jeudi 30 juillet 2015

Le meilleur des mondes

On n’arrête pas le progrès. La liste d’applications mobiles conçues pour rendre le consommateur heureux, et les commerçants en joual vert, vient des’allonger. Après Airbnb et Uber, en train de révolutionner les industries du logement et du taxi, voici Rover, la réponse à vos angoisses de stationnement.

Lancée la semaine dernière à Toronto, l’application permet à un conducteur de se stationner dans une allée de garage, ou autres espaces privés, au prix avantageux de 2 $/h — ce qui donne une petite idée des coûts faramineux de stationnement là-bas. Trente pour cent du montant doivent ensuite être partagés entre les concepteurs et les propriétaires de terrain. Le promoteur Tim Wootton espère lancer l’application « coast to coast » d’ici la fin de l’année.

Réaction à Toronto ? « Il va falloir accepter le fait que la technologie déboule, dit le maire John Toryelle n’attend pas que les gouvernements la rattrapent ». Bonne indication que « l’économie de partage » a beau faire des mécontents, contrevient souvent aux règlements municipaux, elle n’est pas sur le point de disparaître. La Ville Reine offre d’ailleurs un autre exemple du dernier cri en matière de transport. On songe actuellement à transformer les voies conçues pour le covoiturage lors des Jeux panaméricains en voies payantes. Les véhicules transportant trois personnes ou plus y auraient toujours droit, mais aussi le conducteur solo prêt à payer pour le privilège d’aller vite. Si vous avez de la difficulté à suivre, vous n’êtes pas les seuls. Le plan reviendrait à encourager simultanément le transport collectif et la privatisation des routes. Bienvenue au meilleur des mondes.

Ce dernier exemple illustre parfaitement la contradiction idéologique qui est au coeur du phénomène de l’heure, l’économie de partage. Curieuse convergence entre la contre-culture et la cyberculture, l’idée de « démocratiser » des services publics a vu le jour à San Francisco, l’endroit même qui a vu fleurir les communes et les hippiesquelques décennies auparavant. Les enfants du peace and love ont été les premiers à vouloir partager la terre, les ressources, et jusqu’à leurs partenaires sexuels, dans l’esprit de bâtir un « monde meilleur ».

Aujourd’hui, c’est au tour des géants de Silicon Valley de se dévouer à la cause du communautarisme. Dans un monde de plus en plus complexe, éparpillé, impersonnel, où personne ne se regarde dans les yeux en voyageant dans le même wagon de métro, les Mark Zuckerberg de ce monde ont vite fait de jouer les entremetteurs. Le créateur de Facebook ne se voit d’ailleurs pas comme un simple (et richissime) entrepreneur.« De plus en plus de gens aujourd’hui veulent des entreprises qui croient en autre chose que le profit », dit-il. La lettre publiée en 2004 par les fondateurs de Google, Larry Page et Sergei Brin, professait le même dédain pour le capitalisme pur et dur et promettait de ne pas faire de « mal ».

Comme les hippies d’antan, explique Ira Basen dans un documentaire radio fascinant (The Valley of the Kings), les « cybergeeks » d’aujourd’hui veulent améliorer le monde dans lequel on vit. Comme les adeptes de la contre-culture, ils sont souvent de fervents libertariens. « Ils ne veulent pas que les politiciens ou les gouvernements leur disent quoi faire ». La crise financière de 2008 a augmenté le penchant à compter sur ses propres moyens plutôt que sur les services commerciaux d’usage. Airbnb et Uber sont tous deux nés à San Francisco à peu près à ce moment-là. Depuis, on ne compte plus le nombre d’applications conçues pour « l’esprit libre » voulant se faciliter la vie.

Prenez Lyft, créé à San Francisco en 2012 et opérant aujourd’hui dans 65 villes américaines. L’application vous met en contact avec un bon samaritain prêt à vous « donner un lift ». C’est Uber, mais en moins formel ; il ne s’agit pas de chauffeurs de taxi amateurs, mais de gens qui se déplacent pour leurs propres raisons et qui rentabilisent leur trajet. Pour sa part, la compagnie se vante d’utiliser « la technologie pour rassembler plutôt qu’isoler les gens ». À l’instar de Jean Coutu, elle promet la« découverte de nouveaux amis tous les jours ». C’est de la bouillie pour les chats, évidemment, mais qui a le mérite de convaincre les investisseurs d’y mettre leur argent (plus de 300 millions pour Lyft).

Le capitalisme n’a jamais eu si bonne presse depuis qu’il a trouvé le génie de se draper dans l’utopisme des années 70. On n’arrête pas le progrès. La propagande non plus.

mercredi 22 juillet 2015

Les deux Amy

Tout sépare Amy Winehouse et Amy Schumer et, en même temps, tout les réunit. Voici deux artistes qui ont mis leur sexualité et leur vie de femme au coeur de leur art — le jazz pour Winehouse, l’humour pour Schumer — deux femmes juives qui ont puisé là aussi de l’inspiration, deux représentantes de la génération Y qui ont du talent à revendre et qui ont connu, en très peu de temps, un succès fulgurant. Seulement, l’une en est morte et l’autre est terriblement en vie. L’une, la dernière figure tragique de la condition féminine, est l’exemple à ne pas suivre ; l’autre, fraîchement couronnée d’un premier succès au box-office américain, en est la figure triomphante, l’alpha-femelle des temps modernes.

Mesdames, faites vos jeux.

La Janis Joplin de sa génération, un désespoir de femme sur deux pattes (« Take another piece of my heart now, baby ») mais avec la sexualité exacerbée d’aujourd’hui, Amy Winehouse a été trouvée morte chez elle à Londres, en 2011. Comme Joplin (aussi Jimi Hendrix, Jim Morrison, Kurt Cobain), elle avait seulement 27 ans. Empoisonnement à l’alcool, aggravé, dit le film présentement à l’affiche (Amy), par 15 ans de boulimie. Bien en chair au début de sa carrière en 2003 — comme l’est toujours sa consoeur Amy Schumer d’ailleurs —, on la voit s’étioler avec chaque année qui passe. « Voici quelqu’un qui veut disparaître », dira en voix hors champ un des interviewés du film.

C’est le moins que l’on puisse dire. Le film a le mérite d’ouvrir plus large que le credo usuel de sex, drugs and rock’n’roll pour expliquer comment cette femme est devenue l’équivalent du brasier de Lac-Mégantic un certain soir d’été. Le film montre une femme qui n’est pas seulement la victime d’un milieu en dents de scie, mais aussi d’elle-même, ainsi que des deux hommes de sa vie : son père, Mitch Winehouse, et celui qui deviendra malheureusement son mari, Blake Fielder. Avec son « Daddy’s Girl » tatoué sur l’épaule, Amy incarne la fragilité, la quête l’amour ; voue un culte à des hommes qui ne lui arrivent pas à la cheville. Scénario connu. Édith Piaf vient d’ailleurs immédiatement en tête, cette autre femme-enfant qui avait bien davantage besoin d’être aimée qu’admirée par la foule.

Trois générations séparent les deux femmes, mais comme Piaf, Winehouse fera du drame amoureux du grand art. Comme elle, elle sera ultimement consommée par sa tragédie personnelle (« Love is a losing hand, more than I can stand »). On se demande quand cela va finir, ces femmes immolées sur l’autel des désirs inassouvis.

Et voilà la pétillante, la truculente, la ronde et fière de l’être Amy Schumer qui se pointe. Juste à temps. Cette Amy-ci se moque des femmes au coeur qui saigne et plus encore des hommes épris de leur nombril. Disons qu’elle est au réseau Comedy Central ce que Jon Stewart était à son arrivée au Daily Show en 1999, une révolution en son genre.

Je l’ai découverte en me butant à un de ses sketchs qui faisait sensation sur les réseaux sociaux, Last Fuckable Day. Schumer dénonce ici la date de péremption donnée aux femmes d’un certain âge. Comment ne pas applaudir ? Dans sa série télévisée, Inside Amy Schumer, tous les stéréotypes sexuels y passent : les rêves de princesse, le besoin indécrottable des femmes de plaire, des hommes de se vanter. On rit, ça fait du bien. Comme de la voir à la une de GQ magazine, suçant l’index du robot dans Star Wars. Qui dit que les femmes ne savent pas être drôles ?

Le passage au format long métrage (Trainwreck), où Schumer signe le scénario en plus de jouer l’indomptable Amy, est à mon avis beaucoup moins réussi. D’ordinaire si caustique, Schumer s’égare ici dans la mièvrerie, comme s’il n’y avait qu’une fin digne d’Hollywood, le happy end amoureux. Même la reine de l’humour féministe cherche, au bout du compte, l’amour. Et pourquoi pas ? On en veut tous. En autant de ne pas y perdre la santé ni la vie. Et, bien sûr, l’humour.

C’est la grâce qu’on lui souhaite. Go, Amy, go.

mercredi 15 juillet 2015

Parler des deux côtés de la bouche

La semaine dernière, au Sommet des Amériques sur le climat, Philippe Couillard proclamait fièrement « le début de la fin de l’ère des hydrocarbures ». Cette semaine, le premier ministre québécois et ses homologues canadiens s’apprêtent à signer une entente qui accélérerait les quatre grands projets d’oléoducs canadiens tout en minimisant la lutte contre les changements climatiques.

Moins encore que le ridicule, la contradiction ne tue pas, en politique énergétique notamment.

Le document confidentiel étayant une nouvelle stratégie énergétique doit être rendu public mercredi, lors de la rencontre des premiers ministres à St. John’s. Une initiative de l’ex-leader albertaine Alison Redford, le plan vise, entre autres, à planifier l’expansion des sables bitumeux tout en tenant compte des préoccupations environnementales. Seulement, selon le journaliste du Globe and Mail qui a obtenu le document, on met ici le paquet sur les pipelines (Kinder Morgan, Northern Gateway, Keystone XL et Énergie Est), tout en tournant les coins ronds sur la défense de l’environnement. Conçu en 2012, le plan « engage les provinces et territoires à bâtir davantage d’oléoducs » en voulant alléger notamment les processus réglementaires. On reconnaît ici une certaine influence harperienne, le PM canadien s’accommodant assez mal de la lourdeur administrative qui accompagne une régulation digne de ce nom.

Pourtant, bras dessus, bras dessous avec sa vis-à-vis ontarienne, Kathleen Wynne, M. Couillard s’est engagé, ainsi que les autres participants au Sommet sur le climat, à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % d’ici 2050 (par rapport à 1990). Or, tous les experts le disent : la réduction substantielle de gaz nocifs, nécessaire à contenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius, ne peut se faire en développant les sables bitumineux, particulièrement néfastes à l’environnement. Les quatre projets de pipelines sur la table concernent tous la distribution du pétrole albertain.

Comment donc expliquer cette fâcheuse tendance de parler des « deux côtés de la bouche » ? M. Couillard fournissait un élément de réponse lors du Sommet en parlant de nouvelles technologies. « On ne quittera pas l’âge des hydrocarbures parce qu’on va manquer de pétrole, on va le quitter parce qu’on aura inventé de nouvelles technologies et qu’on aura trouvé de nouvelles sources d’énergie. » En d’autres mots, restez comme vous êtes, ne changez pas vos habitudes, nous allons bientôt trouver la solution miracle qui nous permettra de respirer par le nez. En attendant, en avant les barils de pétrole ! Jusqu’à 1,1 million de barils par jour en ce qui concerne le plus viable et le moins contesté des quatre projets sur la table, Énergie Est, et le seul à parcourir le Québec.

Le problème avec ce type de pensée magique c’est qu’elle encourage trop peu l’énergie renouvelable, tout en maintenant le cap sur les énergies fossiles. Les chiffres sont d’ailleurs assez éloquents à cet égard : 7 % seulement des besoins énergétiques de la planète sont actuellement fournis par des énergies alternatives (solaires, éoliennes, ou autres) et 93 % par des énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, nucléaire). Le virage vers le développement durable se fait de peine et de misère, notamment à cause de cette frilosité des politiciens pour qui les élections, encore aujourd’hui, se gagnent à coups d’asphaltage de routes et de gros projets énergétiques. À la réunion du G20 l’année dernière, les pays membres ont annoncé un investissement de pas moins de 70 billions (trillion) de dollars en infrastructures (routes, ports, installations énergétiques…) d’ici 15 ans, le double de ce qui existe actuellement sur la planète.

À ce titre, le Québec peut toujours prétendre avoir les mains propres, en pointant notamment son marché du carbone. Depuis janvier 2015, nos entreprises sont priées d’aller fumer sur le balcon : elles doivent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en payant environ 15 $ la tonne émise. Guère dissuasif, à mon avis, comme d’ailleurs fumer sur le balcon, l’initiative est quand même un pas dans la bonne direction. On ne peut en dire autant des forages prévus en Gaspésie, sur Anticosti et dans la vallée du Saint-Laurent, pour ne rien dire du méga-oléoduc devant traverser le Québec et pour lequel tous les leaders politiques fédéralistes, comme d’ailleurs M. Couillard, semblent trop bien disposés.

Le temps pourtant presse. Pour ce qui est de stopper l’innommable, empêcher la destruction irréversible de l’environnement, « ce que nous ferons au cours des 10 prochaines années, avertit l’océanographe Sylvia Fraser, est plus important que ce que l’humanité fera pour les 10 000 années subséquentes ».

Avis aux intéressés.

Le chantage des banques ou comment devenir marxiste en 5 jours

« Communiste ? » me lance, sitôt la porte du taxi refermée, l’imposant Athénien derrière le volant.
 
Je déduis de son air bourru que, malgré l’histoire glorieuse du Parti communiste de Grèce (il a été l’échine de la résistance durant l’occupation nazie), il n’apprécie guère le genre.
 
« Euh… socialiste », finis-je par bredouiller, ne me rendant pas compte que je venais de m’allier au parti qui est aujourd’hui entièrement discrédité, le Mouvement socialiste panhellénique (Pasok), qui n’a de socialiste que le nom après avoir été le principal responsable de la vente aux enchères du pays depuis cinq ans. Mais le chauffeur, au moins, semble rassuré.
 
Rien n’est simple dans le lieu de naissance de la démocratie et de la grande tragédie. À quelques jours de l’échéance des pourparlers entre la troïka européenne et la Grèce, la vie suit son cours normal, mais la tension est quand même palpable, comme le démontre l’accueil à rebrousse-poil de notre chauffeur de taxi. D’ailleurs, vendredi, le premier ministre Tsipras a annoncé vouloir soumettre le résultat de ces pourparlers au peuple grec par référendum.
 
Mon caméraman et moi sortons du Resistance Festival 2015, un mouvement de« forces progressistes » qui appelle à la mobilisation grecque et à l’appui international. L’année dernière, l’invité d’honneur était nul autre qu’Alexis Tsipras, alors chef de l’opposition, aujourd’hui premier ministre du pays. Cette année, l’honneur va au vice-président bolivien, Àlvaro García Linera, venu rappeler à ceux qui détiennent « le destin de l’Europe dans [leurs] mains » qu’une autre voie est possible. « Les peuples ne doivent rien au FMI, c’est le FMI qui nous doit quelque chose », dira l’ancien guérillero.
 
Personne sur place n’a besoin d’être convaincu. C’est précisément le refus des« mémorandums » qui explique la popularité croissante de Syriza, passé d’un chétif 4 % en 2004 à 48 % aujourd’hui. La majorité des Grecs en ont soupé des mesures imposées par la « nouvelle Rome », le triumvirat constitué du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission européenne (CE) et de la Banque de la commission européenne (BCE).
 
Depuis 2008, la Grèce a vu son PIB chuter de 42 %, le chômage grimper à 27 % (50 % chez les jeunes), son réseau public de radiodiffusion fermer, ses services de santé amputés. La « plus longue récession jamais connue en Europe en temps de paix », selon la Commission pour la vérité sur la dette publique. La dette n’est pas le résultat de dépenses excessives — « restées plus faibles que les dépenses publiques d’autres pays de la zone euro » —, mais un concours de circonstances incluant les taux extrêmement élevés des banques européennes et une augmentation drastique de la dette privée suivant l’adoption de l’euro en 2001.
 
Ce qu’on sait encore moins, c’est que depuis l’élection de Syriza, en janvier dernier, on s’est fait un plaisir de tourner la fourchette dans l’oeil du nouveau gouvernement. Une semaine après l’élection, le chef de la BCE, Mario Draghi, « sans la moindre justification », raconte le journaliste et député européen de Syriza, Stélios Kouloglou,« fermait la principale source de financement des banques grecques, remplacée par l’Emergency Liquidity Assistance (EAL), un dispositif plus coûteux devant être renouvelé chaque semaine ».
 
À noter que 90 % de l’argent prêté à la Grèce revient déjà aux créanciers — « parfois la journée même » —, puisqu’il s’agit du remboursement de la dette. Aussi, l’accord liant le pays de Périclès aux banques européennes l’oblige à respecter le droit anglais, un autre « accroc à sa souveraineté ».
 
Début février, les dix-huit ministres des Finances de la zone euro servaient un ultimatum au dix-neuvième ministre de la Famille européenne, Yanis Varoufakis. Ou bien le gouvernement Syriza appliquait le même programme que ses prédécesseurs, ou il trouvait son financement ailleurs. Il n’en fallait pas plus pour que les rumeurs de la faillite de la Grèce, due à son retrait de la zone euro, partent en trombe.
 
Depuis, la BCE a retenu des fonds illégalement allant jusqu’à les transférer au Luxembourg, « comme si l’on craignait que les Grecs ne se changent en détrousseurs de banques » ; les campagnes diffamatoires dépeignant les dirigeants grecs comme des têtes brûlées ou des enfants irresponsables — « il nous faut des adultes dans la salle », dira fameusement la présidente du FMI, Christine Lagarde — vont bon train.
 
Selon Martine Orange de Mediapart, l’échec du sommet de l’Eurogroupe, le 18 juin, a ouvert la porte à une véritable « stratégie de la terreur » de la part des autorités financières. Reprenant le scénario dressé par Goldman Sachs, peu de temps avant l’élection de Syriza en décembre dernier, on parlera de « situation incontrôlable », de fuite de capitaux, de fermeture de banques, de mise sous tutelle économique et de nouvelles élections. La rumeur d’une panique bancaire aura été « minutieusement entretenue », tout comme la notion d’un gouvernement grec dangereusement irresponsable.
 
Le gouvernement Syriza n’est évidemment pas dupe. « Le gouvernement doit faire face à un coup d’État nouveau genre, affirmait Yanis Varoufakis en avril dernier. Nos assaillants ne sont plus les chars d’assaut, comme en 1967, mais les banques. »
 
Selon Stélios Kouloglou, ce « coup d’État silencieux » n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé au Chili au début des années 70. « Faites hurler l’économie », avait ordonné Richard Nixon, avertissant alors tous ceux dans la cour arrière américaine tentés par l’aventure marxiste de bien se tenir. Sous le ciel étoilé d’Athènes, Àlvaro García Linera reprenait la balle au bond, samedi dernier, en affirmant : « L’Europe du Sud est en train de vivre ce qui s’est passé en Amérique du Sud il y a 30 ans. […] On nous avait dit : “Il n’y aura pas d’investissements, pas d’emplois, pas de développement technologique si vous vous entêtez à poursuivre dans la voie socialiste.” » Le très élégant vice-président énumérait ensuite tout ce que la Bolivie a réussi depuis l’élection d’Evo Morales, il y a 10 ans : la gratuité universitaire, les services de base (eau, électricité) désormais garantis comme droits fondamentaux, les droits des autochtones et de l’environnement, pour ne rien dire d’un gouvernement qui perçoit 50 % des profits des banques, 54 % des mines et 86 % du gaz naturel. « Ne les laissez pas vous dire qu’une autre façon de faire n’est pas possible », concluait-il.
 
Seulement, la « souveraineté économique » ne fait pas partie du mandat dont a hérité Alexis Tsipras en janvier dernier. Les gens veulent en finir avec l’austérité tout en restant dans la zone euro. Une mission qui s’avère de plus en plus impossible vu l’intransigeance européenne. Qui des deux parties alors cédera ? Le néolibéralisme pur et dur préconisé par le nouvel empire osera-t-il se montrer plus humain, plus compréhensif envers la Grèce, si ce n’est de peur de la pousser dans les bras de Poutine ? Ou alors, Syriza mettra-t-elle suffisamment d’eau dans son vin au point de perdre son âme et, fort probablement, les prochaines élections ?
 
Les jeux sont ouverts et combien dangereux. Particulièrement pour la Grèce, qui risque de payer, encore une fois, plus qu’elle ne le mérite.