mercredi 12 mars 2014

La bombe PKP

Malgré un langage corporel qui, disons-le, laisse à désirer, Pierre Karl Péladeau arrive sur la scène électorale comme un épaulard dans un parc aquatique. Un gros mammifère impressionnant, qui ne maîtrise pas encore le coup du ballon sur le nez, c’est vrai, mais vers qui tous les regards se tournent, inévitablement.
  Aussitôt, on oublie la bévue du premier jour de campagne : « Pas tout de suite, les amis », dit Pauline Marois aux journalistes (non sans rappeler une certaine Céline Dion ou une monitrice de garderie, c’est selon). On oublie aussi le désopilant tordage de bras de la PM vis-à-vis de Marie Malavoy, forcée de laisser sa place. On oublie l’avalanche de nouvelles candidatures féminines et jusqu’à la fameuse charte, tant la présence du Louis Cyr des affaires québécoises et ce qu’il incarne — l’économie avec un grand E, la souveraineté avec un grand S — prennent soudainement toute la place.
  Avec cette candidature inespérée et inattendue, le gouvernement Marois complète le salto arrière entamé peu de temps après les dernières élections. À l’été 2012, souvenez-vous, le PQ annonçait « la fin du cynisme », c’est-à-dire la fin de la manipulation d’enjeux sociaux à des fins électorales (la hausse des droits de scolarité, en l’occurrence). Dix-huit mois plus tard, le PQ nous concocte une élection sur le dos d’un autre enjeu social important, la laïcité, qu’il a su, à l’instar du précédent gouvernement, exploiter à merveille. De plus, la plupart des engagements de 2012 ont ratatiné comme peau de chagrin.
  En indexant les droits de scolarité, le gouvernement Marois a fait un pied de nez aux étudiants, c’est la nouvelle recrue Martine Desjardins elle-même qui le disait. Il a renié ses engagements en ce qui concerne les mines, la protection des aires protégées, dont l’île d’Anticosti, le pétrole, le contrôle des gaz à effet de serre, transformant trois de ses députés (Daniel Breton, Martine Ouellet, Scott MacKay) en véritables bretzels en cours de route. D’autres sont désormais en ligne pour ce type de gymnastique extrême, vu l’arrivée de PKP, notamment.
  En 2012, le PQ avait aussi promis de maintenir les garderies à 7 $. Autre promesse abandonnée même si, selon l’économiste Pierre Fortin, ce sont précisément ces mesures favorisant le retour des femmes sur le marché du travail qui permettent au Québec de relever la tête en matière d’emplois. De la part d’un gouvernement qui ne cesse d’invoquer l’égalité hommes-femmes, pour ne rien dire de sa volonté de faire de l’économie une priorité, c’est difficile à avaler. De plus, un rapport de l’INIS démontre que la hausse des tarifs d’électricité, défendue par PKP lors de son investiture, aggravera la situation des familles, en commençant par les femmes.
  Entre fin 2012 et début 2014, le PQ a tout simplement décidé de changer de clientèle, reniant une bonne partie de ses engagements sociaux-démocrates en faveur d’une vision plus conservatrice. L’arrivée de PKP coule ce virage, opportuniste à souhait, dans le béton, mais elle pose également des questions de transparence et d’éthique. M. Péladeau a beau dire qu’il a démissionné de toutes ses fonctions, placé ses actions dans une fiducie sans droit de regard, il est derrière près de 50 % de ce qui se passe médiatiquement, voire culturellement, au Québec.
  Petit exemple parmi tant d’autres : le matin de la publication du manifeste des Janette, le 15 octobre dernier, les médias tentent de joindre des signataires. En vain. L’animateur Benoît Dutrizac fulmine d’ailleurs sur Twitter. On jette un pavé dans la mare et personne ne peut en parler ? Des collègues à la radio de CBC se font dire qu’il y a un embargo. « On nous a demandé de ne rien dire jusqu’à ce que TVA en parle à 17 h », me confirmera par la suite une des signataires, Michelle Blanc. Finalement, l’embargo ne sera pas entièrement respecté, Michelle Blanc et d’autres n’étant pas d’accord avec la consigne, mais vous voyez un peu le style ? Cela devait être un geste libre et indépendant. Or, on a tenté de le récupérer pour servir des intérêts partisans.
  Lors de l’épisode des Janette, Pierre Karl Péladeau n’était déjà plus aux commandes de Québecor. Le problème ici n’est donc pas de savoir si M. Péladeau est intervenu directement, ce qui est fort improbable, ou même si sa compagne d’alors, Julie Snyder, signataire du manifeste et également animatrice à TVA, est elle-même intervenue. (Les informations obtenues ne m'ont pas éclairée là-dessus, pour tout dire). Mais ce qui est clair, c’est qu’il y a eu tentative de contrôler la sortie médiatique d’un événement important pour des raisons commerciales et politiques. Précisément ce qui fait peur en ce qui concerne PKP, le futur ministre.
  Devant l’étendue de son royaume, le mur que le célèbre candidat dit avoir dressé entre lui et son entreprise ne suffit tout simplement pas. En demeurant l’actionnaire principal de l’entreprise québécoise qui, vraisemblablement, pèse le plus lourd sur l’opinion publique, PKP demeure un conflit d’intérêts sur deux pattes. Et, par conséquent, une bombe à retardement.

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