mercredi 17 juillet 2013

Un autre Guy Turcotte



"Le droit ne nie pas l'horreur". Il y a deux ans, une spécialiste en droit pénal avait ainsi résumé le fossé qui séparait l'indignation générale du verdict de non-responsabilité criminelle obtenu par Guy Turcotte. Comment un homme coupable d'avoir assassiné ses deux enfants pouvait-il être si facilement pardonné? Le jury devait choisir entre quatre options: le meurtre au premier degré, le meurtre au deuxième degré, l'homicide involontaire et la non-responsabilité criminelle. Les cinq hommes et sept femmes du jury ont choisi la seule qui déresponsabilisait et blanchissait l'accusé, la dernière. Sans doute ont-ils tenté d'appliquer les paramètres du droit le mieux possible mais l'impression de déni de justice --impression accentuée par la libération de l'accusé de l'institut psychiatrique, à peine un an et demi plus tard -- était à couper au couteau.

Coupable du meurtre de Trayvon Martin, un ado de 17 ans qui venait de se procurer des bonbons au dépanneur du coin, George Zimmerman est lui aussi aujourd'hui un homme libre, et le sentiment de déni de justice, omniprésent encore une fois. D'autant plus qu'il s'agit d'un jeune noir tué par un homme blanc --qui se faisait un plaisir, semble-t-il, de signaler à la police la présence de "vauriens" dans sa banlieue en Floride. Le jury, composé de six femmes (blanches), devait choisir entre le meurtre au deuxième degré, l'homicide involontaire ou non coupable. Après un procès de trois semaines, Zimmerman a été jugé non coupable et relâché. On lui a même remis l'arme du crime. Le blanchiment dans ce cas est total, même si, comme pour Guy Turcotte, on reconnait que Zimmerman a bel et bien tué. Des milliers de manifestants n'ont pas tardé d'envahir les rues pour signifier leur colère.

"Trayvon Martin est mort parce que lui et d'autres garçons et hommes noirs comme lui ne sont pas perçus comme des êtres humains, mais comme des problèmes '', disait le pasteur Raphael G. Warnock devant sa congrégation à Atlanta, dimanche dernier.

Vigile autoproclamé de son quartier dont le rêve était de devenir policier, George Zimmerman, 29 ans, patrouillait les rues, le 26 février 2012, quand il aperçoit Trayvon Martin marchant sur le trottoir, capuche sur la tête. Il décide de le suivre puis, suivant son habitude, appelle 911. Il sacre à plusieurs reprises en décrivant la scène, témoignera plus tard un officier, notant l'agressivité de l'accusé. "Dépêchez-vous, dit Zimmerman, ces jeunes punks trouvent toujours moyen de se tirer d'affaire". Tout ce temps, Trayvon Martin, qui n'a aucun casier judiciaire, ne fait que déambuler sur la rue, en parlant à une amie au téléphone.

Le policier dit à Zimmerman de rentrer chez lui, ils arrivent. Mais le sheriff autodidacte ignore la consigne et se met à la poursuite du suspect à pied. "Pourquoi me suis-tu?" est tout ce que l'amie au téléphone aura le temps d'entendre avant de perdre la ligne. Quelques minutes plus tard, Trayvon Martin gît sur le trottoir, une balle à la poitrine. Que s'est-il passé? L'altercation entre les deux hommes n'ayant été vue par personne, la version de Zimmerman sera la seule à retenir l'attention du jury.

Avec brio, les avocats de la défense ont maintenu que le jeune Martin, "armé du trottoir", avait bousillé le crâne de leur client, puis menacé de le tuer avec son propre pistolet. Malgré le fait que Zimmerman ait été le véritable assaillant, que ses blessures soient finalement assez superficielles et qu'aucun trace ADN de Martin n'ait été repérée sur le pistolet, la défense a réussi à faire avaler la thèse de la légitime défense.

Bien sûr, la loi du Stand Your Ground, aussi connue comme Shoot First, a énormément contribué à l'acquittement.  Cette disposition digne du Far West, et désormais en vigueur dans 20 états américains, permet à quelqu'un qui aurait peur pour sa vie de ne pas tourner les talons, même s'il a l'occasion de le faire. Même si l'agresseur prend la fuite, la loi permet qu'on lui tire dessus, exactement comme dans les films de cowboys. Pow pow, t'es mort.

"Il n'était pas malade. Il était en maudit contre ma soeur et il a décidé de se venger", a dit l'ex-beau-frère de Guy Turcotte, résumant bien le sentiment de la majorité dans cette affaire. De la même façon, George Zimmerman n'était pas un homme en danger mais l'instigateur d'une altercation qui n'aurait pas dû arriver. Plus grave encore que le déni de justice, ce sont les ressorts sur lesquels ces deux cas reposent --la violence conjugale dans le cas de Turcotte, le racisme dans le cas de Zimmerman-- qui se retrouvent, par ces verdicts mêmes, renforcés.

Même si nous vivons dans un "état de droit", comme le rappelait le président Obama, il arrive que le système de justice se parodie lui-même à en pleurer.

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