mardi 26 mars 2013

Here's to you, Mr. Applebaum


Il a un peu la bouille du jeune Dustin Hoffman dans Le Lauréat, vous ne trouvez pas? Une face d'enfant choeur qui suinte le who me?... Je parle bien sûr du maire intérimaire de Montréal, celui qui doit en ce moment se ronger les ongles en attendant l'interrogatoire de son mentor, l'ex-maire Gérald Tremblay, pour ne rien dire de Bernard 3% Trépannier, les grosses légumes annoncées à la  Commission Charbonneau cette semaine. Depuis le temps qu'on les attend.

J'ai personnellement applaudi l'arrivée de Michael Applebaum à la mairie. Pour l'exploit politique, d'abord. Passer de deuxième au sein de son parti à l'heureux élu une semaine plus tard, applaudi par tous pour sa "coalition non partisane", tenait du haut voltige. M. Opérationnel, dites-vous? Mettez-en. Et puis, en plus d'apprécier l'arrivée du premier maire juif et un des rares anglophones à ce poste,  j'aime bien ce que M. Applebaum fait de la langue française. Pas très kosher, c'est vrai, mais il nous rappelle, quasiment à toutes les phrases, combien il est difficile de s'exprimer correctement en français. Combien c'est un acte de foi pour un anglophone se s'aventurer sur un terrain aussi miné et combien c'est un acte d'amour, pour nous tous, de l'endurer. Un peu comme le fringant Benjamin (Dustin Hoffman) se jettant dans les bras de l'élégante Mrs. Robinson (Anne Bancroft), le spectacle est un peu gauche, le coït à moitié réussi, mais, bon, ça nous soude quand bien même l'un à l'autre.

Tout ça pour dire que je porte un regard attendri sur Michael Applebaum, regard qui a tendance à se noircir par les temps qui courent. Malgré ses démentis, il semblerait que le maire fait effectivement l'objet d'une enquête de l'UPAC concernant des contrats attribués dans Côte-des-neiges-Notre-Dame-de-Grâce. Ce qui ne le condamne pas nécessairement mais pose du moins quelques questions. A-t-il permis des changements de zonage pour avantager un homme d'affaires en lien avec la mafia? Était-il au courant du rapport d'enquête, mystérieusement égaré depuis 2004, sur le gonflement des prix à la ville de Montréal? Et qu'est-ce qu'il faisait au cocktail de financement tenu dans un haut lieu de la mafia (La Cantina) en 2003?

On ignore toujours les réponses à ces questions. M. Applebaum, qui ne s'est pas aidé en déclarant ne pas aimer les mets italiens (est-ce humainement possible?), dit que tout est en règle, alors que les médias font non-non-non de la tête. Impossible que l'ex courtier immobilier ait baigné si longtemps dans la soupe sans sentir la minestrone, dit le choeur grec. Pour moi, ce sont moins ces allégations qui me font froncer les sourcils, le bénéfice du doute est une notion salutaire en démocratie, que le récent sondage du maire Applebaum.

Arborant son dossard jaune orange et son plus beau sourire boy scout, le maire était en mode séduction, vendredi dernier. L'idée de sonder les citoyens n'est pas mauvaise en soi; c'est le choix faustien qui moi m'indispose. Faut-il vraiment choisir entre les nids-de-poules et les entrepreneurs suspects? Faut-il vraiment, comme le veut le maire, jeter son dévolu sur les contracteurs d'asphalte?

"Are you trying to seduce me, Mrs. Robinson?". On se souvient de la célèbre phrase où le jeune puceau joué par Hoffman passe de l'autre côté du miroir, devenant un simple pion dans le monde de gens riches en mal de divertissement. Il me semble que succomber à la proposition du maire nous fait basculer dans le monde infiniment gris du moralement discutable. A quoi ça sert de passer des mois sur la Commission Charbonneau si on n'apprend pas quand tracer sa ligne dans le sable? On sait maintenant que la corruption est aussi répandue que le sirop d'érable au printemps précisément à cause de ce genre de rationalisation: c'est bon pour le développement, les affaires, la ville, le parti... La rationalisation aujourd'hui: c'est bon pour la sécurité des Montréalais.  

Dans une entrevue que j'ai réalisé avec Gabriel Nadeau-Dubois, il explique qu'au début de la grève, le problème au sein des associations étudiantes n'était pas d'abord une opposition entre carrés verts et rouges. "C'était qu'est-ce qu'on fait ici à débattre? La notion même d'un enjeu collectif, d'une décision à prendre ensemble, dépassait l'entendement d'un bon nombre", dit-il.

Le culte du me, myself and I, on veut juste se trouver une jobbe... explique aussi, il me semble, le manque flagrant de probité à la ville de Montréal. On n'a pas seulement perdu nos héros, comme le chantent Simon and Garfunkel dans le film (Where have you gone, Joe DiMaggio / A nation turns its lonely eyes to you...), on a perdu le sens même de la démocratie.

Mon conseil à M. Applebaum (qui aurait aussi été utile au jeune Benjamin): plutôt que "when in doubt, mumble" adoptez donc la devise "when in doubt, abstain".

mardi 19 mars 2013

La double vie de PKP et JMB


Pape à ses heures, Pierre-Karl Péladeau a créé toute une surprise, lui aussi, en annonçant sa démission jeudi dernier. Qui aurait cru que l'homme qui voulait faire de Quebecor "une des grandes puissances mondiales de l'économie", ambitieux à souhait et workaholic avoué, céderait, à 51 ans, le trône de l'empire?

Contrairement à Benoit XVI, il n'est pas question ici de santé défaillante ni de sombres complots à l'interne. Vrai, les profits mirobolants de Quebecor ont périclité ces derniers temps (9.2 millions au dernier trimestre plutôt que 85.4 à la même date l'année dernière) mais personne soupçonne le dauphin de penser qu'un autre pourrait faire mieux. Non, PKP veut tout simplement passer plus de temps en famille, dit-il, et voir aux projets qui lui tiennent à coeur. L'homme qu'on a souvent qualifié de "dur", allergique à toute sentimentalité, avait apparemment larme à l'oeil en témoignant du soutien de sa célèbre compagne et son désir d'être présent pour ses enfants. Décidément, il y a des photos qui se perdent.

Il est donc possible d'être à l'origine du plus long conflit de travail dans l'histoire du Canada, de congédier les deux tiers de sa salle de rédaction, d'écraser la concurrence impunément, tenant, au besoin, les institutions publiques en otage (Quebecor a suspendu ses redevances au Fonds canadien de télévision en 2007 afin de dénoncer Radio-Canada), tout en étant un mari et père exemplaires. Et pourquoi pas? Le comportement contraire existe bien, lui : de "grands hommes" qui maltraitent femme et enfants sont légion. Bref, il est possible d'être un bon et tendre gars en privée et....(je cherche un mot qui ne déclenchera pas une poursuite de plusieurs millions)... un pas fin sur la place publique.

Prenez le nouveau pontife, un homme dont la simplicité ne cesse d'étonner, un prince de l'Eglise qui préfère l'autobus aux limousines.  On ne peut vraisemblablement pas douter de sa dévotion aux pauvres, pas plus que de l'importance de la vie familiale pour Pierre-Karl Péladeau, mais, ici aussi, quel contraste entre ce sympa Francisco et le prêtre qui a été de connivence avec une des pires dictatures d'Amérique latine.

On s'émeut actuellement des pots de vin à la ville de Montréal mais imaginez un instant des personnes qui disparaissent par milliers, des personnes larguées vivantes du haut d'un hélicoptère, des bébés volés à leurs mères et donnés à des militaires en adoption. Il était impossible d'être Argentin entre 1976 et 1983 et ignorer le régime de terreur qui sévissait là-bas. Les irrépressibles mères de la Place de mai ont été parmi les premières à réagir, elles protestent d'ailleurs encore aujourd'hui, mais plusieurs se sont tus en Argentine, dont les dirigeants de l'Eglise catholique.

Contrairement au Chili et au Brésil où le clergé a dénoncé les régimes militaires, et où beaucoup moins de gens sont morts, la plupart des ecclésiastiques argentins, dont Jorge Maria Bergoglio, ont choisi "d'entretenir le dialogue avec les militaires", de dire un ami du pape lui-même, le jésuite Ignacio Peréz del Viso.

En Argentine, la collaboration entre clergé et militaires remonte au coup d'état de 1930 où les dirigeants d'Eglise décident de jouer les "guides spirituels" auprès des forces armées. Au retour du régime militaire dans les années 70, "leurs opérations se chevauchaient à tel point que certains évêques avaient des soldats comme serviteurs," écrit le New York Times.

Durant la "guerre sale", qui ciblait tout ce qui était perçu comme de gauche, le soi-disant homme du peuple, Jorge Maria Bergoglio, a terriblement manqué d'amour envers celui-ci, c'est le moins qu'on puisse dire. Arrêtés, torturés et puis abandonnés dans un champ, parmi les rares qui ont survécu à la séquestration, deux prêtres l'ont d'ailleurs accusé de les avoir donnés en pâture aux militaires après que Bergoglio les eut congédiés pour leur engagement "gauchiste" dans un bidonville.

Le silence de Bergoglio durant les années de terreur est d'autant plus suspect qu'il jure avec ses attaques véhémentes, 20 ans plus tard, contre le gouvernement de centre-gauche de Nestor Kirchner et Cristina Fernandez, notamment leur appui à l'avortement, la contraception et le mariage gai. Quand il le veut, le monsignor en chef n'a pas exactement la langue dans sa poche, on l'a vu au balcon le premier soir.

Alors, "grand renouveau", ce François 1er? Retour à "l'amour de son prochain"? Ou hypocrisie morale, la même qui a plombé les questions sexuelles et qui hante aujourd'hui les droits de l'homme? Plus que jamais, l'Eglise demeure une institution à deux faces, comportement qu'on peut à la rigueur tolérer chez un individu mais difficilement au sein d'une institution qui a le culot, en plus, de prétendre à la vérité.

mardi 12 mars 2013

La vraie nature du Vatican

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Maintenant que les cardinaux américains, toujours un peu trop enclins à parler, ont été rappelés à l'ordre, les fenêtres de la Chapelle Sixtine bouchées et les 115 princes de l'Eglise dûment enfermés à clé, coupés du vaste monde jusqu'à pape s'ensuive, les paris sont ouverts à savoir si le prochain Saint-Père saura, oui ou non, réformer le royaume.

Le fait que le conclave ne compte que des conservateurs, tous les cardinaux présents ont été nommés par Jean-Paul II ou Benoit XVI, n'a évidemment rien de rassurant. Mais le rituel lui-même, ce curieux huis clos, auréolé de fumée et du St-Esprit, n'est pas non plus de nature à rassurer.

Le culte du secret, à la base de bien des scandales, est aussi un aspect fondamental du Vatican. C'est au nom de la bouche cousue que le pape Pie XII, par exemple,  refusa d'intervenir lors de l'Holocauste. Averti que le massacre des Juifs prenait "une proportion et des formes alarmantes", il préféra rester coi, de peur d'indisposer les catholiques d'Allemagne. Scandale largement tu, ce qui permit à l'actuel pape de sacrer son prédécesseur "Saint Pie XII", en 2008.

Le Saint-Siège a une obsession de la porte close, c'est évident, ce qui a laissé libre cours à d'innombrables dérapages, sexuels et autres, mais aussi, financiers.

"Comment osez-vous nous poser de telles questions?", a répondu, outré, un porte-parole ecclésiastique lorsque confronté aux interrogations de la Commission européenne concernant la banque du Vatican.

On ne sait pas encore grand chose de cette banque qui, comme toute chose vaticane, croupie sous le secret. Créée en 1942 et connue sous le nom de l'Institut pour les oeuvres religieuses, on la soupçonne d'avoir financé les activités anti-communistes dans les pays d'Europe de l'est durant la guerre froide. Aujourd'hui, l'argent irait plutôt à Cuba et en Chine. En 2011, la seule année pour laquelle le Saint-Siège a fournit de l'information, la banque comptait 2,772 clients et un actif de 8.3 milliards. Mais un rapport du Economist évalue les dépenses du Vatican, en 2010, à 171 milliards, la qualifiant comme une des 100 organisations les plus riches au monde.

C'est précisément parce que la banque du Vatican a longtemps refusé de divulguer la nature de ses transactions qu'on la soupçonne de blanchissement d'argent. En mai dernier, dans la foulée de "Vatileaks", les révélations du majordome papal concernant les intrigues de palais et problèmes de corruption, l'ancien directeur de la banque sainte, Ettore Gotti Tedeschi, un proche du pape et membre de l'Opus Dei, a été arrêté par les autorités italiennes et ensuite démis de ses fonctions.  En 1982, le directeur de Banco Ambrosiano, laquelle était liée à la banque du Vatican, a été trouvé pendu sous un pont de Londres après que 1.3 milliards d'investissements en Amérique latine aient mystérieusement disparu.

Des deux plaies qui ont poussé Benoit XVI à démissionner, les abus sexuels et les intrigues financières, il n'est pas dit que la deuxième ne pèse pas plus lourd dans la balance. Depuis décembre 2000, le Vatican a signé une entente monétaire avec la communauté européenne pour l'utilisation de l'euro sur son territoire. (Cela lui permet aussi, rapporte le New York Times, "de vendre aux touristes une monnaie signée Città del Vaticano à prix considérablement plus élevé"). Mais, contrairement aux autres pays d'Europe, le Vatican n'a pas voulu se soumettre aux mêmes standards de transparence, notamment en ce qui concerne le blanchissement d'argent. Finalement, en 2009, sous Benoit XVI, le Vatican accepta de se soumettre à la Cour de l'Union Européenne. "La première fois dans l'histoire que le Vatican reconnaissait une autorité supérieure, autre que Dieu", dit un représentant de l'UE.

Le scandale de Vatileaks aidant, l'actuel pape a depuis créé une Autorité financière au Vatican, tout en la plaçant sous la gouverne d'un ex banquier suisse (on connait leur penchant pour le secret). Selon le journaliste italien Carlo Marroni, "le Vatican demeure une zone grise."

De toute évidence, il y a quelque chose de pourrie dans la maison de Dieu qui dépasse la simple répression sexuelle de son clergé. D'ailleurs, le célibat des prêtres a été imposé, au 12e siècle seulement, pour des raisons d'argent. Le célibat assurait que la propriété du clergé reste à l'Eglise plutôt qu'aux héritiers, une façon pour le Vatican de consolider ses biens.

A l'heure où le monde entier tourne son regard vers une cheminée, des observateurs s'étonnent que les questions spirituelles ne soient pas davantage discutées. Comment s'en surprendre? Follow the money, le célèbre slogan du scandale Watergate, pourrait bien être la clé pour mieux comprendre le Vatican aujourd'hui.