mercredi 30 juin 2021

Le monde selon Amazon

 Grâce au gouvernement du Québec, la « compagnie la plus lucrative sur Terre » vient de s’enrichir encore un peu plus. Amazon Web Services, une branche importante du géant Amazon, vient d’obtenir un contrat de 10,5 millions pour ses services infonuagiques. De la petite bière pour (AWS) qui, selon Forbes Magazine, aurait gagné 400 milliards de dollars américains en 2020, mais certainement pas pour le Québec, qui accorde ici son plus gros contrat d’hébergement numérique à ce jour.

Pourquoi favoriser Amazon ? Depuis 10 ans, le mégadétaillant de produits en ligne a réussi à se hisser à la tête des fournisseurs du « cloud computing ». Amazon accapare aujourd’hui 47,8 % de ce marché, contre 15,5 % pour Microsoft et 4 % pour Google. Or, dans le domaine de l’infonuagique, nous rappelle le ministre responsable de la Transformation numérique, Éric Caire, « big is beautiful ». Plus les infrastructures sont imposantes, plus les services et la rapidité le sont aussi. Manifestement, il n’y a pas « d’Espace bleu » dans le nuage cybernétique.

N’empêche que pour quiconque se préoccupe de la concentration du pouvoir et de l’argent, le choix d’Amazon, ici, n’est pas sans faire réfléchir. Au moment même où on commence à exiger des géants du Web qu’ils remettent dans la cagnotte, c’est-à-dire qu’ils arrêtent de puiser impunément dans les données personnelles et l’information journalistique sans jamais rendre de comptes, ou payer pour leurs emprunts, le moins qu’on puisse faire, avant de signer un contrat avec Amazon, c’est se demander où on met les pieds.

L’empire Amazon, simple machine à distribuer des livres à ses débuts, en 1994, est rapidement devenu le tapis roulant de la consommation tous azimuts. Il n’y a rien que la compagnie ne fournit pas aujourd’hui, du simple recueil de poésie au frigo jumbo, en plus d’avoir créé des succursales en matière de pharmaceutique, de sécurité résidentielle, de diffusion de films et, bien sûr, de services infonuagiques. Et tout ça par simple besoin de mieux servir le consommateur, dit Jeff Bezos, le fondateur et p.-d.g. d’Amazon. « Nous avons toujours voulu être la compagnie au monde la plus centrée sur les besoins du client », écrivait-il récemment à ses actionnaires.

Pour ambitieuse qu’elle soit, la vision du célèbre entrepreneur n’est guère compliquée : vous voulez quelque chose ? On vous l’obtient. Et vite à part de ça. Vous ne savez pas encore que vous voulez quelque chose ? Et bien, on vous l’obtient aussi. C’est l’idée derrière Amazon Prime, le summum de la pensée bezosienne ou, si on veut, le capitalisme à son meilleur. Pour 119 $ US par an, vous devenez un client choyé, constamment récompensé. On vous donne accès aux films d’Amazon, aux chics boutiques d’alimentation Whole Foods et le meilleur : vous n’avez plus jamais à payer de frais de livraison. Mais encore faut-il démontrer sa loyauté à la compagnie. Encore faut-il être constamment à l’affût des précieuses aubaines qu’Amazon Prime n’a de cesse de vous proposer à tous moments du jour et de la nuit.

En d’autres mots, vous payez pour faire partie d’un système conçu pour vous faire consommer en boucle, assurant ainsi la croissance rapide d’Amazon, sans parler de l’enrichissement de « l’homme le plus riche du monde ». Et pourtant, Amazon Prime, avec ses 200 millions d’abonnés, est le service d’abonnement le plus prisé mondialement, tout de suite après Netflix, qu’il est appelé à dépasser d’ici peu. Il va sans dire qu’Amazon a complètement transformé la vente au détail et, la pandémie aidant, a réussi à faire de la consommation en ligne une espèce de droit de passage de l’homme et de la femme modernes. Ce faisant, il a également transformé le monde du travail, ce dont on parle moins.

En voie de devenir le plus gros employeur du secteur privé, Amazon emploie, aux États-Unis seulement, près d’un million de personnes. Il s’agit d’emballeurs, pour la plupart, dans des chaînes de montage à perte de vue, qui refont inlassablement les mêmes gestes pendant de longues heures. Le salaire étant plus élevé que ce qu’on trouve ailleurs (de 15 à 18 $ l’heure), les gens ne se font pas prier pour travailler pour Amazon, mais en même temps, le taux de roulement (150 %) est phénoménalement élevé. Et c’est voulu. Pour Jeff Bezos, une main-d’œuvre bien implantée équivaut à « une marche vers la médiocrité ». Les gens sont paresseux de nature, selon lui, et obéissent à la loi du moindre effort.

C’est cette « vision » qui a servi à ériger l’empire de la consommation à portée de doigt et qui sert au modèle d’emploi à courte durée préconisé chez Amazon. De plus, la gestion des employés est faite par logiciels, tout ce qu’il y a de plus impersonnel, mais permettant également de mesurer à chaque instant la « productivité » de chacun et de signifier un congédiement immédiat, au besoin. Comment se surprendre que l’entreprise ait dû « remplacer tous ses employés à taux horaire au cours de la dernière année » ?

Voilà un peu à quoi nous souscrivons en nous attelant à Amazon. Bien sûr, nous avons tous déjà, individuellement, les doigts dans l’engrenage des géants informatiques. Mais fallait-il, collectivement, mettre le bras dans le tordeur ?

Cette chronique fait relâche jusqu’au mois d’août. Bonnes vacances !


mercredi 23 juin 2021

Enfin des bons gars

 Comme la fille dans la chanson bien connue de Richard Desjardins, j’ai eu envie de crier « enfin des bons gars » à la sortie du très beau film de Sophie Dupuis, Souterrain. Le long métrage met en scène des mineurs de Val-d’Or, ainsi que la mine, bien sûr, ses catacombes glauques, sa machinerie infernale, ses horaires sans bon sens et, surplombant cet univers sombre pour mourir, une petite lumière au bout du tunnel, la vie de famille des trois personnages principaux. C’est ce qu’on pourrait appeler un « film de gars », mais raconté par une jeune femme, abitibienne et fille de mineure de surcroît, ce qui fait ici toute la différence. Le film est magnifiquement dur et tendre à la fois, sans héros ni complaisance tout en rendant hommage aux hommes (et à quelques femmes) qui travaillent jour après jour dans ce milieu sépulcral.

Ce portrait d’hommes ordinaires, bourrés de défauts, mais aussi de qualités, arrive comme une bouffée d’air frais dans le monde étouffant de la « masculinité toxique » qui sévit aujourd’hui. Tenez, au cours des dernières semaines seulement, il a été question d’abus sexuels, physiques et psychologiques de la part de prêtres catholiques envers des milliers d’enfants autochtones, également envers des centaines de jeunes Québécois, d’un 13e féminicide, de vidéos de viol distribués illicitement par Pornhub, de harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes, de violences policières, de Pablo Picasso, dont les « crimes sexuels » font ombrage à l’exposition en cours au Musée national des beaux-arts du Québec, sans parler de la tuerie d’une famille musulmane à London en Ontario, un autre acte de terrorisme commis par un jeune fou furieux.

On a l’impression de croupir sous une avalanche de violences masculines actuellement. Après des décennies et même des siècles à passer l’éponge, il est évidemment important de procéder à l’inventaire. Mais cette comptabilité lugubre n’est pas sans laisser un certain malaise. Autant les faits paraissent incontestables, autant on sait bien que la condition masculine ne se résume pas qu’à ça. Nous en connaissons tous, après tout, des « bons gars » — ce qui veut dire, je pense, tant pour Richard Desjardins qui les a immortalisés que pour Sophie Dupuis qui en fait la dernière phrase de son film, des hommes de cœur, à défaut souvent de mots. Des hommes droits, malgré les vicissitudes de la vie, qui déconnent, oui, mais qui sont capables de l’admettre. Des hommes — du moins, dans le film — qui s’inscrivent toujours dans le vieux modèle du pourvoyeur, mais qui ne se limitent pas qu’à ça. Des hommes capables, en d’autres mots, d’aimer.

Le sondage Léger réalisé du 4 au 16 mai pour souligner la semaine de la paternité parle justement de ces hommes-là. Plus qu’ailleurs au pays, les pères québécois « se considèrent d’abord et avant tout comme des modèles (48 %) et comme un parent qui donne soins et affection (45 %) ». Soins et affection ? On est loin ici du père absent, bourru à souhait, qui, une fois rentré du travail, ne s’exprime que pour corriger femme et enfants. Bien qu’on soupçonne chez les sondés une tendance à embellir la réalité — 71 % des pères québécois partageraient « équitablement » les soins aux enfants (vraiment ?) —, il est indéniable que de grands progrès, particulièrement chez les hommes plus jeunes, ont été accomplis.

Les congés de paternité — deux fois plus fréquents au Québec qu’ailleurs au Canada — sont en partie responsables de ce changement de mentalité. « Rester à la maison avec ses enfants change la façon dont les pères conçoivent leur rôle », selon la sociologue Valérie Harvey, interviewée cette semaine à l’émission Tout un matin. Ce genre de politiques familiales n’auraient pas lieu, bien sûr, si les femmes n’avaient pas réclamé l’égalité des chances, en commençant par une meilleure répartition des tâches familiales.

Bien que campé dans un monde plus traditionnel, le film de Sophie Dupuis montre également que l’aptitude de s’occuper des autres n’est pas le strict monopole d’un sexe ou d’un milieu.

Le film donne dans la nuance : on voit des hommes capables d’être affectueux l’un envers l’autre (la scène de la douche est mémorable à cet effet) et des femmes capables de nerfs d’acier. C’est d’autant plus bienvenu qu’on a eu tendance, en réaction à la montée du féminisme, justement, à dépeindre les hommes en losers depuis quelque temps. On se souviendra de certaines publicités notoires à cet effet, sans parler des derniers films de Denys Arcand. Un peu comme si on nous disait : « Vous ne voulez plus du vieux stéréotype de l’homme fort et courageux, l’homme de marbre ? Voici alors ce que vous méritez : des abrutis et des lavettes. »

La réalité, heureusement, est plus complexe. Des hommes capables de prendre leurs responsabilités tout en étant vulnérables et humains, ça existe. Des femmes fortes, capables d’aimer ces hommes-là, aussi. Merci à Sophie Dupuis (et à Richard Desjardins) de nous le rappeler.


mercredi 16 juin 2021

Le bout du tunnel

 Au bout de 15 mois de combat contre le coronavirus, nous avons tous beaucoup appris sur cette maladie. On sait comment le virus se transmet, ses effets, ses victimes de prédilection et, le meilleur, comment s’en protéger. Mais on ignore toujours les origines de cette peste des temps modernes. Curieusement, alors que la lumière pointe au bout du tunnel, la lumière fait toujours défaut à l’autre extrémité, à l’entrée du tunnel. Comment ce nouveau pathogène s’est-il produit ? D’où vient-il exactement ?

L’explication la plus courante est celle de la « zoonose », un virus animal qui se serait transmis à l’être humain. Il s’agit d’un dérèglement de la nature, en quelque sorte, comme si les bêtes, à la suite d’une détérioration marquée de leur environnement, se vengeaient sur nous, envahisseurs humains. Les nouveaux virus derrière le SRAS (2002), le MERS (2012) et la maladie à virus Ebola (2014) ont tous évolué de cette façon. Quoi de plus normal, par conséquent, que de supposer la même trajectoire pour le SRAS-CoV-2, un coronavirus de la même famille de ceux qui causent le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et le MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient). De plus, les virus à l’origine du SRAS et de la COVID pourraient venir du même animal, les chauves-souris rhinolophes, dont la transmission à l’humain aurait été facilitée par l’existence, très répandue en Chine, de marchés d’animaux vivants — dont celui de Wuhan pour ce qui est du virus qui nous occupe.

Cette explication semble d’autant plus probable que l’autre théorie concernant les origines du virus, un accident de laboratoire, à Wuhan également, paraît digne d’un scénario de science-fiction. Ou encore sortie de l’imagination tordue d’un Donald Trump. Une lettre signée par 27 scientifiques dans le réputé The Lancet, en février 2020, clôt le débat d’ailleurs avant même qu’il n’ait lieu. Le groupe s’élève « d’une seule voix » contre les suppositions fumeuses et les intentions malveillantes envers la Chine. Les dés sont jetés. Ou vous croyez en la science et vous vous rangez du bon côté de la question ou vous entretenez des idées ridicules et dangereuses. L’ex-directeur des CDC (Centers for Disease Control and Prevention), Robert Ray Redfield, recevra d’ailleurs des menaces de mort après avoir osé dire qu’il favorisait l’idée d’un accident de laboratoire.

Il va falloir attendre plus d’un an avant que cette théorie ne soit examinée sérieusement. Grâce à des chercheurs indépendants, on découvre que certains laboratoires chinois, classés à sécurité maximale comme celui de Wuhan, ont connu quatre ruptures de sécurité importantes depuis 2004. Tout ça, bien sûr, a été tu par les autorités chinoises. On apprend aussi qu’en novembre 2019, plus d’un mois avant que la Chine n’annonce l’éclosion d’un nouveau virus, trois des chercheurs de laboratoire de Wuhan sont tombés malades d’une curieuse pneumonie dont les symptômes s’apparentent à ceux de la COVID-19.

On découvre également que le cri du cœur publié dans The Lancet dissimulait un conflit d’intérêts important. La dénonciation a été orchestrée par le directeur d’un laboratoire américain, EcoHealth Alliance (ECH), qui non seulement fait le même type de recherche risquée que celui de Wuhan — il s’agit de manipuler un virus animal pour ensuite mesurer sa capacité d’infecter l’espèce humaine —, mais qui a aussi déjà financé le laboratoire chinois en question. Ce type de recherches appelé « gain de fonction » implique un processus qu’on pourrait associer au laboratoire de Frankenstein : la création de virus plus toxiques encore que ce qui existe dans la nature. Cette expérimentation hautement risquée, menée bien sûr pour « le bien de l’humanité », ouvre quand même la porte à d’énormes dangers. On comprend que quiconque a été impliqué dans une telle aventure a tout intérêt à éloigner les regards indiscrets.

Et puis, pendant que les preuves d’un accident de laboratoire s’accumulent en douce, les preuves de l’origine naturelle du virus manquent toujours à l’appel. Des détails clés tels que l’origine animale du virus, la manière exacte par laquelle il a pu se transmettre ainsi que le moment et le lieu précis de la toute première infection sont toujours curieusement inconnus. De plus, une transmission naturelle ne se résume pas d’ordinaire à un seul endroit. Or, Wuhan, qui comme par hasard est également l’endroit où se trouve le laboratoire suspect, est le seul lieu de transmission identifié à ce jour.

La COVID-19 a tué, au bas mot, 4 millions de personnes et en a infecté plus de 176 millions. Si on veut en venir à bout un jour, il va falloir qu’on établisse une fois pour toutes l’origine de la maladie. Devant deux possibilités, on voit bien qu’on a privilégié la théorie bonbon jusqu’à maintenant. La transmission naturelle n’a pas du tout les mêmes conséquences scientifiques et, surtout, politiques que celles associées à un accident de laboratoire. Imaginez un peu les ramifications si la responsabilité de la pire catastrophe pour l’humanité depuis un siècle était attribuable à une poignée de scientifiques chinois ? Ce type de recherches serait remis en question et, plus encore, la Chine elle-même. L’empire du Milieu pourrait-il maintenir son ascendant devant un tel opprobre ?

Raison de plus d’exiger d’en avoir enfin le cœur net.

mercredi 9 juin 2021

Le massacre autochtone

 Vous êtes à la maison avec vos deux petits frères, de 6 et 8 ans, un après-midi d’hiver. Du haut de vos 11 ans, vous veillez distraitement au grain lorsque deux inconnus, deux Blancs, entrent soudainement. Ils sont là pour vous aider, disent-ils. Ils ont déjà empoigné les deux petits lorsque votre grand-père — il demeure à côté — arrive en trombe. Il s’interpose entre vous et les intrus. Sa présence empêche qu’on vous emporte dans la rafle. Vos deux frères n’auront pas cette chance. Rapidement, on les emmène. Vous ne reverrez le plus jeune et le plus vieux qu’une vingtaine d’années plus tard.

Cette scène, qui a dû se répéter des milliers de fois durant les 150 ans de pensionnats autochtones, est tirée d’un film d’une jeune Anichinabée qui a étudié le documentaire avec moi. Elle tenait à raconter l’histoire de sa mère qui, à 11 ans, a vu sa vie basculer, victime de cette folie furieuse qui exigeait qu’on arrache les enfants à leur milieu familial afin de les « civiliser », de les « évangéliser » ou simplement de les « éduquer » — au péril parfois de leur vie.

La scène décrite plus haut, qui se passe dans le nord de l’Ontario mais qui aurait très bien pu se passer au Québec, ne se déroule pas au tournant du siècle dernier, au moment où s’implante « l’assimilation agressive » de John A. MacDonald. « Nous allons poursuivre notre mission jusqu’à temps qu’il n’y ait plus de question indienne, plus un seul Indien qui n’a pas été absorbé dans le corps politique de la nation », disait, en 1920, le sous-ministre des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott. La scène se passe plutôt au début des années 1960, c’est-à-dire à un moment où, non seulement le zèle missionnaire a largement disparu et l’assimilation des Amérindiens a été déclarée un échec, mais où le monde occidental se tourne aussi résolument vers la « décolonisation ». Après des siècles de conquêtes, on comprend enfin la bêtise d’assujettir d’autres peuples et territoires à des lois et des mœurs étrangères en prétendant que la « civilisation » y gagne.

Et pourtant, au même moment, ici au Canada, on continue à saper les communautés autochtones en kidnappant et en envoyant les enfants loin de leur famille. Dans les années 1960, l’obligation pour tous les enfants autochtones d’étudier dans un pensionnat fait sur mesure, à l’exclusion de toute autre école, n’existe plus. Les résultats ont été trop désastreux. On connaît depuis longtemps les mauvais traitements, les abus, les maladies et souvent la mort qui attendent les enfants dans ces établissements. En 1907, un rapport de l’inspecteur médical en chef, P. H. Bryce, établit à 24 % la proportion des enfants, préalablement en bonne santé, qui meurent dans les pensionnats. Sans parler de tous ceux (de 47 à 75 % selon les établissements) qui meurent une fois renvoyés à la maison.

On est au courant également des travaux forcés et des expérimentations nutritionnelles faites au cours des années 1940 et 1950, privant les jeunes pensionnaires de certains aliments essentiels, et du peu d’éducation que ces derniers ont reçu finalement : l’équivalent d’une 5e année après 12 à 15 ans de prise en charge. Le tableau est tout sauf reluisant.

À partir des années 1950, on change donc son fusil d’épaule. On enlève toujours les enfants, mais pour les placer de plus en plus dans le réseau de protection de la petite enfance. Le gouvernement fédéral transfère également des pouvoirs aux provinces, qui se chargeront désormais des rafles et des enlèvements. Curieusement, c’est à ce moment, alors que le concept des pensionnats autochtones est de plus en plus critiqué au Canada, que ceux-ci prennent de l’ampleur au Québec. Aux deux seuls pensionnats présents dans le Grand Nord, on en ajoute maintenant à Sept-Îles (1952), à Amos (1955), à Pointe-Bleue (1960) et finalement à La Tuque (1963), en contrepoids aux réserves autochtones qui se créent dans chacun de ces endroits.

Le réseau québécois, 12 établissements au total, qui pourtant plus restreint et plus récent que ce qu’on trouve ailleurs au Canada, commettra les mêmes horreurs : interdiction de parler une langue autochtone, punitions corporelles sévères, abus sexuels, nourriture déficiente, maladies fréquentes, décès. Le compte officiel au Québec, établi lors de la Commission vérité réconciliation (2015), est de 38 morts, mais on a raison de croire qu’il en existerait bien davantage. Tout ça sans parler du racisme « systémique » qui teinte le curriculum scolaire. Aux enfants autochtones, on enseigne « la pureté de nos origines canadiennes-françaises, le caractère religieux, moral, idéaliste et héroïque de nos ancêtres ». Bref, ici comme ailleurs, sous le couvert de vouloir le bien, on se spécialise dans l’humiliation, l’acculturation et, ultimement, la destruction des Autochtones.

À la suite de la découverte macabre de 215 petits corps à Kamloops, en Colombie-Britannique, le premier ministre François Legault s’est dit « ouvert » à « participer à des fouilles éventuelles » sur les lieux des pensionnats autochtones québécois. Souhaitons-le. Les belles paroles ont assez duré. Le temps est venu de regarder le génocide autochtone dans le blanc des yeux.