mercredi 18 novembre 2015

Aux bistros, citoyens

Même venant de la part de spécialistes de la décapitation en direct, les attentats du 13 novembre horripilent et désespèrent. Il s’agit d’actes particulièrement choquants, car c’est la première fois, disait un jeune Français, que « notre façon de vivre » est directement mise en joue.
 
Cette fois, les attaquants ont ciblé les emblèmes du Paris jeune, multiculturel et progressiste. Ils auraient pu s’en prendre aux endroits touristiques, la tour Eiffel ou Notre-Dame, des lieux plus bourgeois ou gouvernementaux, l’Académie française ou Matignon. Ils s’en sont pris plutôt à un quartier où « on peut voir des jeunes, cigarette et verre à la main, sociabiliser avec ceux qui vont à la mosquée du quartier ». Ils ont semé la terreur là où la devise « liberté, égalité, fraternité » prend tout son sens. Les attaques devant le Stade, l’endroit où l’équipe de foot française, avec son slogan « black, blanc, beur », incarne mieux qu’ailleurs « la promesse de la France intégrée » , ne font que renforcer ce sentiment : au-delà de la Ville Lumière, c’est la vie en Occident elle-même, la vie comme nous l’aimons, qui a été sauvagement attaquée.
 
Avec les attentats meurtriers de ce vendredi 13, la tentation de sauter à pieds joints dans ce que les fous d’Allah — tout comme l’extrême droite européenne, d’ailleurs — voient comme une « guerre de civilisation » n’a jamais été aussi forte. En clamant « c’est la guerre ! » le gouvernement Hollande n’y a d’ailleurs vu que du feu. Mais comme disait un expert de la radicalisation islamique interviewé à RDI, il y a deux aspects au terrorisme : les attentats et les idées. Or, bien que la sophistication et l’étendue des dernières offensives, dont la revendication des gestes par le groupe armé État islamique lui-même, laissent présager une augmentation des forces islamistes, la réalité, en fait, est tout autre.
 
Selon l’islamologue français Olivier Roy, l’expansion territoriale du groupe EI au Moyen-Orient se voit aujourd’hui freinée, car « le mouvement a atteint la limite des zones où les populations arabes sunnites voient en lui un défenseur ». L’idée d’un califat engagé dans une « logique de conquête permanente — occupant de nouvelles terres, ralliant les musulmans du monde — à l’image de l’expansion musulmane au premier siècle de l’islam » a frappé un mur. De là la nécessité de frapper ailleurs, de semer la terreur à tous les vents, de répandre l’idée que les infidèles, les impies indécrottables de l’Occident vont y goûter.
 
« Les succès de Daesh [groupe armé État islamique] résident de plus en plus, comme ceux d’al-Qaïda naguère, dans la manière que le groupe a de faire la une des journaux et d’occuper les réseaux sociaux », dit Olivier Roy. En d’autres mots, non seulement les attentats de Paris sont-ils l’expression des limitations du groupe EI sur son propre terrain, ils démontrent aussi que nous sommes ici devant une guerre d’idées.
 
La vraie ligne de défense quant aux forces islamistes n’est donc pas davantage de F-18 — le premier ministre Trudeau a raison là-dessus — ou de bombardements à l’aveugle, comme entreprend la France actuellement, mais plutôt de ne pas céder sur notre propre terrain intellectuel. Le vrai courage réside dans le fait de ne pas reculer quant à notre manière de concevoir la vie en société, de ne pas céder à la peur de l’Autre, à la tentation de voir de méchants islamistes partout. Le vrai courage, comme le dit Libération, c’est « de faire entendre avec force une voix humaniste sous le bruit des balles ».
 
Faut-il se croiser les bras devant le carnage, beaucoup moins visible, mais non moins sanglant, qui se déroule quotidiennement au Moyen-Orient ? Non plus. Mais le « aux armes, citoyens ! » du gouvernement Hollande rappelle beaucoup trop la réaction machiste et irréfléchie de George W. Bush avec son Patriot Act, comme Guy Taillefer le soulevait avec raison cette semaine. La réaction des Américains aux attentats du 11-Septembre a été une erreur colossale qui a certainement contribué à la naissance du groupe EI aujourd’hui. On ne le dira jamais assez. Tentons un peu plus de réflexion, cette fois. Tentons la vraie force d’âme, celle de la compassion et de la générosité. Et rappelons-nous que les sociétés libres, ouvertes et multiethniques ne sont pas seulement immensément plus intéressantes et plus joyeuses, elles sont également plus sécuritaires.
 
Allez, ça s’arrose.

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