mercredi 12 février 2020

La guerre des éteignoirs

Ainsi, le souhait de la défunte ADQ de mettre fin aux commissions scolaires — ce qui avait des allures de grand guignol, rappelons-nous, en 2007 — a finalement été exaucé. Au petit matin, vendredi dernier, 700 commissaires perdaient leur travail, comme par magie. Pouf ! Disparus du jour au lendemain ainsi que les 70 commissions scolaires qui les dirigeaient. C’est un peu cruel, on s’entend, sans parler du quatrième bâillon qui a scellé ce tour de passe-passe à l’Assemblée nationale.
Sûr, un système vieux de près de 200 ans a besoin d’être revu et corrigé. Malgré sa vétusté, notons quand même qu’en 1846, au moment de leur création, les commissions scolaires illustrent « l’esprit de lumière », vu leur engagement envers une éducation de masse. Cette nouvelle bête bureaucratique, qui possède un pouvoir de taxation en plus, en indispose évidemment plus d’un. Au XIXe siècle, « l’État est le troisième acteur en éducation, après l’Église et la famille », explique l’historien Jean Bélanger. La résistance aux commissions scolaires est considérable et l’opposition à cette première expérience d’éducation populaire sera baptisée « guerre des éteignoirs ».
La lumière finira par avoir le dernier mot, un siècle plus tard, lors de la vaste réforme de l’éducation qui mènera à la commission Parent (1961-1966) et à la création du ministère de l’Éducation (1964). Le Québec de la Révolution tranquille voit d’un très bon oeil les commissions scolaires qui, modernisées et étendues à l’ensemble du territoire, « répond[ent] à une volonté explicite de démocratiser le système d’éducation et à un urgent besoin de répondre à l’arrivée massive de la génération du baby-boom sur les bancsd’école ».
Curieusement, les commissions scolaires d’alors sont prisées pour les mêmes raisons qu’elles se voient abolies aujourd’hui. Dans les années 1960, on vante ce palier de gouvernement pour ses « gains d’efficacité », sa capacité de « démocratiser le système d’éducation » et de « redéfinir le rôle de l’État en matière d’éducation ». Aujourd’hui, on prétend que c’est plutôt l’abolition desdites commissions qui permettra d’atteindre ces mêmes objectifs. Cherchez l’erreur.
Qu’est-ce qui a changé en 50 ans sinon cette idée que l’éducation n’est plus un bien, un droit, mais un « service » qui doit être offert le plus rondement possible ? « Il faut être efficace », disait le ministre Roberge à Tout un matin cette semaine, et « avoir le courage de changer les choses ».
Il faut dire que tant les libéraux que les péquistes ont jonglé avec l’idée de se défaire des commissions scolaires — l’idée saugrenue de Mario Dumont a quand même fait son petit bonhomme de chemin depuis 2007 —, mais sans que les uns ou les autres osent proposer l’abolition complète de ce palier gouvernemental. Fidèle à son modus operandi, ayant déjà aiguisé ses couteaux en matière de laïcité et d’immigration, jusqu’au Bonjour-Hi qui a failli passer à la trappe, la CAQ revient à la charge avec l’adoption à la va-vite de la loi 40 sur la gouvernance scolaire. Il faut admirer le sang-froid, quand même, à moins qu’il s’agisse d’une espèce d’intoxication de lune de miel qui n’en finit plus. Se voir à ce point apprécié, sur Facebook et ailleurs, 16 mois après la dernière élection, doit bien finir par monter à la tête un brin.
Le parallèle entre cette réforme et celle, encore toute récente, en santé demeure d’ailleurs troublant. Même énorme machine qui ne cesse de décevoir. Mêmes professionnels exténués. Même public désabusé. Même manque de transparence et même concentration des pouvoirs dans les mains du ministre. Même faites-moi-confiance-je-sais-ce-qu’il-faut-faire. Même incapacité du public d’y voir clair. « On a l’impression d’être devant un immense fouillis », dit une porte-parole de Je protège mon école, Patricia Clermont.
Sans nier le besoin de remédier aux lacunes du système d’éducation, pense-t-on vraiment que la solution passe par le fait de mettre des professionnels à la porte au profit de parents et de représentants bénévoles ? N’est-ce pas là l’équivalent d’envoyer ses poubelles en Chine dans l’espoir de peut-être les recycler ? C’est de l’ordre des voeux pieux, en d’autres mots. Et cela ne tient pas suffisamment compte des limites d’une telle aventure : le manque de disponibilité de la majorité des parents, d’abord. Nous ne sommes plus à l’ère des dames patronnesses et des femmes à la maison. Et le manque de connaissances, ensuite, des nouveaux conseils d’établissement en ce qui concerne la gouvernance et même le milieu scolaire, dans bien des cas.
La loi 40 rappelle tout ce qui exaspère dans ce gouvernement : le manque de consultation, le besoin de cocher une case plutôt que de réfléchir plus avant, l’obsession du « service » au détriment des idées et le mépris de la fonction publique. Un autre « éteignoir », l’abolition des commissions scolaires ? Le temps le dira.

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