mercredi 4 juin 2014

Le mur

Comme si les nouvelles n’étaient pas suffisamment déprimantes (déficits, décroissance, désastres environnementaux…), la « radiographie d’une génération » proposée par le dernier sondage CROP-La Presse pourrait plomber le moral pour de bon. Ce n’est pas tant la désaffection souverainiste ici qui surprend, mais plutôt le portrait de jeunes individualistes (« mon job, ma voiture, ma famille »), apolitiques et fiers de l’être, indifférents à tout sauf l’argent, qui désarçonne. La Révolution tranquille, la Crise d’octobre, l’élection du Parti québécois, la lutte des femmes, les batailles constitutionnelles, l’écologie ? Pour les trois quarts des 18-24 ans, c’est comme si rien de tout ça n’avait existé. Le sondage peint un portrait d’un Québec désengagé, ignorant de son passé et replié sur lui-même. Bref, insignifiant. Si on fait fi des « souverainistes progressistes » — plus éduqués, plus politiques et plus ouverts sur le monde, un maigre 19 %, il n’y a pas de quoi se féliciter —, environ le tiers des sondés dit n’avoir « aucun intérêt pour ce qui se passe dans la société ». Bel avenir en perspective.
  Malgré un portrait on ne peut plus morose de la jeunesse québécoise, cet instantané jette par ailleurs un éclairage cru sur la déconfiture du Parti québécois. D’abord, le sondage confirme non seulement que les jeunes sont peu intéressés par la souveraineté (à 65 %), mais que ceux qui le sont, le sont par goût de bâtir un vaste projet collectif, comprenant tous ceux qui se disent Québécois, pas seulement les vieilles souches. On s’en doutait, les jeunes souverainistes n’ont guère prisé le projet de charte du PQ et, par conséquent, lui ont massivement tourné le dos le 7 avril dernier. Si on ajoute tous ceux et celles qui n’ont d’yeux que pour leur compte en banque, jeunes ou vieux, on aperçoit non seulement le mur que le PQ a frappé lors des dernières élections, mais la montagne qui se dresse désormais devant lui.
  Ce que le sondage révèle de plus intéressant, en fait, c’est que la souveraineté est intimement liée, du moins pour les jeunes, aux valeurs progressistes et aux études. Plus on sait d’où l’on vient, plus, aussi, on est intéressé par le vaste monde et ouvert à sa diversité, ce qui va de pair avec une certaine connaissance du monde, plus on adhère au projet de bâtir un pays. Vu le nationalisme conservateur qui, depuis 2007, prend de l’ampleur dans les rangs souverainistes, c’est une révélation de taille. En d’autres mots, la catégorisation des Québécois selon l’origine ethnique, religieuse ou autre, comme d’ailleurs la présence d’un Pierre Karl Péladeau, n’est pas tellement porteuse d’avenir.
  Le message au PQ est donc on ne peut plus clair. La survie du parti — enfin si l’intention est toujours de faire un pays — repose non seulement sur la promotion décomplexée de la souveraineté — le sondage révèle qu’il y a eu regain de ferveur chez les jeunes autour du référendum de 1995 —, mais sur un retour en force des valeurs progressistes. La dénaturation a assez duré. Le problème, c’est qu’il existe déjà un parti qui incarne ces mêmes valeurs, Québec solidaire. Problème aggravé par le fait que le terrain « de gauche » qu’occupe QS — et c’est l’autre désopilante révélation de ce sondage — se porte assez mal merci.
  « Personnellement, je pense qu’on se préoccupe trop d’environnement au Québec, dit un représentant du “ Nouveau Québec inc. ”, Ludovic Beauregard. Je ne pense pas que les Albertains se soient freinés à cause de l’environnement, et ce sont eux qui enrichissent le Canada aujourd’hui. » On lit ça et on arrête de se demander pourquoi le gouvernement Couillard a repris à son compte les décisions controversées de la cimenterie de Port-Daniel ainsi que l’exploration pétrolière de l’île d’Anticosti. Selon le sondage, une majorité de jeunes Québécois n’a d’autres préoccupations que le développement économique, peu importe s’il s’agit, comme dans le cas de Port-Daniel, de la poudre aux yeux.
  Le sondage comporte de bonnes nouvelles, c’est sûr, pour les partis de Philippe Couillard et François Legault, puisque ce sont vers eux qu’une majorité de jeunes se tournent. Mais à la place de ces partis, je ne pavoiserais pas trop vite. Si l’heure n’est manifestement pas à l’altruisme et à l’abnégation, il est difficile de croire que les valeurs progressistes qui, n’en déplaise à l’Alberta, ont fait des miracles au Québec depuis 50 ans, responsables à la fois de l’essor de l’éducation, de la culture et de la langue, mais aussi de la Caisse de dépôt et autres fleurons du (vieux) Québec inc., impossible de croire que ces valeurs disparaîtront pour autant.
  Nous sommes dans un méchant retour du balancier, mais le propre de ce mécanisme infernal c’est, justement, de « partir dans le sens opposé ». Une question de temps.

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