jeudi 19 avril 2012

L'invention du chauffage central

par Francine Pelletier

Une étudiante du collège de Rosemont est retournée en classe cette semaine, forte d'une injonction lui permettant de contourner le mouvement de grève. Elle est au moins la troisième ou quatrième à ne pas hésiter à faire un bras d'honneur, non seulement au ferment social de l'heure, mais à la plus importante manifestation étudiante de tout temps.

Comment se sent-on à braver un tel courant? Au moment de passer devant des centaines de collègues, et sûrement quelques amis, qui ont tous voté en faveur de la grève, qui défendent une idée essentielle, l'accessibilité aux études du plus grand nombre, qui ont l'appui de plus en plus de professeurs, de syndicats, de mouvements sociaux et de plus en plus d'élèves du secondaire... s'est-elle sentie fière? Enorgueillie de défendre si vaillamment la liberté de conscience? Peut-être un peu loner quand même? Un peu gênée d'envenimer une situation déjà passablement empoisonnée? L'ombre d'un doute l'a-t-elle même effleuré concernant la pertinence de sa démarche? ...

"LIBARTÉ!" Le président de la CSN, Louis Roy, a fait une démonstration magistrale, lors du dernier Moulin à paroles il y a 10 jours, de la dérive de l'idée de liberté,  notamment chez nos "libertariens", les Eric Duhaime, Joanne Marcotte et occasionnel animateur de radio poubelle de ce monde. En parodiant l'obsession avec le moi, moi, moi ("mes droits à assister à mes cours, mes droits à dire n'importe quoi..."), le chef syndical pointait du doigt la "confusion des genres entretenue par la droite".

Il y a bel et bien une catégorie de personnes pour qui la liberté est une "marque de yaourt", pour citer Pierre Falardeau. Elles en sont fières, comme si toutes ces velléités de bien commun, de désirs collectifs étaient choses du passé. La beauté du mouvement étudiant, comme celle du mouvement qui s'annonce pour dimanche prochain, le 22 avril, c'est justement de rappeler que "chacun de nous est responsable de l'effort qu'il apporte au destin commun" (Jean-Luc Melanchon, leader du Front de gauche français). 

Ça s'appelle: solidarité. Mot galvaudé s'il y en a un, c'est quand même l'invention du siècle (dernier), celle, non seulement que l'union fait la force, mais que nous avons une humanité commune et par conséquent, des responsabilités communes. Pour reprendre le merveilleux titre d'Alexis Martin et Daniel Brière du Nouveau Théâtre Expérimental, L'invention du chauffage centrale en Nouvelle-France,  la so-so-solidarité c'est le poêle à bois de l'édifice humain, la brique chauffante qui nous agglutine les uns aux autres, le calorifère à chaque étage qui nous empêche de geler, tout seul dans son coin.

L'exemple de solidarité le plus hot? Les musiciens du Titanic qui continuent à jouer alors que les passagers prennent leurs jambes à leur cou et le bateau coule...

Tout ça pour dire que les tactiques de division du gouvernement Charest auprès des étudiants puent au nez. On dirait Stephen Harper, tellement la manoeuvre est hypocrite et manipulatrice. De quel droit un gouvernement qui nage dans la collusion, ferme les yeux devant des décennies de fraudes électorales, exige-t-il qu'un groupe étudiant (mais pas les deux autres) montre patte blanche? Faut-il en rire ou en pleurer? De quel droit traite-t-il les dirigeants de la CLASSE comme des hors-la-loi alors qu'ils suivent un mandat clair, limpide, on ne se peut plus démocratique? Comment ose-t-il leur tenir la dragée haute en matière de morale quand la tactique même qu'il emploie, notamment en vue de l'agitation sociale qu'elle provoque, est immorale?

Gouvermement opportuniste s'il en est un (souvenons-nous du Mont Orford, du Suroît, des gaz de schiste...), Charest se fie aux sondages pour espérer gagner du capital politique en employant la ligne dure vis-à-vis les étudiants. Plus le conflit dure, plus les sympathies vont se retourner contre les étudiants, espère-t-il, et plus on va applaudir son "épine dorsale". Il n'y a pas l'ombre d'un principe, d'une vision sociale, encore moins éthique, là-dedans. Il n'y a qu'un calcul électoral à court terme.

De grâce, FECQ et FEQ, ne tombez pas dans le panneau! Bien sûr, le vandalisme c'est pas beau. Bien sûr, vous pourriez vous en dissocier tous un peu plus énergiquement. N'en demeure pas moins que c'est ni aussi grave ni aussi odieux que les dérapages policiers ou la corruption politique.  De grâce, restez solidaires.  Ce n'est pas seulement le mouvement étudiant qui en pâtirait, c'est l'idée même du chauffage central, de la solidarité, de la défense des droits collectifs. De grâce, faites-nous pas geler. L'hiver a assez duré comme ça.

D'ailleurs, pour tous ceux et celles qui voudraient se réchauffer, le printemps vous attend Place des festivals, dimanche, 14h: http://22avril.org/


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