mercredi 10 juin 2020

L’état d’urgence va comme un gant à François Legault. Après trois mois de crise sans précédent, le premier ministre demeure calme, souriant, toujours prêt à « trouver la solution ». C’est un pompier dans l’âme qui excelle à éteindre les feux, ainsi que chaque point de presse nous le rappelle. Ce mélange de témérité et de simplicité fait du chef caquiste un des politiciens les plus redoutables que le Québec ait connus récemment.
Malheureusement, le premier ministre ne démontre pas la même prouesse dans l’enceinte parlementaire. Le système législatif, un processus long, complexe et fastidieux, l’impatiente toujours un peu. Prétextant le besoin de relancer l’économie au plus vite, le projet de loi 61 est un bon exemple de son penchant à tourner les coins ronds. En prolongeant « l’état d’urgence sanitaire jusqu’à ce que le gouvernement y mette fin », on cherche ici à faire la démonstration qu’il est possible « d’aller plus vite », de réduire les délais pour les mises en chantier d’un an à trois mois, en favorisant « un processus moins bureaucratique » au Québec.
Qui dit mieux ? Derrière ce qui peut sembler comme un cours de pragmatisme 101, une autre démonstration du gros bon sens dont M. Legault a le secret, se cache une proposition scandaleuse à maints égards. Tel que présenté, le projet de loi 61 constitue un abus de pouvoir en ce qui concerne l’application de principes établis, dont l’allocation de contrats publics, la gestion de compétences dans le milieu de la construction, les lois d’aménagement et d’urbanisme et, peut-être surtout, les lois environnementales.
On a d’ailleurs eu un avant-goût de ce que le pragmatisme appliqué à l’environnement peut donner. « Il ne faut pas être vus comme ceux qui veulent empêcher la réalisation des projets », dit une communication interne du ministère de l’Environnement, révélée par Thomas Gerbet de Radio-Canada la semaine dernière. Ouvrant la porte à « un changement de culture », en flagrant délit de sa propre loi constitutive qui oblige le ministère à protéger les intérêts environnementaux, le sous-ministre de l’Environnement, Marc Croteau, invite ses fonctionnaires à devenir des « promoteurs ». « The show must go on », comme on dit à Hollywood.
Mettre l’économie devant l’environnement est également une intention manifeste du projet de loi 61. Les articles 20 et 23 permettent de contourner la protection de la faune ou de la flore menacées par de simples compensations financières. Le ministère procède déjà de cette façon pour les milieux humides, privilégiant l’argent sur la table plutôt que la préservation d’un écosystème essentiel. « On ne modifie aucune norme environnementale, change les façons de faire », s’est contenté de dire l’imperturbable ministre de l’Environnement, Benoit Charette.

Changer les façons de faire est d’ailleurs précisément ici ce qui inquiète. « Nos gouvernements doivent adopter des lois conformes aux règles existantes », dit la professeure de droit et membre du comité de suivi de la Commission Charbonneau, Martine Valois. Or, le PL61 permet justement au « pouvoir exécutif de contourner le pouvoir législatif » en réinterprétant les lois à sa guise. Rappelons que l’état d’urgence en vigueur depuis le 13 mars doit être renouvelé par le gouvernement tous les 10 jours. Une mesure exceptionnelle doit demeurer exceptionnelle, en d’autres mots. Mais voici que pour « aller plus vite » le gouvernement se sent soudainement autorisé d’étendre cette mesure d’exception à sa guise.
Ainsi, le Québec se dote d’une immunité judiciaire qui non seulement limite le recours devant les tribunaux, mais lui donne le pouvoir de limiter d’autres droits sous prétexte de l’urgence nationale. « On n’est pas loin d’un geste antidémocratique », dit le président de la FTQ, Daniel Boyer. Sans parler de la précipitation avec laquelle le gouvernement procède pour l’adoption de ce projet de loi. « À un jour ouvrable, on nous demande notre avis sur un projet de loi qui donne pratiquement tous les pouvoirs au gouvernement. 45 minutes de consultations, ce n’est pas une ouverture au dialogue social », ajoute-t-il. Le projet de loi 61 permettrait également au gouvernement d’ajouter éventuellement à sa liste de projets accélérés, « sans avoir à en débattre plus d’une heure avec les oppositions ».
À la question qui nous taraude depuis le début de cette pandémie — quel monde nous attend demain ? — le gouvernement du Québec fournit un début de réponse. On ne se range pas derrière un monde plus lent, plus soucieux des enjeux environnementaux, plus respectueux des droits humains. Si les plus optimistes ont cru voir dans cette pause planétaire une occasion inespérée de refaire le monde sur une base plus humaine ce sont les pessimistes, encore une fois, qui semblent avoir raison. Non seulement la révolution n’est pas pour demain, « l’évolution tranquille » qui se dessine ici nous rappelle un autoritarisme qu’on croyait révolu.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi 61 est un retour en arrière plutôt qu'un bond en avant.

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