mercredi 10 février 2021

Fesser sur la mairesse

 C’est devenu un sport amateur pour les gérants d’estrade et commentateurs attitrés de la métropole : fessons sur la mairesse ! Les lamentations concernant les pistes cyclables, la circulation embourbée et les cônes orange sont, on le sait, légion. Cet opéra-bouffe, qui a connu ses débuts lorsque Luc Ferrandez était maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, n’a fait que s’intensifier depuis l’arrivée de Valérie Plante à l’Hôtel de Ville. Dans le cas de celle-ci, par contre, les critiques ne s’arrêtent pas là. De son rire tonitruant à son « mépris » du français, de son insensibilité au milieu des affaires à sa bande dessinée lancée en « pleine pandémie », on ne rate pas une occasion de dire combien la mairesse multiplie les gaffes. Et qui dit gaffe dit incompétence. Bref, sorte de pantin de la gaugauche tous azimuts, Valérie Plante, première femme aux commandes de la métropole, ne serait pas à sa place.

Vendredi dernier, le président de la Fraternité des policiers s’est fait un malin plaisir d’enfoncer ce clou à la suite des déclarations de la mairesse dans l’affaire Camara. Accusant Mme Plante de nuire « au climat social » et de compliquer « encore davantage la tâche de ceux et celles qui ont la responsabilité d’assurer la sécurité des Montréalaises et des Montréalais », Yves Francœur conclut sa missive avec cette invective ronflante : « Nous espérons que vous saurez dorénavant vous comporter de façon plus responsable en évitant que vos biais idéologiques interfèrent avec votre nécessaire devoir de réserve. »

Le ton (paternaliste à souhait) est donné. D’un côté, la responsabilité, le travail bien fait, le sens du devoir et le souci de la sécurité des citoyens. De l’autre, l’émotivité, les déclarations à l’emporte-pièce et l’incompréhension du processus judiciaire. D’un côté, un homme ; de l’autre, comme par hasard, une femme. Cherchant à l’humilier au maximum, l’homme à la réputation de pitbull au sein du SPVM a le culot ici de s’en prendre à « l’idéologie » de la mairesse — notamment sa supposition qu’il y aurait eu du profilage racial dans l’arrestation de Mamadi III Fara Camara, une « allusion extrêmement déplorable », dit-il — sans se rendre compte de la poutre qu’il a dans l’œil.

Le président du syndicat policier ne semble pas comprendre que c’est également une « idéologie », une façon de penser, un aveuglement, appelez ça comme vous voulez, que de prétendre que le profilage racial n’a pas ici sa place, alors qu’on savait déjà, au moment où M. Francœur montait sur ses grands chevaux, qu’un homme noir avait été emprisonné pendant six jours à partir de preuves insuffisantes. Pourquoi n’a-t-il pas bénéficié de la présomption d’innocence ? Une notion pourtant « incontournable », nous dit-on, lorsqu’il est question d’hommes accusés d’agression sexuelle, mais qui ne semble pas ici avoir eu beaucoup d’effet.

Pourquoi n’a-t-on pas cru à la version des faits de M. Camara, un chargé de laboratoire à Polytechnique qui n’a absolument rien du petit voyou de quartier, qui a pris la peine de revenir sur les lieux du crime pour parler aux enquêteurs d’un autre suspect ? Pourquoi n’a-t-on pas cru les quatre ou cinq témoins qui ont essentiellement appuyé cette version des faits ? Pourquoi a-t-on donné autant de poids à la seule version du policier agressé, version pourtant remise en doute de part et d’autre, même avant qu’on ait bien regardé la fameuse vidéo ? Ça s’appelle de l’idéologie, ça aussi. Ça s’appelle la police qui protège la police, comme d’ailleurs l’a fait le chef du SPVM lors de ses conférences de presse. Écartant, lui aussi, la question raciale, Sylvain Caron a voulu plutôt mettre l’accent sur une enquête « complexe » — comme si l’un empêchait l’autre !

Quand on sait tout ça, quand on sait les relations souvent pourries qui existent aujourd’hui entre les forces policières et les communautés racisées, il faut être incroyablement effronté, ou alors parfaitement aveugle, pour affirmer que c’est la mairesse de Montréal qui nuit « au climat social ». Et pourtant, qui s’est offusqué des propos d’Yves Francœur ? Lundi, au contraire, un chroniqueur de La Presse reprenait les propos du policier matamore pour mieux taper, encore une fois, sur Valérie Plante.

Oui, Valérie Plante aurait pu mieux s’exprimer. Il aurait fallu parler de la probable innocence de M. Camara plutôt que de l’affirmer — malgré l’arrêt des procédures qui pointaient fortement dans ce sens. Mais il ne s’agit quand même pas « d’ingérence politique ». Depuis quand parler sous le coup de l’émotion dicte-t-il la façon de faire des tribunaux ? Et, oui, le travail policier est difficile et compliqué. Mais à force de balayer la question du profilage racial du revers de la main, à force aussi de nous inonder de sources policières anonymes reprises (avidement) par les médias, comme le soulignait l’ex-directrice du Devoir Lise Bissonnette lundi dernier, nous sommes en train de perdre l’essentiel de vue.

Il n’y a pas eu d’ingérence politique. Il y a eu un travail d’enquête bâclé dans lequel le profilage racial a fort probablement joué un rôle. C’est pourquoi une enquête indépendante, ainsi que l’a décrété Québec mardi , est nécessaire. C’est bien ce que disait la mairesse de Montréal. Valérie Plante a eu raison. Yves Francœur a eu tort.


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