mercredi 9 septembre 2020

Les Rose et le PQ

 Comme par hasard, le film Les Rose a pris l’affiche au moment même où la course à la chefferie du PQ prenait son envol, marquant, chacun à sa manière, 50 ans de lutte de « libération nationale ». Le film, réalisé par Félix Rose, fils d’un des hommes les plus célèbres et, en même temps, les plus méconnus du Québec, met en scène les débuts orageux du combat indépendantiste alors que les débats auxquels nous sommes conviés, ces jours-ci, soulignent les dernières tentatives en vue d’accoucher (sait-on jamais) d’un pays. Entre l’alpha et l’oméga, le contraste ne saurait être plus saisissant.

Je ne parle pas ici de la forme. Le parti politique créé par René Lévesque en 1968 devait bien sûr se distancier de la violence politique. La moindre impression d’un parti flirtant avec les méthodes dites révolutionnaires aurait signé son arrêt de mort. Je parle du contenu, des raisons qui expliquent les gestes qui ont été posés jadis, ou qui sont proposés aujourd’hui.

Ce qui est étonnant dans ce controversé, mais ô combien percutant documentaire, c’est qu’on ne parle à peu près pas d’indépendance. On parle « du monde qui en arrachait », de la misère des familles ouvrières canadiennes françaises d’alors — dont celle des Rose eux-mêmes. De Saint-Henri à Ville Jacques-Cartier, entre les murs de tôle et les rats qui rongent les oreilles, on voit combien la vie était ingrate et l’avenir, passé à trimer dur à l’usine, mal assuré. Il fallait que ça saute. Sans nécessairement poser des bombes, il fallait faire quelque chose pour « redémarrer l’histoire », comme dit le médecin et auteur Jacques Ferron dans le film.

Plutôt que d’indépendance, le film nous parle de ce qui, pratiquement, a disparu aujourd’hui : la classe ouvrière. Comme certaines grandes œuvres québécoises (Bonheur d’occasionLes Belles-sœurs, certaines chansons de Gilles Vigneault et de Richard Desjardins, les contes de Fred Pellerin…), le film est un extraordinaire hommage aux petites gens qui, malgré tout, savent se tenir debout. À l’époque, la seule raison, la grande raison de faire l’indépendance se trouvait là : tissée à même l’humiliation permanente de la classe laborieuse francophone.

Le déroulement tragique qu’a connu la crise d’Octobre — la mort d’un homme, les mesures de guerre, les arrestations massives, l’exil des uns et l’emprisonnement des autres — a littéralement décapité toute velléité radicale de gauche. La scène, reprise dans le film, où René Lévesque se prend la tête à deux mains après qu’une assemblée a ovationné Jacques Rose en dit long à ce sujet. Avec le recul, on constate que la ferveur révolutionnaire n’est pas le seul aspect qui a été précipitamment mis au rancart. La question essentielle posée dans le film, la question de la discrimination systémique envers les plus pauvres, les Canadiens français en l’occurrence, mais qui, aujourd’hui, se transpose chez d’autres « plus pauvres », d’autres discriminés, a elle aussi « pris le bord ».

Au moment où Paul Rose sort de prison, 12 ans seulement après les événements tragiques, le Québec n’est déjà plus le même. Le PQ a tenu et a perdu un premier référendum et s’évertue désormais à se montrer en « bon gouvernement », tout en menant sa guerre contre Ottawa, le couteau entre les dents, à la suite des réformes constitutionnelles dont on ne finira jamais, en fait, d’entendre parler. Le néolibéralisme aidant, c’est une tout autre époque qui commence. Le sens de la collectivité en prend pour son rhume, certes, mais tout le monde, à l’exception des très riches, peut désormais se considérer comme faisant partie de la classe moyenne. Le petit Canadien français est mort, mais le grand modèle québécois est bel et bien en vie.

Cette perte de sens fondamentale, cette transposition de la notion de « libération nationale » du politique à l’économique, le fait que nous n’avons tout simplement plus les mêmes raisons de faire l’indépendance aujourd’hui, n’a jamais été proprement abordé par le PQ. Depuis trop d’années déjà, le parti de René Lévesque s’est réfugié dans le « comment » plutôt que le « pourquoi » de l’indépendance. Le premier débat réunissant, le 27 août dernier, les quatre braves candidats qui se présentent à la course à la chefferie était éloquent en ce sens. Que de tuyauterie et de mécanique référendaire ! Que de stratégies tatillonnes sans jamais répondre à la question « oui, mais pourquoi ? » (Je le précise : l’heure de tombée pour cette chronique m’empêche de commenter le second débat de mardi soir.)

Avant de vouloir sauter à pieds joints dans un tel vertige, dans la réinvention de soi, il faut, comme nous le rappelle Les Rose, avoir le sentiment de sauver sa peau, d’un vrai danger, de véritables injustices. Toute cette perspective manque cruellement à l’heure actuelle. Si dans les années qui ont suivi la Révolution tranquille on avait le sentiment d’un trop-plein, d’être littéralement assis sur une bombe, aujourd’hui, on a le sentiment inverse, d’un trop vide. Pourtant, ni le danger ni les iniquités ne font défaut par les temps qui courent.


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