mercredi 25 mars 2015

Nous sommes le peuple!

Appelons ça une mauvaise blague de l’Histoire : le slogan qui a aidé à faire tomber le mur de Berlin, en 1989, sert aujourd’hui à en construire de nouveaux. Les mêmes mots qui ont fait reculer la Stasi devant les demandes de liberté des Allemands de l’Est, « Wir sind das volk ! » (Nous sommes le peuple !) sont aujourd’hui repris par les Patriotes contre l’islamisation de l’Occident (Pegida), en Allemagne, mais aussi partout où essaiment ces nationalistes purs et durs. C’est d’ailleurs au tour des patriotes antimusulmans du Québec de jeter leur chapeau dans l’arène. Prétendant défendre « l’héritage laissé par nos ancêtres », PEGIDA Québec s’apprête à parler au nom du peuple lors d’une première manifestation prévue dans les rues du Petit Maghreb, à Montréal, samedi prochain.
  Ce détournement de sens indique l’énorme fossé entre hier et aujourd’hui. En 25 ans, on est passé de revendications pour plus de libertés et de diversité, à moins de libertés et de diversité, de l’idéalisme d’un « monde meilleur » au culte des « vraies affaires », de François Mitterand à Marine Le Pen et de Jacques Parizeau à Philippe Couillard. Partout, on observe un bras de fer idéologique entre la gauche (« pelleteux de nuages ») qui s’agrippe et la droite (« pas de temps à perdre ») qui s’impose. Après l’altercation Grèce-Allemagne, nos propres étudiants offrent le meilleur exemple de ces nouvelles tranchées idéologiques.
  Plus encore qu’au printemps 2012, le nouveau conflit opposant ceux qui veulent changer les règles du jeu, appelons-le les collectivistes, à ceux qui veulent « juste étudier », les individualistes, est à couper au couteau. Aujourd’hui, les carrés verts sont mieux organisés, fourbissant de nouvelles manoeuvres judiciaires, alors que les carrés rouges, eux, marchent sur des oeufs, souffrant les sarcasmes des commentateurs et les sanctions policières. À quoi il faut ajouter les sanctions de la nouvelle direction de l’UQAM qui, visiblement, a pris un virage à droite elle aussi. La suspension à brûle-pourpoint et pour des raisons mal expliquées de neuf étudiants, dont une qui siège au conseil d’administration et au conseil exécutif, indique que l’administration a l’intention de jouer dur.
  C’est mal parti pour le « mouvement social » que les étudiants grévistes voudraient voir éclore dans les rues du Québec. Mais le scepticisme et le ridicule qui, signes des temps, interpellent le mouvement étudiant aujourd’hui en sont tout aussi responsables que les failles de l’organisation elle-même. Oui, il se peut que le mouvement embraye un peu vite, que le leadership étudiant n’ait pas tout à fait la même pogne qu’il y a deux ans, qu’il y ait toujours quelques têtes fortes dans le lot. Tous les groupes militants ont leurs fauteurs de trouble, leurs fanatiques du combat, mais la présence de quelques radicaux ne discrédite pas tout un mouvement pour autant. Sinon, Gaétan Barrette, le Gengis Kahn du corps médical, aurait terni à tout jamais la Fédération des médecins spécialistes qu’il a présidée pendant de nombreuses années.
  Les deux cibles du nouveau militantisme étudiant sont pourtant tout ce qu’il y a de plus légitime : l’austérité préconisée par le gouvernement Couillard a des effets délétères sur l’éducation, la culture et jusqu’aux couches de bébés ! Le fait que ce gouvernement envisage, entre autres, de taxer les livres est un immense scandale qui mériterait une mobilisation monstre. Mais qui se lève, sauf les étudiants ? Idem pour l’exploitation des hydrocarbures qu’ils ont dans leur mire. Pendant que le gouvernement coupe les vivres aux femmes — 60 % des emplois dans la fonction publique sont détenus par elles —, il ouvre des chantiers partout dans la province qui vont surtout employer des hommes, tout en dégradant davantage l’environnement. Comment ne pas s’inquiéter devant ce type de « progrès » ? Et si les jeunes ne se préoccupent pas de l’état de la planète, qui donc le fera ? C’est eux qui seront appelés à éponger les dégâts. La catastrophe qui nous pend au bout du nez — dont l’extinction de l’espèce humaine elle-même, disent certains experts — vaut bien quelques hauts cris.
  On voudrait nous faire croire que les étudiants militants sont déraisonnables, marginaux et antidémocratiques. Qu’ils ne sont pas du côté de M. et Mme Tout-le-monde. Mais, curieusement, ce sont les protestataires, et non leurs adversaires, qui ont les intérêts nationaux à coeur. S’il y a un groupe qui mérite de parler au nom du peuple, c’est bien eux.

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