mercredi 31 octobre 2018

La gauche et la laïcité

Comment peut-on être à gauche et ne pas décrier le port de signes religieux dans la fonction publique ? écrit Nadia Alexan dans une lettre ouverte au Devoir. Comment peut-on être féministe et défendre le voile ? entend-on encore plus souvent.
Étant justement de cette gauche féministe perçue comme ayant, dans ce long débat sur la laïcité, trahi la cause, j’en profite pour répondre à ces lancinantes questions. De quelle cause s’agit-il ? L’avenir du Québec, ni plus ni moins. À l’instar de voix bien connues (Fatima Houda-Pepin, Djemila Benhabib…), Mme Alexan croit que l’intégrisme islamique représente une menace pour la société québécoise. Invoquant l’aveuglement de la gauche face aux « atrocités staliniennes », elle s’insurge qu’aujourd’hui « on banalise la lapidation, la polygamie, l’excision, le mariage infantile, les crimes d’honneur, la vengeance et la misogynie ».
Mis à part le fait qu’on peut difficilement assimiler la gauche communiste d’il y a trois quarts de siècle à la gauche sociale-démocrate d’aujourd’hui (et puis, les dérives staliniennes ont, en fait, été dénoncées à partir de leur révélation au grand jour en 1956), l’auteure ne précise jamais où exactement ces dérives totalitaires se produisent. En Arabie saoudite ? Au Québec ? Oui, le royaume Al Saoud est une ignominie et la forme d’islam qu’il prône, un enfer, tout particulièrement pour les femmes. Mais depuis quand légifère-t-on chez soi en fonction de ce qui se passe dans un pays isolé de la planète ?
Au Québec, faut-il le rappeler, les musulmans forment seulement 3 % de la population et sont moins pratiquants que la majorité catholique : 62 % d’entre eux ne vont jamais à la mosquée comparativement à 25 % des catholiques qui ne fréquentent jamais l’église. Une femme sur dix seulement porte le voile, environ 150 sur une population de 150 000. C’est une communauté qui est plus éduquée que les Québécois de souche : 48 % des hommes et 41 % des femmes ont un diplôme universitaire, environ deux fois plus que la Québécoise ou le Québécois moyens. L’éducation, on le sait, milite contre l’obscurantisme religieux : plus une population est éduquée et moins elle est croyante, règle générale.
De quoi avons-nous donc peur ? Sinon, pour citer Franklin D. Roosevelt, de la peur elle-même ? En quoi une poignée de femmes voilées, puisqu’on revient toujours à elles, menace-t-elle nos valeurs ou notre avenir ? En quoi est-ce ouvrir la porte à la lapidation, à la polygamie et aux crimes d’honneur ? Tout extrémisme, bien sûr, sème la crainte, mais rien n’indique que ces femmes-là s’inscrivent à cette enseigne. C’est non seulement leur faire injure que de supposer qu’elles sont incapables d’exercer leur libre arbitre, ou de s’intégrer, c’est mécomprendre les libertés démocratiques que de légiférer à leur insu.
Seuls les régimes autoritaires dictent à leurs sujets le comportement — vestimentaire ou autre — qu’ils doivent adopter. Les démocraties, elles, n’exigent pas un seul et unique modèle. C’est pourquoi on veut y vivre. La liberté de conscience vaut la peine d’être défendue non pas parce qu’elle nous conforte dans nos opinions, mais parce qu’elle nous oblige à admettre que d’autres opinions existent.
On pourrait donc discuter longtemps sur qui de la gauche, devant une question aussi fondamentale que la laïcité, « se trompe lourdement ». Rappelons, d’ailleurs, que le terrorisme islamiste n’est pas le fléau numéro 1 de l’Occident. Partout sur la planète, le terrorisme est en baisse depuis quelques années. On n’a qu’à constater ce qui se passe chez nos voisins pour comprendre que la véritable menace n’est ni la religion ni la culture venues d’ailleurs, mais tout simplement la peur de l’Autre.
Aux États-Unis, « près des deux tiers des attaques terroristes sont le fait d’extrémistes de droite motivés par des sentiments racistes, antimusulmans, antisémites, homophobes, xénophobes ou antigouvernementaux ». La tuerie à la synagogue de Pittsburgh est le dernier exemple de cette fracture qui, les insinuations malveillantes de Trump à propos des « criminels et des inconnus moyen-orientaux » aidant, s’opère de plus en plus entre les citoyens blancs de souche et les soi-disant envahisseurs. En Europe, à la suite des migrations massives des dernières années, un phénomène semblable prend forme. Et ici, l’attentat de la grande mosquée de Québec est là pour nous rappeler que la peur des musulmans est un problème bien plus réel que les pratiques musulmanes comme telles.
Arrêtons de crier au loup. Sinon, la peur risque de nous avaler tout rond.

mercredi 24 octobre 2018

Le gros bon sens

Le gros bon sens est une des marques de commerce de François Legault et, s’il n’en tient qu’à lui, de tout son gouvernement. Jeudi dernier, le PM exhortait ses ministres à « ne pas oublier le gros bon sens ». Seulement, il va falloir plus que du pragmatisme pour mener à bon port le bateau de la laïcité. Le GBS (gros bon sens) demeure drôlement impuissant devant l’absurdité, l’illogisme, voire la véritable poutre dans l’oeil qu’est ce crucifix qui, depuis Duplessis, décore le parlement québécois. Alors que le goût du jour est, comme chacun sait, au dépouillement.
C’est ce que George Orwell, auteur d’un livre redevenu très populaire,1984, aurait qualifié de « doublepensée » : « Connaître et ne pas connaître. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires, et croire à toutes deux. »
À mon avis, beaucoup des malentendus concernant l’affichage religieux découlent du fait que la laïcité est continuellement vue à double escient. Selon qu’on soit pour ou contre le port des signes religieux, elle est perçue de deux façons distinctes. Ceux et celles qui sont contre l’affichage religieux croient que la laïcité impose d’abord et avant tout un devoir de réserve : l’obligation d’être, au nom de la neutralité de l’État, le moins visiblement religieux que possible (sauf, curieusement, quand il s’agit d’un crucifix).
Alors que les partisans d’une laïcité « ouverte » mettent l’accent, eux, sur le devoir de protection de la liberté de conscience. Le but de l’exercice n’est pas ici la neutralité comme telle, mais la garantie que chaque citoyen puisse manifester ses convictions, ou son absence de convictions, avec la protection bienveillante de l’État. L’essence même de la démocratie. Or, seul un État neutre, sans parti pris envers toute croyance, peut jouer ce rôle primordial. L’accent n’est pas du tout mis au même endroit qu’on soit détracteurs ou défenseurs des signes religieux.
Ce qui exacerbe maintenant cette dualité, c’est qu’au Québec, mais aussi en France, la laïcité a été absorbée par la question d’identité nationale, durcissant encore davantage la position des laïcistes purs et durs. Depuis le début du siècle, le « choc des civilisations » — vécu ici dans la foulée de l’attaque du World Trade Center et, en France, « dans la visibilité nouvelle des musulmans en Europe » — fait peur. Là-bas, la peur d’être envahi ; ici, la peur de sombrer dans l’obscurantisme d’antan. Partout, la peur de ne plus être maîtres chez soi. En fait, soyons clairs, au Québec, tout particulièrement, nous avons commencé à parler de laïcité à partir du moment où nous avons eu peur des musulmans.
Sans « la querelle du voile », nous ne serions pas à revoir, depuis 10 ans maintenant, le contrat social qui nous lie. Aucune prolifération évangéliste, aucune multiplication de kippas ou même de turbans sikhs ne nous aurait fait grimper autant dans les rideaux. Car, soyons honnêtes, ce n’est pas l’objet religieux comme tel qui nous fait baver — ce qui explique en partie l’indifférence envers le crucifix —, ce sont plutôt les sombres complots que nous percevons derrière.
Nous voyons une femme voilée et ce n’est pas elle, l’individu, qu’on voit, mais plutôt l’homme supposément à ses côtés qui l’oblige à se soumettre et, derrière lui, tel un jeu de dominos, toute une religion, voire « une civilisation », qui conspue la modernité ainsi que le Québec qui a fait de cette modernité tout un combat. On voit rarement la manifestation personnelle d’une « croyance sincère » qui devrait, par définition même de la laïcité, être protégée par le gouvernement. L’affront est collectif, point à la ligne.
Et c’est ainsi que l’exigence de la neutralité de l’État, pour laquelle il existe un réel consensus, s’est mise « à glisser vers certains citoyens dans certaines circonstances » (bonjour, les enseignantes), élément pour lequel il n’existe aucun consensus. Il faut s’inquiéter d’une telle dérive. Car en prétendant ici défendre la « séparation de l’Église et de l’État », on piétine l’autre grand principe qui sous-tend la laïcité : « la liberté de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public ». Cette liberté-là doit pouvoir se vivre au vu et au su de tous, sinon ce n’est pas une liberté. « La liberté de s’exprimer dans sa cave, c’est tout simplement l’interdiction de s’exprimer », souligne le sociologue Marc Jacquemain.
Avis donc au nouveau gouvernement et à son gros bon sens : commençons par le début. Pour en finir avec la tour de Babel, commençons par définir ce que nous entendons par laïcité. Ce qui manque toujours cruellement à ce débat. Commençons par établir ce que nous voulons vraiment protéger, et pour quelles raisons. Et puis, voyons si ce fameux consensus, qui vous tient tant à coeur, tient également la route.

mercredi 17 octobre 2018

L'histoire qui nous manque

Petit mardi matin automnal, encore balayé par les grands vents de la veille — un autre signe de dérèglement, pensez-vous ? — où je cherche, comme tous les mardis matin, « mon sujet ». À vue de nez, ça peut paraître facile, une chronique. Qui n’a pas d’opinions ? Qui n’aime pas les donner ? Mais trouver le sujet qui porte, trouver surtout l’angle qui n’a pas été maintes fois discuté, et bien le raconter, envoyer une flèche dans le coeur de ses concitoyens, c’est du sport, croyez-moi. Durs, durs, les petits matins de chronique où j’ai l’impression d’avoir fait le tour de mon jardin : les femmes, l’environnement, la gauche, Donald Trump, les dernières élections… Où il me manque, en d’autres mots, une histoire toute chaude à raconter.
Je remercie donc Dominic Champagne et son one man show, présenté une seule fois, sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui lundi soir dernier, de me fournir celle-ci. Je le remercie surtout d’avoir mis le doigt sur le temps qu’il fait dehors. Je ne parle pas ici de météo, bien qu’il en sera question durant ce monologue-fleuve de près de deux heures, mais plutôt de cet espace intellectuellement gris, cette époque de transition, incertaine et sans saveur particulière, dans laquelle, après ces dernières élections surtout, nous sommes plongés tête première. Plus vraiment souverainistes, mais pas fédéralistes non plus. Pas vraiment à droite, mais toujours hésitants de s’aventurer à gauche, la tendance étant désormais à la surimposition d’idées, comme jadis les jupons ou les vêtements punks. Qui a dit que le carreauté et les petits pois sont mal assortis ? Aujourd’hui, on est « à gauche pour l’éducation » et à droite pour l’économie, comme dit François Legault à son sujet. Emmanuel Macron, un autre qui affectionne le grand écart, est une inspiration à ce chapitre. Le Parti québécois sans doute aussi. Aujourd’hui, les contradictions ne tuent pas ; elles rendent les candidats plus humains, c’est tout. Certains diraient plus « magasinables ».
Cette période d’incertitude, Dominic Champagne avait commencé à la décrire dans un précédent spectacle, Tout ça m’assassine (2011). « Nous sommes pris entre un passé mort qui n’arrive pas tout à fait à mourir et un futur naissant qui n’arrive pas tout à fait à naître », phrase massue qu’il reprendra d’entrée de jeu, lundi soir, sur la scène du TDA. Bref, on ne sait pas de quel côté souffle le vent. Il nous manque une direction claire comme celle, inaliénable et exemplaire, des bébés tortues qui, à peine sortis de leur nid, savent instinctivement que c’est vers la mer qu’il faut aller.
Dans ce spectacle-ci, Champagne, qui, de son propre aveu, a fait « rouler beaucoup de ballons sur son nez », a côtoyé tant les Beatles que Jean Lemire, André Desmarais que Julien Poulin et René Richard Cyr, pousse la réflexion plus loin. « Il nous manque une histoire à nous raconter », dit-il. Selon lui, l’échec du projet de pays du PQ comme la paralysie du mouvement étudiant après 2012 s’expliquent justement par l’impossibilité d’inscrire ces aspirations dans une histoire plus large. Une histoire qui pourrait nous porter et nous faire rêver.
Quelle pourrait être cette histoire qui nous ferait sortir de nos bulles et relever enfin le menton ? L’environnement, plaide l’auteur, metteur en scène et « écoterroriste » à ses heures. Un sujet qui ne titille pas les masses, c’est sûr, qui brille toujours par son absence dans le programme de notre nouveau gouvernement « de patrons », mais qui, de par son urgence planétaire, sa priorité absolue, s’impose comme une tonne de briques. C’est le seul sujet à l’heure actuelle où il n’y a pas de revenez-y possible, où la marche à suivre est claire et nette. La mer, c’est par là. Une fois la transition énergétique entamée, le pétrole, le plastique et la surconsommation abandonnée, cela dit. Le succès électoral de Québec solidaire repose, d’ailleurs, précisément sur cette « part de rêve » que le parti a su faire miroiter en misant notamment sur l’environnement et la réinvention collective qu’une telle mission exige.
Intitulé J’aime Christine Beaulieu en hommage à l’auteure et comédienne qui, la première, a conjugué amour et politique dans son inoubliable J’aime Hydro, le spectacle de Dominic Champagne n’est pas lui non plus sans amour. Loin de là. Toute grande histoire est une histoire d’amour, dit-il. Celle qu’on inventera devra nécessairement avoir la fougue, la foi et l’ambition qui caractérisent deux jeunes amants. Pour l’instant, nos deux amoureux sont assis pétrifiés sur un banc. Les yeux dans les yeux, ils sont incapables de se toucher, terrifiés par l’inconnu et leur propre « manque d’imagination ».
Ah, mais le printemps s’en vient, prévient notre prestidigitateur d’un soir. Le dégel est dans l’air.

mercredi 10 octobre 2018

Par ici, la chicane

François Legault n’a pas froid aux yeux. L’empressement qu’il démontre à s’attaquer aux signes religieux en fait foi. Sans doute pense-t-il ainsi annoncer ses couleurs. Préparer ses plates-bandes. Mais pour un homme qui n’aime pas la chicane — « La chicane est terminée », annonçait-il vendredi après sa rencontre avec son prédécesseur —, il se méprend drôlement sur ce qu’il l’attend. La chicane ne fait que commencer. Trois mille personnes ont d’ailleurs pris la rue dimanche pour le lui rappeler.
Après avoir atteint, 10 ans plus tard, l’inatteignable étoile, celle de premier ministre, pour ne rien dire de voir la carte du Québec soudainement peinte bleu pâle (euphorie garantie), peut-être doit-on s’attendre à ce que le nouveau premier ministre se méprenne un peu sur les intentions des Québécois. Remettons donc les pendules à l’heure. Contrairement à ce que pense M. Legault, il n’y a pas de « consensus » concernant les signes religieux. Je dirais même que le consensus concernant la recommandation principale de la commission Bouchard-Taylor n’est pas aussi solide qu’on le croit.
L’interdiction pour les juges, procureurs de la Couronne, policiers et gardiens de prison de porter des signes religieux est davantage un compromis auquel se sont accrochés, d’abord Gérard Bouchard et Charles Taylor à la suite des débats acrimonieux des accommodements raisonnables, le chapitre 1 de la grande chicane québécoise (2007-2008), et plus tard, les partis politiques siégeant à l’Assemblée nationale après les bouleversements causés par la charte des valeurs, le chapitre 2 de la foire d’empoigne (2013-2014). Étant toujours incapable de s’entendre sur une définition de la laïcité, encore moins sur la signification d’un crucifix qui plane au-dessus de la tête de nos élus, il fallait bien pouvoir s’entendre sur quelque chose. Les employés de l’État qui ont le pouvoir de nous priver de liberté et qui, par le fait même, ont une charge tout à fait exceptionnelle semblaient constituer l’espace de convergence tout indiqué.
La vérité est que même cette « évidence » est plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Charles Taylor a d’ailleurs depuis changé d’avis sur l’interdiction de signes religieux pour les gardiens de l’ordre. A-t-il raison ? Vu la situation volatile au Québec et l’urgence de trouver un modus operandi, peut-être pas. Mais encore faut-il examiner le raisonnement derrière.
S’il est du devoir de ceux et celles qui détiennent un pouvoir de coercition de faire preuve de neutralité, en quoi l’absence de signes religieux le garantit-elle ? Depuis quand l’apparence physique (l’extérieur) traduit-elle la disposition profonde (l’intérieur) d’un individu ? Les juges et autres gardiens de la paix sont également censés être dignes, ouverts d’esprit et imperturbables. Mais ce genre de dispositions ne se légifère pas. Comme l’ont fameusement illustré les audiences entourant la nomination du juge Kavanaugh aux États-Unis, on possède les facultés requises, ou pas. Une loi n’y changerait rien.
L’autre raison de se méfier du soi-disant consensus sur l’interdiction faite aux gardiens de l’ordre, c’est qu’elle pourrait bien contrevenir aux dispositions de la Charte des droits et libertés, tant québécoise que canadienne. Aucune contestation juridique n’ayant eu lieu à ce chapitre, on n’en sait rien pour l’instant. La Cour suprême pourrait un jour décider, à l’instar de beaucoup de Québécois francophones, que la tâche collective qui incombe à ceux qui ont un pouvoir de coercition dépasse les droits individuels des personnes concernées. Le contraire est cependant plus probable. Vu la tendance nord-américaine de permettre l’affichage religieux même du côté des chiens de garde de l’État — les droits individuels sont après tout le socle des démocraties libérales —, il y a fort à parier que le gouvernement Legault perdrait sa cause. L’obligeant alors à invoquer la clause dérogatoire.
On a beau dire que cette clause est une arme légitime qui a été invoquée plusieurs fois au Québec, jamais n’a-t-elle été utilisée pour suspendre des droits fondamentaux. M. Legault, fidèle au jovialisme qui le caractérise, ne semble guère s’en émouvoir. Mais quel gouvernement pourrait se vanter de proscrire la liberté de conscience auprès de même une poignée de ses citoyens ?
Ce qui m’amène à l’interdiction de signes religieux à laquelle le nouveau gouvernement voudrait également assujettir les enseignantes du primaire et du secondaire. Comme l’a déjà souligné un éditorial du Devoir cette semaine, rien ne pourrait justifier un tel dérapage. Les enseignantes n’ont pas de « pouvoir de coercition », d’abord. Congédier des femmes qui ne demandent qu’à s’intégrer par le travail au Québec est sûr de semer l’acrimonie et la bisbille pour des années à venir.
Est-ce bien ce que veut François Legault ?

mercredi 3 octobre 2018

L'élection du changement

Il ne faut pas être le pogo le plus dégelé de la boîte pour comprendre que les électeurs ont eu envie de renouveau. C’est le premier constat qui s’impose à la suite de cette élection « historique ». Les deux partis qui ont admirablement tiré leur épingle du jeu, lundi soir, n’existaient pas il y a à peine 12 ans. Ceux qui ont été congédiés, voire anéantis, sont sur scène par ailleurs depuis longtemps.
Impossible de ne pas remarquer aussi que les deux grands gagnants, François Legault et Manon Massé, n’appartiennent pas à la même facture politique. Pour reprendre un terme cher à la co-porte-parole de QS, les électeurs cette fois ont choisi du « monde ordinaire », des leaders sans artifices et envolées oratoires, un homme d’affaires et une travailleuse communautaire qui viennent nous chercher moins par la force des arguments que par la force du coeur. Il y a certainement une leçon à tirer de cette méfiance vis-à-vis des finfinauds et les beaux parleurs.
Le chef du Parti québécoisJean-François Lisée, nous sert d’ailleurs d’exemple. Celui qui, de l’avis de plusieurs, menait la meilleure campagne, du moins jusqu’au fatidique Face à face du 20 septembre, le leader le plus spirituel, le débatteur le plus éloquent et le stratège le plus vite sur la gâchette, se retrouve aujourd’hui répudié comme nul autre.
De toutes les surprises de la soirée — la CAQ majoritaire, les quatre victoires de QS à l’extérieur de Montréal, la piètre performance du PLQ —, rien ne se compare, à mon avis, à l’effondrement du Parti québécois. Pensons-y : le parti responsable des plus grandes transformations du Québec moderne, celui qui nous a donné nos héros, nos artistes et nos mentors depuis 50 ans, celui qui a changé nos lois et nos vies, agonisait littéralement devant nos yeux. La crucifixion de Jean-François Lisée dans sa propre circonscription a d’ailleurs scellé cette mise à mort en direct. Après les attaques fielleuses de fin de campagne à l’égard de QS, on voit mal comment le Parti québécois pourrait prétendre encore « rassembler » ou se dire porteur d’un « projet de société ».
Le « changement » aura donc été le véritable moteur des électeurs, peu importe l’axe politique. Qu’on ait voté à droite, pour la CAQ, ou à gauche, pour QS, une majorité de Québécois ont exprimé le désir de changer de décor. Mais de quel changement parle-t-on au juste ? Pour François Legault, il s’agit simplement d’en finir avec la « division » semée au Québec par le projet indépendantiste. Tel un bon père de famille rassemblant ses enfants à ses côtés (ce qu’il a d’ailleurs fait sur scène lundi soir), il souhaite juste que la chicane cesse pour qu’on puisse enfin travailler tous ensemble. C’est la raison qui l’a poussé à créer la CAQ en 2011, dit-il, et c’est, à ce jour, la seule idée forte derrière le parti. Tout le reste, « faire moins mais faire mieux », n’est que comptabilité et slogan d’entreprise. Il n’y a pas l’ombre d’un projet de société là-dedans, aucun virage vert, culturel, social, aucun idéalisme sauf celui de traduire son amour des Québécois — et M. Legault est convaincant à cet égard — en prospérité financière. « Plus d’argent dans nos poches. »
Le changement que promet Québec solidaire est évidemment aux antipodes de ce menu minceur. La partie est loin d’être gagnée, QS a encore beaucoup de propositions à expliquer et de coins à aplanir avant que la peur et le ridicule qu’on lui prête ne cessent de le peinturer dans un coin. Cela dit, la transformation d’un parti de « pelleteux de nuages » en un parti capable de prendre et d’exercer le pouvoir est bel et bien commencée. Cette élection marque un tournant décisif à cet égard. Comme l’ont souligné certains sondeurs, la seule vraie mobilisation tout le long de cette campagne, la seule courbe qui a systématiquement pointé vers le haut, c’est QS qui en a bénéficié. Pourquoi ? Le vote des jeunes attirés notamment par les propositions sur l’environnement. C’est grâce aux 18-34 ans, du moins, ceux qui ont bien voulu voter, que QS connaît son meilleur résultat, tant en ce qui a trait au vote populaire qu’au nombre de sièges.
« Les électeurs de tous âges ont voulu changer, dit Mainstreet Research, mais cette campagne restera dans l’histoire comme l’élection d’un changement de génération. » La maison de sondage prédit du même souffle que « Québec solidaire est ici pour rester ».
Pourra-t-on en dire autant de la CAQ dans quatre ans ? À voir. Pour l’instant, le changement tant vanté par le chef de la CAQ se résume à avoir momentanément réduit la taille des libéraux.
Un changement bien mineur en comparaison des chocs sismiques qui se sont produits à gauche de l’échiquier politique. L’écroulement du Parti québécois, d’abord, l’arrivée d’une nouvelle génération d’électeurs, ensuite. Une génération qui s’attend à plus d’un gouvernement que de simples changements cosmétiques.