mercredi 9 janvier 2019

Femmes périmées

e pensais commencer la nouvelle année en grand, prenant à bras-le-corps le sujet le plus chaud, celui qui nous fait tous suer, en commençant par les politiciens qui y laissent des plumes à force de ne plus savoir sur quel pied danser : l’environnement.
Mais comment parler d’environnement quand il y a plus brûlant encore ? Les propos incendiaires de l’écrivain français Yann Moix à propos de femmes « passées date ». Vous aurez peut-être remarqué la twittosphère s’embraser à cet effet. Dans une entrevue accordée au magazine Marie-Claire, le lauréat des prix Goncourt et Renaudot avoue être « incapable d’aimer une femme de 50 ans », c’est-à-dire de son âge. « Un corps de femme de 25 ans c’est extraordinaire, précise-t-il. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extraordinaire du tout. »
On a beau traiter cet « esprit bedonnant » de tous les noms, l’auteur bien connu aura eu le culot, en bon intellectuel provocateur français, de dire tout haut ce que bien d’autres pratiquent tout bas. On en connaît tous, après tout, des hommes qui, le temps aidant, se tournent, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, vers des femmes plus jeunes. Et pas les moindres. Il s’agit souvent d’esprits éclairés, de bons gars, d’hommes de qualité pas du tout insensibles à la cause des femmes.
Avant cet aveu scandaleux, on se contentait de soupirer en se rappelant que l’amour est chose bien compliquée et bien mystérieuse. On passait l’éponge. Personne ne veut regarder ce phénomène en face. Individuellement, c’est trop douloureux ; collectivement, ça fout les grandes avancées paritaires des dernières décennies en l’air. On préfère dire que c’est la faute à Hollywood, avec son culte de la chair fraîche, ou encore à la biologie animale qui, de tout temps, pousse le mâle à chercher la femelle la plus fertile. Admettons que ces influences préhistoriques y soient pour quelque chose, encore faudrait-il qu’il y ait un effet comparable sur les femmes.
Si on se fie aux données des sites de rencontre, les femmes ont tendance, contrairement à ce que la « nature » a pu leur dicter par le passé, à chercher une certaine parité. À 20 ans, elles cherchent des hommes de deux ans leur aîné ; à 50, de deux ans leur cadet. Les hommes, eux, accusent un autre profil : s’ils cherchent à 20 ans des femmes de leur âge, ou parfois même un peu plus âgées, en vieillissant ils cherchent des femmes de plus en plus jeunes. Selon le site Okcupid, « un homme de 42 ans va accepter de sortir avec une femme de 15 ans plus jeune, mais jamais plus que trois ans plus vieille ». Imaginez alors à 60.
Évidemment, il y a des exceptions. Du moins, une : Emmanuel Macron. Il aime une femme de 24 ans son aînée. À l’heure où l’on se parle, le président français risque de passer à l’histoire pour des raisons sentimentales plutôt que politiques. Mais venons-en à la question qui tue. Pourquoi les hommes préfèrent-ils, pas toujours mais assez souvent pour en faire un phénomène de société, des femmes visiblement trop jeunes pour eux ?
N’ayant pas eu à se préoccuper des enfants pendant des millénaires et n’étant pas marqués physiquement par la naissance de leur progéniture, il faut croire que les hommes sont moins conscients de leur paternité comme de leur propre vieillissement. Moins conscients de ce qu’ils ont l’air, en d’autres mots, à côté d’une femme qui pourrait être leur fille. L’écart d’âge qui gêne bien des femmes, peut-être pas pour un flirt d’un soir mais fait obstacle à une relation durable, ne semble pas jouer ici. Il n’y a donc pas seulement les femmes de 50 ans qui sont « invisibles », selon Yann Moix, les hommes le sont parfois aussi à eux-mêmes.
Évidemment, tout ça, encore une fois, revient à une question de pouvoir. Même aujourd’hui, après 50 ans de féminisme, le désir des hommes mène le bal des relations amoureuses. « Sur le site Okcupid, les hommes entament 80 % des conversations avec des femmes plus jeunes pour la plupart », dit l’analyste de données Dale Markowitz. Mais poussons l’analyse un peu plus loin. Et si les hommes se tournaient vers des femmes plus jeunes comme façon de maintenir la dragée haute ? Devant le bouleversement causé par l’émancipation des femmes, comment ne pas voir ce déséquilibre amoureux comme une façon, inconsciente peut-être, mais non moins réelle, de maintenir, si ce n’est qu’à titre individuel, un certain pouvoir, un certain statu quo ? Au moment où le patriarcat meurt, les petits patriarches se multiplient.
On voudrait tous croire que la révolution féministe s’est faite sans heurts, dans l’enthousiasme partagé de relations humaines bonifiées. Mais comme vient de le rappeler le mouvement de dénonciation contre les agressions sexuelles, la réalité est parfois plus complexe. Remercions donc M. « gilet jeune » d’avoir exposé ce culte de la jeunesse pour ce qu’il est : un rejet brutal des femmes d’un certain âge et une peur inavouée de perdre le gros bout du bâton.

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