mercredi 21 octobre 2015

Papa est là

Thomas Mulcair et son changement « pour de bon », Gilles Duceppe et sa balance du pouvoir, Stephen Harper et sa révolution conservatrice, pour ne rien dire du guru australien, des frères Ford, des épouvantails niqabs et jusqu’au scandale des commandites… Ils peuvent tous aller se rhabiller. On se réveille en ce lendemain électoral comme si les 35 dernières années n’avaient pas eu lieu. On revient aux beaux jours du « natural governing party » du Canada, au temps où les libéraux s’imposaient comme le seul parti réellement national, ancrant ce vaste pays d’est en ouest, en passant, ô miracle, par le Québec.
 
Qui l’eût cru ? Il y a bien sûr les Prairies qui boudent un peu ,mais la vague rouge n’est pas passée complètement inaperçue là non plus, doublant et même triplant sa part du vote populaire par endroits. Lundi soir, le vote pour les « voies ensoleillées » de Justin Trudeau s’est manifesté partout alors que le vote conservateur a fait du surplace et que le vote néodémocrate, lui, s’est littéralement écrasé. En ce lendemain de soir qui penche, on se réveille donc avec une seule certitude : Justin Trudeau est possiblement l’unique personne dans ce pays à ne pas s’être sous-estimée. Même Bob Rae avait l’air surpris, lundi soir, de voir le jeune héritier si bien tirer son épingle du jeu.
 
Mais qu’est-ce que ça veut donc dire ? Bien sûr, une partie des gains libéraux a été portée par la colère contre Stephen Harper ainsi que la méfiance suscitée par Thomas Mulcair — deux hommes qui ont dû grimacer quand même un peu en se regardant dans le miroir mardi matin. Avec quatre ans de retard sur le Québec, les Canadiens ont fait un géant pied de nez à Stephen Harper. Mais il y a plus ici qu’un simple vote de protestation, plus qu’un ras-le-bol collectif tel qu’exprimé au Québec en 2011.
 
Ce qui devait être une simple manoeuvre pour gagner des votes, un autre de ces« dirty tricks » dont Harper a le secret, l’affaire du niqab, tout en accordant quelques votes de plus au Québec pour le PCC, a eu un tout autre effet sur l’ensemble du pays. Cette tactique de division n’a pas seulement révélé Harper pour le politicien racoleur et mesquin qu’il est ; elle a mis la table pour un référendum sur les valeurs canadiennes.
 
La grande question à laquelle l’électorat devait répondre lundi ne concernait ni l’économie, ni les garderies, ni la politique étrangère. La question était : « Dans quel Canada voulez-vous vivre ? » Un sondage Ekos réalisé la veille le montre d’ailleurs clairement*. Presque 50 % des répondants disent que le plus important pour eux, c’est de faire un « choix qui reflète leurs valeurs », les plateformes (33 %) et les chefs (10 %) venant loin derrière.
 
En d’autres mots, le Canada bâti par, oui, si on veut, Wilfrid Laurier, comme le rappelait le héros de la soirée lundi, mais bien plus certainement par Lester B. Pearson et encore davantage par Trudeau père lui-même est le Canada que l’électorat canadien a remis à l’honneur lundi. Comme dit le bras droit du nouveau PM, Gerald Butts, en guise d’explication du raz-de-marée libéral : « Nous sommes le parti de la Charte des droits et libertés, après tout. » Plus que les Casques bleus, l’assurance maladie ou les Rocheuses, la Charte et son idéateur, Pierre Elliott Trudeau, sont ce dont les Canadiens sont le plus fiers, tous les sondages le disent.
 
L’homme qui s’était donné comme mission de changer tout ça, de supplanter les valeurs libérales par les valeurs conservatrices, de tourner le dos à la justice sociale pour mieux concentrer sur les « vraies affaires », l’argent qui fait ka-ching ! et les missions de combat qui font ka-pow !, part la queue entre les jambes. Bien fait pour lui. Difficile également d’avoir beaucoup de sympathie pour M. Mulcair qui a échoué à présenter une vision inspirante de ce que pourrait être un gouvernement néodémocrate. Justin Trudeau, en plus d’être ensoleillé lui-même, a paru chaque fois plus généreux, plus compatissant, plus soucieux des droits et libertés fondamentaux.
 
« Papa est là », a cru bon de lancer le grand vainqueur de la soirée à l’intention de ses jeunes enfants. Une première, sans doute, pour ce qui est d’un discours à la nation d’un premier ministre fraîchement élu. Mais comment ne pas sentir à ce moment la présence de son père à lui ? Le défi maintenant sera pour l’héritier de la « société juste » d’en faire quelque chose d’original, l’environnement et le changement de mode de scrutin pourraient être de bonnes pistes, pour ne rien dire de convaincre les Québécois de se reconnaître dans le « plus meilleur pays au monde ».

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