jeudi 1 décembre 2016

Renaissance, la vertu et le commerce

« Merci de faire du bien avec vos biens. » À Montréal, la charité chrétienne a désormais un nom, Renaissance, en plus d’une couleur bien à elle, le vert lime. Si le choix de couleur est un brin regrettable, les « centres de don » Renaissance connaissent un énorme succès, l’organisme recueillant « 18 millions de livres et de biens usagés » par année. Le Tim Hortons des organismes charitables, Renaissance compte aujourd’hui 40 succursales après seulement 21 ans d’existence.
 
Voué à la réinsertion sociale et à la protection de l’environnement, en plus de son hypervisibilité pas du tout embourgeoisée (le vert lime en ce sens est tout indiqué), Renaissance a tout pour plaire. Créé par un des cofondateurs de Moisson Montréal, le psychoéducateur Pierre Legault, Renaissance n’appartient pas à cette charité de sous-sol d’église qui consiste simplement à donner aux pauvres. « Il fallait aider les gens à retourner sur le marché du travail et pour ça, il fallait un incubateur », dit M. Legault. Renaissance fait donc d’une pierre deux coups en recyclant l’usagé et en formant des gens, principalement des immigrants, à la vente au détail par le biais de leurs Fripe-Prix. Après six mois de formation, l’organisme peut se vanter d’un taux de placement de 86 %, de quoi faire pâlir le gouvernement.
 
Mais Renaissance est loin de plaire à tous. Après le Village des valeurs, au tour aujourd’hui des libraires de l’usagé de se plaindre d’une « compétition déloyale ». La grogne est particulièrement forte sur le Plateau. « Non seulement ils n’achètent pas ce qu’ils mettent sur les tablettes, en tant qu’OBNL [organisme à but non lucratif], ils ne paient même pas de taxe », dit Mathieu Bertrand, dont la librairie se trouve directement en face du Centre de dons-librairie-disquaire Renaissance situé sur l’avenue du Mont-Royal.
 
Il faut savoir que Renaissance a beaucoup diversifié son offre depuis quatre ans. Forte de son succès de Fripe-Prix, l’entreprise s’est mise à se spécialiser dans le livre usagé. Selon le dernier rapport annuel, on compte aujourd’hui huit librairies pour neuf friperies. Sauf qu’il n’y a pas de « réinsertion sociale » dans ces succursales nouveau genre. (Il n’y aurait pas suffisamment de personnel, dit le patron, pour en valoir le coup). On y trouve beaucoup d’étudiants, par contre, payés guère plus que le salaire minimum. Des gens comme William et Arnaud, deux étudiants en littérature, qui ont trouvé les conditions de travail plutôt décevantes. Malgré leur capacité à distinguer Georges Bataille de Rocky Balboa, on ne valorisait pas leurs compétences, disent-ils, les embauchant comme simples « préposés aux donateurs ». « L’important, c’était le roulement ; il fallait vendre le plus possible », dit Arnaud.
 
« Dans le fond, Renaissance agit comme une compagnie privée qui s’en met plein les poches sous de fausses représentations », renchérit Mathieu Bertrand. Une accusation qui fait bondir Pierre Legault. « Pourquoi l’économie serait-elle la chasse gardée des commençants ? » dit-il. S’ensuit un long exposé sur les vertus de « l’économie sociale » où s’inscrivent les entreprises Renaissance. Ce type d’entrepreneuriat collectif vise d’abord la communauté plutôt que « le rendement financier ». N’empêche que Renaissance a vendu l’an dernier pour 18 millions en plus de recevoir 4 millions en aide gouvernementale. Un organisme de charité qui fait 22 millions par année ? « Oui, c’est élevé », admet le p.-d.g. Mais encore faut-il distinguer les profits des surplus, prévient-il. « Un OBNL a droit aux surplus, pas aux profits, pourvu qu’ils soient réinvestis au service de la mission. »
 
Renaissance a donc acheté pour 19 millions de terrains et d’immobilier l’an dernier, poursuivant son expansion tentaculaire dans le Grand Montréal et, du même coup, rendant à peu près caducs les sous-sols d’églises et autres bienfaiteurs du bon vieux temps. Aujourd’hui, tout le monde veut donner à Renaissance, engouement qu’une publicité persuasive, avec l’aide de têtes d’affiche québécoise (coût 900 000 $), n’a fait que rehausser.
 
Doit-on s’en plaindre ? Si on ne peut guère reprocher à Renaissance son approche beaucoup plus engagée que celle des dames patronnesses d’antan, la concurrence vigoureuse à laquelle elle s’adonne en matière de livres, sans directement servir sa mission, laisse songeur. Sur Mont-Royal, la librairie Renaissance a déjà atteint son objectif de 433 000 $ (toutes ses librairies ont des quotas à atteindre) et pourrait bien frôler le demi-million.
 
Pour Mathieu Bertrand, c’en est trop. « Le gérant a eu le culot de me demander, Noël dernier, de fermer deux jours d’affilés. Parce qu’il n’osait pas le faire si mon magasin restait ouvert. Ça vous donne une petite idée de la compétitivité. »

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