mercredi 26 février 2020

#MeToo:1 -- Wienstein: 0

Au moment où on apprend que Jean Vanier, un « saint » homme qui a voué sa vie à la défense d’une grande cause, a, lui aussi, agressé sexuellement de nombreuses femmes, la condamnation de la figure de proue en la matière, Harvey Weinstein, arrive à point nommé. Le verdict rendu cette semaine marque une victoire incontestable pour le mouvement #MeToo, né dans la foulée des révélations concernant le célèbre producteur de cinéma.
Depuis le début de cette affaire en octobre 2017, plus de 80 femmes se sont levées pour pointer Weinstein du doigt et une centaine d’hommes importants ont eux aussi perdu leur emploi à cause d’agressions sexuelles présumées. Mais sans que ces accusations soient nécessairement portées en cour. La véritable difficulté était là, à plus forte raison face à un homme riche et célèbre comme Weinstein. Malgré la condamnation l’année dernière de l’acteur Bill Cosby, rien ne garantissait un verdict de culpabilité cette fois-ci. Pensons à l’affaire Ghomeshi. En mars 2016, l’ex-animateur de radio de CBC a été acquitté de toutes les accusations après que la défense a relevé des contradictions dans le témoignage des victimes.
L’enjeu de ce procès était justement de voir si, malgré les fameuses « zones grises », le comportement ambigu de certaines victimes qui maintiennent un contact souvent intime avec leur agresseur, un homme de l’envergure de Harvey Weinstein — « un pécheur, certes, mais pas un violeur », plaidait son avocate — se verrait, malgré tout, condamné. C’est fait. Reconnu coupable de deux des quatre accusations qui pesaient contre lui, viol et agression sexuelle, Weinstein fait face maintenant à une peine allant de 5 à 29 ans de prison.
C’est la réaction de l’homme lui-même —le méga-producteur qui faisait et défaisait des carrières en claquant des doigts — qui illustre peut-être le mieux le caractère exceptionnel de ce verdict. À l’annonce qu’il serait immédiatement conduit en prison en attendant sa peine, il resta assis sur sa chaise, interloqué. « Mais je suis innocent », venait-il de répéter à trois reprises au moment où le jury lisait son verdict. Les magnats des médias ont l’habitude, après tout, de s’attendre à des faveurs sexuelles de la part des belles femmes qu’ils engagent. Allez voir le film récemment oscarisé Scandale (Bombshell) si vous en doutez. La disjonction semblait donc totale entre ce que Weinstein avait toujours considéré comme son dû et ce qui soudainement lui tombait dessus. L’ex-baron du cinéma refusa de bouger. Il fallut l’intervention des officiers de cour pour l’aider finalement à quitter la salle.
« C’est absolument spectaculaire comme décision », dit une ex-procureure spécialisée en matière d’agression sexuelle, Jane Manning. « Voici un homme qui a utilisé tout son argent et tout son pouvoir pour s’acheter l’impunité et, aujourd’hui, l’impunité a pris fin. » Le procureur au dossier, Cyrus Vance, le même qui avait précédemment refusé de porter des accusations contre Harvey Weinstein, faute de preuves, a parlé d’un « jour nouveau ».
L’ampleur de la victoire ne devrait pas être sous-estimée. Comme le rappelle l’avocate-conseil Jane Anderson, « le système n’est pas conçu pour aider les victimes [mais] pour appuyer les droits constitutionnels de l’accusé ». D’abord, les victimes sont tenues de témoigner alors que les accusés n’ont pas cette obligation. De plus, les dés ont toujours été pipés contre celles qui ne répondaient pas au profil de la victime parfaite. Une « vraie » victime porte plainte immédiatement, n’entretient surtout pas une bonne relation avec son agresseur, encore moins intime. « Vous aviez un choix », s’est plu à répéter l’avocate de M. Weinstein, Donna Rotunno, insinuant qu’il y a deux types de femmes en ce bas monde : des femmes comme elle, qui ont l’intelligence et la force morale de ne pas se retrouver dans des situations compromettantes, et des femmes qui se prêtent à n’importe quoi et qui sont ultimement responsables de ce qui leur arrive.
Les femmes l’ont cherché ; elles veulent, au fond, être sautées. C’est le plus vieux préjugé du monde et pour cause : les relations hommes-femmes reposent, depuis l’aube de l’humanité, sur la notion de la disponibilité sexuelle des femmes. Malgré la libération féministe, cette fameuse « disponibilité » est annoncée tous les jours à coups de publicités et de panneaux réclame. À Hollywood, cette notion que les femmes doivent être archi-sexuelles pour être intéressantes est profondément ancrée. Même dans un contexte plus anodin, le sex-appeal est (tacitement) exigé des femmes alors qu’il ne l’est pas des hommes.
C’est un peu tout ça qui vient de battre en retraite à New York cette semaine. Non seulement un jury a-t-il cru des victimes qui ont entretenu un rapport avec leur agresseur, ce qui précédemment les aurait totalement discréditées, mais le verdict reconnaît également la pression sexuelle anormale que subissent les femmes. Grand jour, en effet. Puisse ce jugement créer un précédent.

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