mercredi 8 août 2018

Sale temps pour l'environnement

En l’espace d’une semaine, que de mauvaises nouvelles : la taxe fédérale sur le carbone, déjà critiquée pour sa tiédeur, sera moins exigeante encore que prévu. Aux États-Unis, les mesures environnementales visant la fabrication automobile ont été supprimées, ajoutant encore une couche au laisser-aller du gouvernement Trump en la matière. Ne laissant pas sa place, le gouvernement du Québec va permettre l’exploitation gazière et pétrolière des lacs et des rivières, contrairement à ce qu’avait promis le nouveau ministre des Ressources naturelles, Pierre Moreau. Finalement, en Ontario, l’industrie des énergies vertes est en chute libre. En plus du gouvernement Ford qui lui tourne le dos, les investissements du secteur privé piquent du nez depuis quelques années.
Tout ça la semaine où nous apprenions que la Terre a épuisé ses ressources pour l’année. Depuis le 1er août, de Reykjavik à Ushuaia, de l’île de Montréal aux îles Fidji, nous avons consommé toute l’eau, tout l’air et toutes les énergies fossiles qu’il nous faut pour vivre. On roule à vide. Ah, et puis on crève. Ça se remarque, ça aussi. C’est tout un triangle des Bermudes, en fait, tout un mystère que de contempler, d’une part, les énormités environnementales qui se décuplent et, de l’autre, l’inaction incompréhensible des gouvernements dans le domaine. Pourtant, comme le souligne le
New York Times dans un essai remarquable
, nous possédions, il y a 40 ans déjà, toute l’information nécessaire pour éviter la catastrophe.
« Presque tout ce que nous savons du réchauffement climatique était connu en 1979, écrit Nathaniel Rich. À ce moment, les données recueillies depuis 1957 confirmaient ce qui était pressenti depuis le tournant du siècle : l’atmosphère de la Terre pourrait être bouleverséeà jamais par la consommation soutenue d’énergies fossiles. »
Qu’est-il donc arrivé pour que nous passions d’un moment où nous pouvions encore agir, sans souffrir de dégâts, à un moment où nous avons « une chance sur 20 de réussir » ? À l’heure actuelle, un seul pays, le Maroc, parmi ceux qui ont été étudiés en 2017, est en voie d’atteindre l’objectif optimal du Sommet de Paris : limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C d’ici 2100. La grande majorité des pays, dont le Canada, ont une production de GES qui annoncent une augmentation entre 3 et 4 °C. La catastrophe, quoi. « À 4 degrés, une grande partie de la Chine, de l’Inde et du Bangladesh deviennent des déserts, l’Europe est continuellement plombée par la sécheresse, la Polynésie disparaît… » Selon certains des plus grands climatologues, la perspective d’une augmentation de 5 degrés annonce ni plus ni moins « la fin de la civilisation humaine ».
Dans un coin, donc, le cataclysme. De l’autre, une procrastination aberrante. Pourtant, les humains savent se mobiliser en temps de guerre ou lors de bouleversements soudains. Pensons à tous les efforts, le courage, l’ingénuité, la persévérance déployés pour sauver 13 jeunes Thaïlandais pris dans une grotte. Pourquoi sommes-nous si obstinément fainéants pour ce qui est de l’environnement ? Selon un ingénieur nucléaire qui a étudié le phénomène de civilisations acculées à de grandes menaces technologiques, il n’y a là rien de nouveau. « Les gens délaissent ce type de problème jusqu’à la dernière minute, dit David Rose dans l’article du NYT. Et puis s’arrachent les cheveux en criant : “Mon Dieu, pourquoi nous avez-vous abandonnés ? !” »
Le fait de pouvoir encore aisément remettre à demain explique en grande partie l’inaction d’il y a 30 ans. « Si les changements de température n’auront pas d’impact avant une décennie ou plus, dira un responsable au département de l’Énergie, on ne pourra pas alors accuser les gens assis autour de la table de n’avoir rien fait. Où était donc le problème ? » raconte Nathaniel Rich.
Méticuleusement documenté, l’article démontre comment, une fois le problème des gaz à effet de serre bien compris, le vrai problème s’est avéré politique. Ne sentant pas l’urgence, les politiciens américains qui, en tant que leaders du « monde libre » et pollueurs en chef, avaient la responsabilité d’agir, ne l’ont pas fait. Un opportunisme politique crasse, jumelé à l’incapacité des scientifiques de s’entendre sur la marche à suivre et, aussi, à la pression commerciale des grandes pétrolières, ont eu raison de toutes les rencontres au sommet et des bonnes intentions.
N’ayant jamais sérieusement envisagé l’échec, « nous n’avons pas tenté de comprendre ce que l’échec représente pour nous », écrit Nathaniel Rich. Pas seulement pour l’environnement, mais pour notre conception de nous-mêmes, du passé et de l’avenir. Or, la question demeure : comment l’humanité en est-elle venue à se détourner d’elle-même ?

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