mercredi 16 avril 2014

La fracture

On parle depuis une semaine de la fracture entre le Parti québécois et les jeunes, comment, à tant vouloir former le « bon » gouvernement, le Parti québécois aurait omis de transmettre le rêve du pays. C’est vrai. Mais le gouffre, soudainement si apparent, entre le PQ et les jeunes ne concerne pas uniquement l’avenir de la nation ; il concerne également l’avenir de l’humanité. C’est aussi parce que les 18-34 ans sont motivés par des combats qui dépassent nos simples frontières, l’écologie notamment, qu’ils boudent, pas seulement le PQ, mais tous les « vieux partis ». Vu le désintérêt des partis traditionnels pour les questions environnementales, cette baisse d’intérêt pour la politique ne peut que s’accentuer.

Pourtant un sujet chaud, comme nous le rappelle le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat, l’environnement était un des grands absents de la dernière campagne électorale. Ni le PLQ, ni la CAQ, ni le PQ n’en ont parlé. Et, au moment même où nous apprenions que nous avons « six ans pour changer nos habitudes », l’ex-premier ministre Lucien Bouchard donnait son appui au projet pétrolier d’Anticosti. Un projet avec des dommages environnementaux garantis, pour une extraction pétrolière toujours aléatoire, à un moment où il faut tout faire pour réduire la consommation de pétrole. Tout se passe comme si le verdict environnemental entrait par une oreille et sortait par l’autre. Sauf pour les jeunes. Pas tous, évidemment, il doit bien y en avoir quelques-uns qui n’ont que leurs perspectives d’emploi à coeur, mais, de la même façon que le marxisme, le féminisme et le nationalisme ont été les marqueurs de générations précédentes, l’écologisme est celui qui distingue cette dernière.

Je me souviens d’avoir pensé que le combat pour l’environnement n’était guère prometteur — on était alors dans les années toujours glorieuses du féminisme, début des années 1980 — parce qu’il ne comportait pas, tenez-vous bien, de volet identitaire. On ne s’identifie pas à un sac de poubelles, ni même à un ours blanc. Le fait de ne pas voir les implications de la dégradation des écosystèmes dans sa propre vie empêche, de toute évidence, le déclic de se faire. Mais c’était avant que le ciel nous tombe sur la tête. Il y a 30 ans, nous avions encore une très petite idée de la détérioration environnementale. Nous ignorions, surtout, que ces dommages seraient bientôt irréversibles.

« Au cours des 50 prochaines années, la Terre se réchauffera au point de rendre des régions entières inhabitables, des millions de personnes seront déplacées et des millions d’espèces menacées », dit encore une autre étude sur les changements climatiques. Le rapport de l’Université d’Hawaï avertit également que des villes côtières comme Londres ou New York deviendront intenables.

Les cassandres se multiplient, les rapports s’empilent, jusqu’aux banques qui avertissent devoir tenir compte désormais des « catastrophes naturelles » et, pourtant, la classe politique fait toujours la sourde oreille. Pourquoi ? Sans doute parce que l’idée que nous courons à notre perte va à l’encontre de l’essence même de l’évolution humaine, basée sur l’innovation et le progrès. Chaque fois qu’Homo Sapiens s’embourbait, une invention le sortait du pétrin. Plus maintenant : notre inventivité et nos ressources technologiques sont, cette fois, les causes mêmes du problème. Mais il y a plus.

Selon l’éthicien australien Clive Hamilton (Requiem for a Species : Why We Resist the Truth About Climate Change), avant de pouvoir accepter « la notion voulant que la catastrophe soit imminente », il faut deux niveaux de connaissance : intellectuel et émotif. Le premier type est à la portée de tous, explique le journaliste américain Chris Hedges dans son blogue The Myth of Human Progress. Le deuxième, par contre, est plus difficile à atteindre « parce qu’il implique de condamner ceux que nous aimons, et surtout nos propres enfants, à un avenir d’insécurité et de misère ».

Parce qu’ils savent qu’ils vont être obligés de vivre les conséquences du laisser-faire actuel, parce qu’ils baignent aussi dans une insécurité qu’aucune autre génération n’a connue, une insécurité planétaire, les jeunes ont souvent cette conscience morale, émotive, qui fait justement défaut aujourd’hui. Au-delà d’un simple écart générationnel, ils ont une autre façon de penser qui risque de rendre la politique comme on la connaît désuète. La vision nationaliste, embourbée dans ses propres affaires, forcément à courte vue, est non seulement impuissante à remédier à la détérioration mondiale, elle y contribue la plupart du temps.

En attendant une autre façon de régler le sort des humains sur Terre, la désaffection des jeunes vis-à-vis de la politique ne pourra que s’aggraver.

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