mercredi 2 octobre 2019

François Legault, sors de ce corps!

Le premier débat francophone de la course électorale se fera entre hommes seulement. L’affiche conçue pour promouvoir l’événement de ce soir, un gros plan de chacun des hommes choisis (Justin Trudeau, Andrew Scheer, Jagmeet Singh, Yves-François Blanchet), tous détendus et souriants, donne presque envie de ramener le concours du « plus bel homme du Canada », comme l’avait proposé Lise Payette dans le temps. Tant qu’à revenir en arrière, je veux dire.
L’idée d’exclure la leader du Parti vert, Elizabeth May, se défend mal, à mon avis. À un moment où le pouvoir obstinément masculin ne passe plus, n’est-ce pas gênant de n’avoir aucune femme sur scène ? De plus, la personne d’expérience, le chef avec la plus longue feuille de route, c’est Elizabeth May. Le seul parti à prendre l’urgence climatique, la question de l’heure, à bras-le-corps, c’est le Parti vert. Madame May incarne, à elle seule, l’évolution politique la plus notoire des dernières années : la présence des femmes, d’une part, et la question de l’environnement, de l’autre. Et on ne veut pas d’elle ?
La raison officielle de son exclusion est que le PV n’a pas encore de député au Québec, ce qui élude le fait que Pierre Nantel, élu sous la bannière du NPD, compte maintenant parmi la députation verte. S’il ne s’agit pas de l’élection d’un vert proprement dit, c’est un aspect qui devrait quand même peser dans la balance. La véritable raison ne serait-elle pas plutôt la difficulté d’Elizabeth May de s’exprimer en français ? La probabilité qu’elle ralentisse la cadence, qu’elle gâte la sauce, comme on l’avait insinué en 2015, y serait-elle pour quelque chose ? Pourtant, sur quatre heureux élus, seulement deux candidats peuvent s’exprimer aisément dans la langue de chez nous. Pourquoi Elizabeth devrait-elle porter seule ce handicap ? Qui n’a pas remarqué qu’Andrew Scheer est encore plus soporifique (si ça se peut) en français et Jagmeet Singh, lui, un peu plus serré dans son costume ?
L’autre anomalie de cette soirée électorale est qu’il y aura en fait deux hommes (encore un autre) derrière le lutrin réservé au Bloc québécois : Yves-François Blanchet et François Legault. Avez-vous l’impression, vous aussi, que plus la campagne avance, plus le leader du Bloc ressemble au leader de la CAQ ? Le nouveau chef bloquiste est lui aussi un ex-péquiste qui a mis la souveraineté en sourdine — le temps d’une élection, du moins — pour mieux s’attaquer au pratico-pratique. Il est lui aussi un politicien qui veut « protéger l’environnement » tout en favorisant un troisième lien à Québec et un gazoduc au Saguenay.
À l’instar de notre premier ministre dont la popularité a de quoi faire pâlir d’envie n’importe quel chef fédéral, M. Blanchet est devenu un grand défenseur des régions, des aînés et surtout de la laïcité. « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit » pourrait très bien lui servir de mantra, lui aussi. Dans l’esprit autonomiste qui sévit à Québec, le chef du Bloc se propose en commando pour mieux délimiter nos frontières et, surtout, arracher à la dure des pouvoirs accrus pour le Québec : transfert de fonds destinés aux infrastructures, droit de veto pour les expulsions des demandeurs d’asile, obligation pour les immigrants de parler français et jusqu’à un CRTC « version québécoise ».
Yves-François s’en va en guerre à Ottawa pour finir le travail entamé à Québec. Plus agressif de nature, il a même tendance à hausser la mise, jouant le « bad cop » au « bon cop » de François Legault. Le rôle lui va comme un gant. La proposition d’une « péréquation verte », qui pénaliserait les provinces qui émettent beaucoup de GES et favoriserait celles qui en émettent moins, est un bon exemple de ce type de surenchère dont M. Blanchet a le secret. La recette est plus susceptible d’attiser une petite guerre civile au pays, remarquez, que d’aider réellement l’environnement, mais qu’à cela ne tienne. Le chef du Bloc a très bien compris à quoi tenait la popularité de François Legault et n’hésite pas à vilipender de plus belle « l’énergie sale » de l’Alberta tout en louangeant « l’énergie propre » du Québec. Pour les besoins de cette élection, il s’est transformé en spécialiste du « nous » contre « them », de la laïcité contre le multiculturalisme et de l’hydroélectricité contre les sables bitumineux.
M. Blanchet est un redoutable politicien qui est en train de faire des miracles, à court terme du moins, pour le Bloc. Mais quelqu’un pourrait-il lui rappeler que le BQ est un parti qui s’est démarqué en étant résolument à gauche ? En ayant une conscience aiguë, également, des institutions canadiennes au sein desquelles le parti doit inévitablement exister ? Il y a toujours quelque chose d’un peu déconcertant dans le fait de voir des politiciens oublier d’où ils viennent — ou encore, où ils mettent les pieds — particulièrement à un moment où la confiance en la politique est au plus bas. Et puis, n’est-ce pas précisément ce genre de gymnastique idéologique qui a fini par anéantir le Parti québécois ?

LE COURR

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