien : même culte du gros bon sens, même humour redoutable, même amour du « concert d’orteils » - comme disait Jacques Parizeau de la politique -, même colère à peine contenue devant ceux qui osent critiquer. La différence, et elle est de taille, littéralement et intellectuellement, c’est que Chrétien a fait du surf pendant 10 ans sur l’héritage de son prédécesseur, qui lui, au moins, en avait des idées. Mais, bon, l’ère de transition dans laquelle nous nous trouvons a peut-être davantage besoin de quelqu’un qui sait composer des menus du jour que de projeter Montréal dans l’avenir. Qui sait ?
  Ne reste plus qu’à souhaiter que quatre ans suffisent à faire le passage de l’ère du vide et du désengagement à une époque autrement plus emballante pour Montréal et ses habitants. Nous méritons mieux, c’est sûr.

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