mercredi 7 avril 2021

Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux?

 Il s’appelle Quentin Dufranne, il est Français, dans la fleur de l’âge (24 ans), et il voudrait bien s’établir au Québec où il habite et étudie depuis 2018. Seulement, c’est loin d’être fait. Quentin, un étudiant que j’ai brièvement eu sous mon aile à l’Université Concordia, est sur le point de terminer un troisième diplôme, en journalisme, après avoir obtenu un baccalauréat en biologie de l’Université de Tours, en conjonction avec l’Université Wilfrid-Laurier en Ontario, et une maîtrise en recherche en psychiatrie à l’Université de Montréal. Plus jeune, il avait rêvé de faire du journalisme, mais bon, « ce genre d’études n’est pas à la portée de tous en France », et il a laissé tomber. C’est seulement une fois au Québec qu’il a décidé de suivre son cœur.

Comme tant d’autres jeunes Français, Quentin Dufranne s’est laissé tenter par le Québec, ce « petit bout d’Europe en Amérique », offrant en plus des droits de scolarité très avantageux. Se sentant ici plus libre, avec plus de possibilités devant lui, il avait fermement l’intention, après une première année en Ontario, de jeter l’ancre en terre québécoise. Il n’en est plus si sûr. Pourtant, on voit bien que ce jeune homme est l’immigrant rêvé : bien éduqué et déjà intégré au Québec, en pleine santé, ambitieux, talentueux (croyez-moi) et francophone à l’os. Qui dit mieux ?Après quatre ans passés au pays, on se demande d’ailleurs pourquoi son acceptation officielle n’a pas encore eu lieu.

Quentin a fait jusqu’à présent tout ce qu’il faut. Après un premier permis d’études pour l’Ontario, il a obtenu un certificat d’acceptation du Québec (CAQ) et un permis d’études lui permettant de s’inscrire à l’Université de Montréal. Passant au stade de la maîtrise, il lui a fallu obtenir un second CAQ ainsi qu’un deuxième permis d’études. Il a fallu refaire la même chose une troisième fois, quand il s’est inscrit en journalisme à Concordia en 2020. Les deux démarches ne peuvent se faire simultanément : il faut obtenir d’abord le CAQ, ensuite, à quelques mois d’intervalle, le permis d’études. Et, bien sûr, s’acquitter des frais chaque fois : 116 $ pour le CAQ, 150 $ pour le permis. À noter que seul le Québec demande un document supplémentaire, le CAQ, pour étudier ici. Le Québec a bien sûr un statut unique en matière d’immigration, mais pourquoi faut-il doubler le temps d’attente et les frais à chaque étape ?

Après trois certificats d’acceptation et quatre permis d’études, Quentin a aussi obtenu un permis post-diplôme du fédéral (255 $) en vue de pouvoir travailler une fois ses études journalistiques terminées. Le voilà maintenant devant une demande de résidence permanente qui, elle, mène à la citoyenneté.

En Ontario, en temps normal, une telle démarche prend six mois, alors qu’au Québec, il faut compter entre 27 et 48 mois d’attente. Et il s’agit ici du volet conçu pour « accélérer la sélection des travailleurs qualifiés », le fameux Programme de l’expérience québécoise (PEQ), auquel Quentin, en tant que diplômé du Québec, a droit. Ayant réussi à obtenir son diplôme de l’UdeM avant le 31 décembre 2020, Quentin est particulièrement chanceux, car il a droit également aux délais d’avant la réforme du PEQ, c’est-à-dire environ 27 mois d’attente plutôt que de 42 à 48 mois, comme le veulent les nouvelles normes du PEQ entrées en vigueur en juillet dernier. Et on appelle ça une réforme ?

Dans le système d’immigration existant, Quentin Dufranne est sûrement un privilégié. Il n’aura pas à subir l’humiliation d’un test de français non plus, comme ce pauvre camionneur français dont nous parlait Le Devoir récemment, bien que le formulaire de demande de sélection permanente l’oblige néanmoins à attester, dans la section « connaissance du français oral », de certains critères, dont celui de pouvoir « reconnaître des manifestations d’humour dans une conversation ». Un peu fort de café, non ? Depuis quand le sens de l’humour est-il une mesure de la compétence linguistique ? On connaît de grands linguistes et quelques académiciens qui échoueraient lamentablement à ce test, en tout cas.

Tout ça pour dire que, tout heureux qu’il devrait être, Quentin s’est retrouvé à l’urgence psychiatrique en octobre dernier. Crise d’anxiété aiguë. « On ne se rend pas compte de l’épée de Damoclès qui nous pend continuellement au-dessus de la tête. On fait tous ces efforts sans être sûrs de rien », explique-t-il. Quentin connaît quelques compatriotes qui ont fini par plier bagage, « dégoûtés ». D’autres lui suggèrent de reprendre le chemin de l’Ontario, où tout est plus simple. « C’est plus rapide et il n’y a pas ce complexe envers les Français », ajoute-t-il, lui-même dépité après avoir subi plusieurs commentaires désobligeants à cause de son accent.

Les Québécois se disent pourtant ouverts à l’immigration et particulièrement heureux de l’immigration francophone. Pourquoi faut-il alors que le processus soit si compliqué ? Si la partie est loin d’être gagnée pour un jeune Européen, blanc, francophone, bardé de diplômes, imaginez ce que ça doit être pour les autres ?

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