mercredi 20 mars 2019

"Le Québec, c'est moi"

En cette Journée de la francophonie — qui coïncide curieusement avec la Journée mondiale du bonheur et du bien-être —, comment se porte la francisation au Québec ? Le gouvernement Legault, toujours décidé à prendre moins d’immigrants mais à « en prendre soin », réussit-il là où son prédécesseur avait lamentablement échoué ?
On se souvient du rapport dévastateur de la vérificatrice générale en novembre 2017 : non seulement la majorité des immigrants n’atteignent pas le niveau minimal de français déterminé par le MIDI (ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion) pour décrocher un emploi, mais à l’oral, seuls 9 % réussissent à ce niveau.* Et c’est sans parler des griefs des profs de français du même ministère qui, au printemps 2018, criaient « au secours ». Évaluation déficiente, impossibilité de reclasser les étudiants immigrants ou de les faire redoubler, manque de suivi, lourdeur administrative. Le gouvernement, qui a l’intention de faire passer un test de français aux 40 000 immigrants qui auront « le bonheur » d’être sélectionnés, réussit-il, lui, le test de l’amélioration tant promise ?
« Des améliorations, on en voit », me dit un prof de francisation — qui préfère par ailleurs ne pas être identifié. Le MIDI a beau avoir corrigé certains problèmes relevés par ses quelque 400 enseignants, la bureaucratie demeure lourde au sein du ministère et l’emploi, précaire. Mon interlocuteur, malgré d’assez bonnes dispositions vis-à-vis du gouvernement Legault et une grande aptitude à enseigner le français (j’aurai l’occasion de le constater de visu), ne court pas de risque.
Ce qui a changé ? « L’absence de suivi », une des principales lacunes énumérées tant par la VG que les enseignants en francisation, est sur le point d’être corrigée par l’instauration d’un « parcours de cheminement personnalisé ». Jusqu’à maintenant, il était impossible de savoir « pourquoi un étudiant arrêtait ses cours ou pourquoi soudainement il réapparaissait », précise mon interlocuteur. Aussi bien dire qu’à partir du moment où un immigrant n’était plus sur les bancs d’école, on en perdait la trace. Le « prendre soin » ne serait donc pas une parole creuse ? Il est malheureusement « trop tôt » pour répondre à la question, le ministère étant incapable pour l’instant de fournir des précisions sur ce suivi tant attendu.
Autre changement à noter : on parle de mettre fin à l’évaluation en ligne. Aussi incroyable que cela puisse paraître, un immigrant pouvait encore récemment passer son test de français sur le portail du ministère de l’Immigration. « Il pouvait se classer niveau 5 sans parfois parler un mot de français », me dit le prof. Vous vous imaginez alors le capharnaüm à l’intérieur des classes, échelonnées sur huit niveaux ? Le décalage était d’ailleurs manifeste dans la classe à laquelle j’ai assisté entre les immigrants asiatiques et ceux d’Amérique latine ou du Maghreb — pourtant tous classés à un niveau intermédiaire.
En plus de conseillers pédagogiques récemment embauchés pour assister les enseignants, le ministère se dit donc ouvert à embaucher des évaluateurs afin de reclasser les élèves au besoin. Là où le flou persiste, par contre, c’est dans la possibilité de faire « redoubler les étudiants ». Encore aujourd’hui, indépendamment de son progrès en classe, un élève immigrant est souvent automatiquement inscrit au prochain niveau. C’est une question de sous : une classe de moins de 20 élèves perd sa subvention, diminuant ainsi l’ensemble des cours offerts. Recaler un étudiant peut aussi vouloir dire perdre son poste pour un enseignant dont la classe, faute d’étudiants, aurait été rayée. Dans un tel système, où est l’intérêt à procéder à une véritable évaluation ?
C’est ce système basé sur le nombre plutôt que la capacité réelle qui est largement responsable de l’échec relevé par la VG. Aujourd’hui, la consigne s’est assouplie sans nécessairement avoir été changée. « Parfois, le redoublage est accepté, parfois non », dit mon guide. Interrogé sur le taux de réussite actuel, le ministère, lui, répond ne pas avoir de chiffres. « Ce n’est pas quelque chose qu’on évalue », me dit-on.
S’il y a encore beaucoup à améliorer en francisation, les classes sont en soi loin d’être désolantes. Le programme utilisé, d’abord, est réputé pour son pragmatisme et son efficacité. Le vocabulaire qu’on privilégie est celui de tâches pratiques (ouvrir un compte en banque, louer un appartement…) et les temps de verbes s’apprennent en fonction de ces étapes essentielles. Mais ce qui saute aux yeux, surtout, c’est combien ces classes sont souvent le seul lieu d’appartenance pour ses élèves. Ils sont là pour ne pas se sentir seuls, tout autant que pour apprendre. Et puis, tout ce qu’ils savent de leur nouveau pays, c’est ici qu’ils le puisent. « Le Québec, c’est moi », dit le prof, souvent remercié à coups d’enchiladas, de gumbos et de currys faits maison.
Si le gouvernement Legault tient tant à dorloter les nouveaux arrivants, ne faudrait-il pas commencer par s’assurer qu’ils soient beaucoup plus nombreux à s’inscrire en francisation  ? Aux dernières nouvelles, moins du tiers des immigrants non francophones en bénéficiaient.

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