mercredi 30 septembre 2020

Dans le mur

 ans grande surprise, nous voilà « dans le mur », pour reprendre le terme du ministre de la Santé, Christian Dubé, plongés jusqu’au cou dans la seconde vague. On nous avait bien prévenus et, comme de fait, la « courbe » retrousse spectaculairement du nez. L’étonnement, cette fois, tient plutôt au relâchement qu’on dénote chez les plus jeunes. Dans les bars, à la sortie des cours ou encore lors des séances de tam-tam, la promiscuité est au rendez-vous comme au temps des cerises. Mais est-ce vraiment si surprenant ?

Les jeunes qui boudent les mesures sanitaires aujourd’hui sont les mêmes — en âge, tout au moins — que ceux qui prenaient la rue d’assaut, il y a un an, au nom de la santé de la planète. Cette tranche d’âge (20-29 ans), le vecteur de transmission le plus important pour ce qui est du coronavirus, n’est pas sans conscience sociale. Au contraire. Cette génération est la première à exiger qu’on change nos habitudes de consommation, qu’on réduise les gaz à effet de serre et qu’on mette fin au massacre de l’environnement. Ce sont, à maints égards, de grands ambassadeurs de santé publique.

On répète souvent que les nombreuses tergiversations de la part du gouvernement par rapport à la pandémie — « le masque est inutile », « non, le masque est nécessaire » — expliquent ce pourquoi beaucoup de gens aujourd’hui se fichent des mesures sanitaires. Mais y a-t-il mollesse plus manifeste, contradiction plus grande que celles qui sont affichées par nos gouvernements vis-à-vis de l’environnement ? Au Québec, comme ailleurs, on n’essaie même pas de s’acquitter de notre engagement de réduction de gaz toxiques. On se contente de siffler dans le cimetière. « Il n’y a pas énormément de choses qui ont été faites », admettait, du bout des lèvres, le leader environnemental devenu ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, cette semaine

On dit vouloir combattre le réchauffement climatique tout en ouvrant les bras au projet Énergie Saguenay, une augmentation d’environ 8,5 millions de tonnes de CO2 par année. On parle d’électrification des transports sans soumettre de véritable plan. On déplore la menace à la survie des baleines tout en refusant de limiter la circulation maritime dans le fleuve Saint-Laurent. Dernier en date, le nouveau projet de loi 66, en remplacement du « très mauvais » projet de loi 61 qui, lui, piétinait sans vergogne les protections environnementales, profère, certes, son « respect de l’environnement », mais tout en permettant la destruction des milieux humides. Cherchez l’erreur.

« Ça n’a pas de bon sens », comme disait le premier ministre à l’égard des insouciants, sans voir que le comportement de son gouvernement est tout aussi irrationnel face à la mégacrise sanitaire qui nous guette. Pourquoi faudrait-il s’imposer aujourd’hui des sacrifices pour mieux « sauver des vies » et « « protéger nos enfants » si les mêmes principes ne s’appliquent pas pour l’avenir ? Si on est capables, pour une fois, de surseoir à l’économie pour protéger notre système de santé, nos aînés, nos écoles et nos enfants, pourquoi sommes-nous incapables d’étendre ce souci de préservation à une plus grande échelle ?

Penser à long terme

Expliquez-moi comment on peut mettre autant d’énergie, autant de points de presse, autant de cœur et de poings sur la table, sans parler d’argent, pour souligner l’importance du moment, marteler la nécessité d’adopter des nouvelles façons de faire face à cette dure pandémie, mais rien du tout face à la crise qui chaque jour ravage un peu plus la planète et qui nous menace, littéralement, d’extinction. Comment explique-t-on une telle disjonction ?

L’être humain, on le sait, n’est pas « programmé » pour penser à long terme, les politiciens encore moins, la survie immédiate — dans la savane comme dans l’arène politique — étant la valeur suprême. Mais encore. La dégradation environnementale est désormais archi bien documentée. La chaleur augmente, l’eau se fait plus rare, les récoltes se gâtent, les sols dépérissent, les espèces meurent, des régions entières deviendront inhabitables d’ici la fin du siècle et, dans ce qui pourrait s’avérer la pire calamité de toutes, des millions de gens chercheront refuge ailleurs. Même la richissime Amérique, habituée à tout régler à coup d’argent, s’en verra complètement transformée, dit une enquête menée conjointement par Propublica et le New York Times (How Climate Migration Will Reshape America).

Tout au long de cette longue pandémie, les autorités gouvernementales nous ont assurés être guidées « par la science ». Elles ont voulu nous montrer qu’elles étaient entièrement au service du bien public. L’attitude a plu, à en juger par les cotes de popularité du gouvernement. Alors, pourquoi ne pas mener l’exercice jusqu’au bout ? Pourquoi le respect de la science et des « choses vivantes » s’arrêterait-il à la porte de la pandémie ? Pourquoi la peur des gens est-elle légitime face au virus, mais pas face à la fin du monde ?

Ensuite, on se demandera pourquoi les gens se révoltent, les jeunes sont désabusés et nos institutions perdent de leur crédibilité.

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