mercredi 28 mars 2018

La martyre de l'indépendance

Malgré des appuis chancelants, Martine Ouellet semble plus décidée que jamais à refaire le Bloc québécois à son image. C’est du moins ce qui ressort des questions référendaires qui devront être soumises aux membres début juin. Première question : « Le Bloc doit-il être le promoteur de l’option indépendantiste en utilisant chaque tribune et chaque occasion pour démontrer la nécessité de l’indépendance… ? » Oui ou non. Aucune référence ici à ce qui a caractérisé le parti depuis au moins 20 ans, soit la « défense des intérêts du Québec », et qui est au coeur de la controverse qui tourmente le parti. Cap, plutôt, sur la promotion souverainiste au pas de l’oie. Peu importent le lieu, le contexte ou l’auditoire, à Ottawa comme à Québec, au Parlement comme dans la rue, on y va d’un bon « un, deux » !
Aucune concession, non plus, au fait que le vote de confiance envers la chef, la deuxième question à être posée aux membres, devrait normalement se situer au-dessus de 75 %. Martine Ouellet, elle, se contentera de 51 %.
On reconnaît ici l’approche téméraire de la députée de Vachon, son entêtement olympique, cette curieuse déconnexion de son entourage immédiat, certains diraient de la réalité, afin de poursuivre une bien belle idée, certes, la souveraineté, mais qui peut ressembler à une simple marotte tant l’approche ici est rigide, automatique et sans relâche. Sans contenu, aussi. Avec une telle démarche, qui, au juste, pense-t-elle convaincre ?
Pourtant, des femmes aussi passionnées et compétentes que Martine Ouellet, il nous en faut. Tout se passe comme si Mme Ouellet avait décidé de combler les lacunes dites féminines, le manque d’assurance et d’estime de soi, la peur de l’affrontement et de l’adversité, en agissant tout à fait à l’opposé, en étant plus dure, plus sûre et plus intransigeante que n’importe quel homme. Lorsqu’on la compare à Mario Beaulieu, pourtant pur et dur lui aussi, on voit déjà la différence. Sentant la soupe chaude aux dernières élections, M. Beaulieu n’avait pas hésité à céder la direction à Gilles Duceppe. Mme Ouellet, elle, ne cédera la place qu’en tombant sur son épée.
Il est toujours fascinant de voir les Jeanne d’Arc de ce monde, les pasionarias et les croisés, comme Martine Ouellet, s’exécuter sur la place publique. Cette façon d’être scrupuleusement attentif à la petite voix intérieure, à sa propre vision du monde mais à l’exclusion de tout le reste, est chose impressionnante en soi. La chef du Bloc aurait été une artiste qu’on l’applaudirait à tout rompre. Malheureusement pour elle, elle a choisi un métier où la conciliation, le compromis et le don de soi sont de rigueur. La politique, disait jadis Jacques Parizeau, est un « concert d’orteils ». On est constamment entouré, sollicité, dans l’obligation d’aller vers l’autre, en évitant de piler sur les pieds, justement, et en tentant d’amadouer le plus grand nombre.
Ce besoin de concilier l’inconciliable, de mettre de l’eau dans son vin, est précisément ce qui permit au Bloc de se maintenir à Ottawa. Le parti de Lucien Bouchard devait plier bagage, rappelons-le, au plus tard deux ou trois ans après le dernier référendum — à plus forte raison advenant un non. Ayant perdu sa raison d’être, c’est-à-dire aider à mettre en place les modalités souverainistes dans l’enceinte fédérale, le petit parti indépendantiste a muté, sans d’ailleurs jamais consulter personne là-dessus, en parti nationaliste. Mine de rien, il s’est mis à défendre poliment, respectueusement, les « intérêts du Québec » à Ottawa. De la même façon que la grande majorité des Québécois sont nationalistes sans nécessairement être indépendantistes, le Bloc s’est mis au service du plus grand nombre, tout en respectant l‘enceinte de la démocratie canadienne où il avait décidé de s’accrocher les pieds. Tant qu’à rester à Ottawa, pouvait-il vraiment faire autrement ?
On est à mille lieues ici de la promotion souverainiste tous azimuts défendue par Martine Ouellet. Sans égard à ce qui se passe à Québec, un non-sens en partant, sans égard non plus au Parlement canadien, la chef du Bloc a décidé, elle, de chasser les moumounes du temple pour mieux imposer sa vérité. Est-ce vraiment du courage ou seulement du narcissisme mal placé ? Après des mois de pathos et de rebondissements, il n’y a plus que l’impudente députée qui est dupe de ce spectacle. Si la Jeanne d’Arc de l’Histoire a aidé sa cause en y laissant sa peau, Martine Ouellet n’aide malheureusement ni la sienne ni personne, encore moins elle-même, en jouant la martyre.

mercredi 21 mars 2018

La démocratie qu'ossa donne?

Qui de Vladimir Poutine ou de Mark Zuckerberg craignez-vous le plus ? La question peut paraître bizarre. Zuckerberg est après tout ce sympathique rouquin, ancien étudiant à Harvard et nerd à temps plein qui, en 2004, a eu la bonne idée, avec trois de ses copains, de créer Facebook, l’application de réseautage aujourd’hui universellement connue. Alors que Poutine est cet ex-agent du KGB qui assassine ses ennemis, censure les médias, envahit l’Ukraine, annexe la Crimée et prête main-forte au « boucher de Damas », Bachar al-Assad. L’homme aux pectoraux bien en vue vient tout juste d’être plébiscité pour un quatrième mandat en Russie.
Seulement, et c’est le sens de ma question, le choix n’est plus tout à fait aussi clair. Les révélations concernant la « psychographie » de centaines de milliers d’utilisateurs de Facebook dans le but d’influencer l’élection américaine donnent froid dans le dos. De la même façon que lorsqu’on apprend qu’un ex-espion et sa fille ont été récemment empoisonnés à Londres à cause, on le soupçonne, de l’homme fort de la Russie. La frontière jusqu’ici étanche entre les bons démocrates que nous sommes, avec ce que cela comporte de sentiment de sécurité personnelle, de confiance en les institutions et de supériorité morale, et les méchants autocrates aux sombres complots se brouille chaque jour un peu plus.
Si Mark Zuckerberg n’est pas l’esprit retors derrière la collecte de milliers de « profils » susceptibles de voter Donald Trump, l’objectif ici poursuivi, il est l’inventeur de l’application qui compte aujourd’hui deux milliards d’utilisateurs, un quart de la population mondiale (!), et qui a permis à Cambridge Analytica, une compagnie informatique créée en 2013 dans le but de promouvoir des idées conservatrices, de procéder par subterfuge à la collecte de données. Comment ? En proposant à 270 000 utilisateurs un « test de personnalité » qui non seulement recueillait des données de base (nom, sexe, domicile…), mais relevait également les opinions politiques, les intérêts intellectuels, le degré d’ouverture et jusqu’à « l’extraversion », « l’amabilité » et le « névrosisme » des individus sondés. Ceux qui répondaient favorablement au profil recherché étaient ensuite criblés d’annonces pro-Trump.
Les Russes peuvent aller se rhabiller. Il n’y a pas de différences notoires, d’ailleurs, entre cette « guerre psychologique » commanditée par le milliardaire républicain Robert Mercer, et supervisée par le diable en personne, Steve Bannon, le maître à penser de l’alt-right et, pendant un certain temps, de Trump lui-même, et ce qu’on soupçonne les trolls à la solde de Vladimir Poutine d’avoir orchestré pendant l’élection américaine. Dans les deux cas, il s’agit d’intrusion illégale dans le but d’influencer une élection. Il s’agit de tentatives de fraude et de trafic d’influence, mais de manière si insidieuse, si « Internet » si on peut dire (pensez à toutes ces annonces de maillot de bain qui vous importunent parce que vous avez eu le malheur de vous y intéresser une fois !), que personne n’y prêtait attention.
C’est ici que le besoin de se faire « liker » — tout ce qu’il y a de plus adolescent, disons-le —, de se faire constamment approuver par un réseau exponentiel d’amis, de s’ériger en petit potentat de son propre univers, si on peut dire, ouvre la porte à une perte de repères démocratiques. Non seulement la vigilance innée de tout citoyen face aux autorités (gouvernementales, policières ou autres) ne s’exerce pas sur Internet — dont l’idée même est celle d’un flot continu d’informations sans frontières —, mais on finit par voir dans ces formidables bulles informatiques une façon supérieure de concevoir le monde.
Cette sanctification des géants informatiques qui se traduit par de constants passe-droits (allô, Mélanie Joly) est au moins en partie responsable de la « crise de légitimité démocratique » recelée notamment chez les 18-34 ans. Une étude publiée en 2016 démontre que moins de 30 % des millénariaux croient qu’il est important de vivre en démocratie. Surtout aux États-Unis, mais aussi en Europe et au Canada, les jeunes voient de moins en moins d’intérêt à des « élections libres », et de moins en moins de problèmes avec les « coups d’État ».
Facebook n’est évidemment pas le seul responsable de cet amollissement des consciences. Mais son insouciance bon enfant, son manque de responsabilité vis-à-vis de sa clientèle et sa propension à se croire au-dessus des exigences normales ne font qu’accélérer cette perte désolante de sens politique.

mercredi 14 mars 2018

Soyons tristes mais réalistes

Encore un peu de temps et nous ne reverrons plus de caribous forestiers dans la région de Val-d’Or, le gouvernement libéral ayant décidé de gérer cette extermination la tête basse et les bras ballants. « Cette situation est triste, mais il faut être raisonnable », de dire le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Luc Blanchette. Il coûterait trop cher, et sans résultats garantis, d’essayer de sauver ce qui reste du troupeau, décimé par des décennies d’exploitation forestière et minière extrêmement intensive. Alors, aussi bien leur faire dès maintenant nos tendres adieux et passer à un autre appel.
Être triste mais réaliste semble être la règle d’or lorsqu’il est question d’environnement. C’est également triste de voir que 80 % des agronomes affectés à la protection des plantes seraient « liés à l’industrie des pesticides ». Un conflit d’intérêts gros comme la statue de Duplessis devant le parlement, l’équivalent d’avoir un médecin payé par l’industrie pharmaceutique pour vous bourrer de pilules, mais, soyons raisonnables, il y a des avantages à cumuler le « double rôle » de protecteur des plantes/vendeur de pesticide. Primes, commissions, incitatifs sous forme de voyage, pour ne rien dire du « paiement à la performance », une pratique bien établie au sein de l’industrie agronome. Pendant ce temps, la protection de l’environnement, et le simple citoyen, en prend pour son rhume.
Les baleines du Saint-Laurent qui meurent empêtrées dans les engins de navigation. Autre sujet morose. Vu la présence du fleuve, nous avons plus de cétacés au Québec, mais moins de moyens qu’ailleurs au Canada pour leur venir en aide. Entre 40 et 50 % des rorquals porteraient des cicatrices de ces collisions malencontreuses mais, soyons réalistes, c’est un grand pays et les moyens sont comptés.
On pourrait continuer comme ça longtemps, grâce notamment au travail acharné d’Alexandre Shields du Devoir, la liste du pragmatisme bon teint en matière écologique étant particulièrement longue. Rien d’ailleurs n’illustre mieux ce phénomène que l’indifférence généralisée devant l’échec du Plan d’action sur les changements climatiques. Le gouvernement Couillard s’était engagé à réduire de 20 % les GES d’ici 2020. Le bilan de mi-parcours affiche un piètre 8 %, c’est-à-dire « pas de progression significative dans les réductions d’émissions au Québec ».
Pas de progrès veut dire que nous nous dirigions — partout sur la planète, car le Québec est loin d’être le seul fainéant en la matière — vers une augmentation de la température de plus de 2 degrés et vraisemblablement de plus de 4 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Faut-il rappeler ce que ça veut dire ? Plus d’inondations, de canicules, de grandes tempêtes, de maladies, de migration et d’instabilité sociale. Moins d’eau potable, de récoltes, d’espèces animales, de pergélisol et de neige dans l’Arctique. À plus de 4 degrés, il s’agirait d’un « moment de bascule » dont la Terre, malgré Jeff Bezos, Bill Gates et tous les dieux de la technologie réunis, ne se remettrait jamais.
Le grand bal diplomatique qui eut lieu à Paris en décembre 2017 pour parer, justement, à la catastrophe est toujours perçu comme une victoire pour l’environnement. Seulement, tout pointe vers un échec cuisant. Nous avons beau avoir fixé des cibles à atteindre, nous n’y parviendrons pas. Comment s’en surprendre ? Regardez autour de vous, examinez votre quotidien et dites-moi ce qui a changé depuis, disons, les années 1970 ? Depuis qu’on sait que l’activité humaine a la capacité de détruire la planète. Deux choses seulement : les bacs de recyclage et les pistes cyclables (abondantes).
Mais les pistes cyclables n’ont pas empêché le transport automobile, le grand coupable des GES, d’augmenter pour autant. Et le recyclage ? Une farce monumentale. « On sait toujours peu sur la destination finale de ce qui y est déposé, et le recyclage de certaines matières fait toujours piètre figure. » Vingt ans après l’entrée du recyclage dans nos vies, on ne nous a jamais expliqué à quoi ça sert, comment s’y prendre ni comment ces matières sont transformées. Les pleines pages de Recyc-Québec dans les quotidiens actuellement (une boîte de sardines sur une biscotte ?), pour être très léchées, sont tout ce qu’il y a de plus obtus. On n’y comprend que dalle.
Que d’approximations, de belles paroles la main sur le coeur et de coups d’épée dans l’eau. Et, surtout, que de tristesse de constater que, devant des caribous en voie de ddidisparition ou autre calamité annoncée, il ne nous reste plus qu’à pleurer.