mercredi 14 octobre 2020

Rebelote

 N’y avait-il vraiment personne d’autre qu’un ancien policier pour remplacer Sylvie D’Amours aux Affaires autochtones ? Cette nomination incongrue indique-t-elle un manque de personnel qualifié sur les bancs caquistes ou alors un autre exemple d’insensibilité vis-à-vis des Autochtones ? On comprend, en tout cas, les associations de femmes autochtones d’être « sous le choc ». Ian Lafrenière a beau être un bon communicateur, un homme avec une poigne redoutable, c’est un peu comme si on nommait le général Custer pour négocier la paix des braves. C’est une claque au visage pour ceux et surtout celles pour qui la police a rarement été un allié.

En juin dernier, des groupes autochtones signaient une lettre ouverte dénonçant le traitement d’une femme crie, en crise, au square Cabot à Montréal. Plutôt que d’envoyer une ambulance, ce sont 17 policiers du SPVM accompagnés d’une « escouade canine » qui ont été dépêchés sur les lieux. « Chaque femme autochtone ayant besoin d’une aide médicale a-t-elle besoin d’un intervenant pour assurer sa sécurité face à la police ? » demandent les signataires, déplorant l‘utilisation fréquente d’une « violence extraordinaire » lors d’interventions policières.

Cette violence a plusieurs visages, nous apprenait l’émission Enquête il y a cinq ans. Le reportage de Josée Dupuis — qui cherchait de prime abord à souligner la disparition de Sindy Ruperthouse, une femme anichinabée disparue depuis 2014 — finira par découvrir un tout autre panier de crabes : les sévices et surtout les abus sexuels subis par les femmes autochtones. « On allait dans un chemin dans le bois et là, ils me demandaient de leur faire une fellation. […] Ils me payaient chacun 200 $. 100 piastres pour le service, 100 piastres pour que je ferme ma gueule », dit l’une d’entre elles. Sans parler des « cures géographiques » qui consistent à laisser le ou la « suspecte » loin de chez elle, en plein hiver très souvent, en la dépouillant de certains de ses vêtements.

À la suite du reportage d’Enquête, huit policiers de la SQ de Val-d’Or, ciblés par les témoignages d’une vingtaine de femmes autochtones, seront suspendus et feront l’objet d’une enquête. Celle-ci est confiée au SPVM, dont Ian Lafrenière est à l’époque le porte-parole. La résistance se fait immédiatement sentir dans les rangs policiers : la moitié des effectifs de la Sûreté du Québec (environ 2500 sur 5000) portent un bracelet en appui à leurs confrères suspendus, y compris lors de leurs interventions auprès de la communauté autochtone. L’intimidation ne s’arrête pas là. Un an plus tard, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), représentant les huit policiers, intentera une poursuite de 2,3 millions de dollars en diffamation contre Radio-Canada, même si aucun policier n’est identifié dans le reportage.

Aucune accusation ne sera d’ailleurs portée contre les policiers ciblés de Val-d’Or, faute de preuves, d’identification notamment. Des 37 dossiers déposés au Directeur des poursuites criminelles et pénales — dont 14 allégations d’abus sexuel, 15 d’usage excessif de la force et 9 allégations de séquestration (cures géographiques) — seulement 2 feront l’objet d’accusations criminelles. Un des deux accusés, un policier de Schefferville, se suicidera peu de temps après. L’autre accusé est un policier autochtone de la Côte-Nord.

La cerise sur le sundae : à défaut d’accusations, les excuses formelles exigées de la SQ par des groupes autochtones ne viendront jamais, excuses que la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, « ne s’est pas engagée à obtenir ». Peu surprenant, alors, que les femmes autochtones ont peur encore aujourd’hui de croiser un policier en uniforme. Elles ont toutes les raisons, plus encore que leurs vis-à-vis masculins, de ne pas se sentir en sécurité.

Il ne s’agit pas ici de diaboliser le nouveau responsable des Affaires autochtones. Ian Lafrenière comprend sans doute mieux les questions impliquant les Premières Nations que l’ancienne titulaire, perpétuellement dépassée par les événements. Mais pour ce qui est de « rebâtir les ponts », comme le somme de le faire le premier ministre, loin de partir avec une longueur d’avance, le député de Vachon a toute une côte à remonter. De plus, son refus, calqué sur celui du premier ministre, de reconnaître le racisme systémique, plombe ses chances de réussite encore davantage. Depuis la mort de Joyce Echaquan, l’humeur a changé. On n’est plus seulement dans une simple bataille de mots autour du terme systémique ; on en est à choisir son camp. Ou on reconnaît l’injure (réelle) faite aux Autochtones, et aux groupes racisés, ou on continue de protéger les sensibilités d’une partie de l’électorat francophone en refusant d’utiliser le terme jugé insultant.

Ou on privilégie l’optique autochtone (pour une fois) ou on continue à privilégier l’optique de la majorité. Faites vos jeux. Le gouvernement semble avoir fait le sien.

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