mercredi 17 septembre 2014

Triumvirat de la violence

Guy Turcotte. Oscar Pistorius. Ray Rice. Trois hommes qui ont fait couler beaucoup d’encre, trois hommes coupables de violences inimaginables, voire incompréhensibles. Guy Turcotte a tué, de 47 coups de couteau, ses deux enfants. Oscar Pistorius a abattu sa fiancée de quatre coups de revolver la nuit de la Saint-Valentin. Ray Rice, seul avec sa femme dans l’ascenseur d’un casino, l’a frappée jusqu’à lui faire perdre connaissance.
  Les démêlés avec la justice, ainsi que les réactions du public ont suivi leur cours dans les trois cas. Et dans les trois cas — c’est l’autre dénominateur commun dans cette histoire —, le cardiologue de Saint-Jérôme, le champion paralympique de Johannesburg et le footballeur des Baltimore Ravens s’en sont fort bien tirés. Dans le cas de Ray Rice, l’heureux dénouement vient tout juste de se gâcher à la suite de la sortie d’une deuxième vidéo illustrant exactement ce qui s’est passé dans l’ascenseur. Mais c’est seulement parce que l’opinion publique (la vidéo a été vue plus de 9 millions de fois) a forcé les autorités de la NFL à mettre leurs culottes. Rice, qui n’écopait que de deux jours de suspension après sept mois de tergiversations, vient d’être radié de la NFL à vie. Bien qu’il évite toujours une poursuite judiciaire, sa carrière de footballeur est définitivement derrière lui. On ne peut en dire autant de Guy Turcotte ou d’Oscar Pistorius qui, jusqu’à maintenant, ont été favorisés par le système judiciaire et qui, ne sait-on jamais, pourraient reprendre leurs activités professionnelles en temps et lieu.
  Le favoritisme dans le cas du cardiologue n’est pas tant reflété par sa récente mise en liberté (les principes de droit semblent avoir été ici minutieusement respectés), mais bien par le verdict de « non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental » rendu en juillet 2011. Si le juge n’a pas demandé au jury de distinguer entre « trouble mental » et « intoxication », maladresse qui vaudra à Turcotte un second procès bientôt, et si le jury n’a pas non plus cru bon de faire de lui-même cette distinction — elle saute pourtant aux yeux : rien du comportement de l’accusé avant le meurtre de ses enfants, et même après, indique un trouble mental inhérent —, c’est qu’il y avait d’emblée un préjugé favorable en faveur du distingué cardiologue, un homme qui paraît bien et qui sait convaincre de surcroît.
  Guy Turcotte a assassiné ses propres enfants pour se venger de la femme qui l’avait quittée, la mère de ses enfants. On l’oublie très souvent, mais c’était d’abord un acte de violence conjugale, poussé à l’extrême. Turcotte, Pistorius et Rice sont tous coupables du même crime, au fond: attaquer la femme qu’ils aiment. Étonnamment, ce crime est plus souvent excusé par les femmes que par les hommes. Janay Rice, la femme du footballeur, en fournit un brillant exemple puisqu’elle s’est immédiatement portée à la défense de son mari, invitant les mécontents à se mêler de leurs affaires. Il n’y a qu’une femme pour penser qu’il y a de l’amour dans les insultes, les crachats et les coups de poing d’un homme violent. La violence conjugale est à ce point endémique — au Canada, près de 50 % des femmes ont connu la violence sexuelle ou conjugale — qu’il faut bien justifier l’intenable comme on peut. Or, sept des onze jurés au procès de Guy Turcotte étaient des femmes. Je pense que cette prépondérance féminine a certainement dû jouer dans le verdict de non-culpabilité.
  Dans le cas d’Oscar Pistorius, une femme est à coup sûr responsable de son exonération : le sort de l’athlète était entièrement dans les mains de la juge Thokozile Matilda Masipa. La présence d’une femme noire dans une cause d’homme blanc était vue comme une victoire de la nouvelle Afrique du Sud. Mais c’était avant que la juge livre son verdict de non-culpabilité pour meurtre, s’en tenant au simple homicide involontaire. Le favoritisme envers l’homme blanc sévit toujours, peut-on conclure, d’autant plus que le dénouement ici jure avec celui d’une autre célébrité sud-africaine, le rappeur « Jub Jub », un Noir, récemment condamné pour meurtre et 20 ans de prison, après avoir foncé sur des écoliers en voiture. Le fait d’être une femme, en plus de Noire, ne peut qu’avoir contribué à entièrement brouiller la piste de l’homme en colère attaquant sa conjointe, ce que fait sans vergogne le jugement de Mme Masipa. En passant, l’Afrique du Sud a le taux de violence conjugale le plus élevé au monde.
  À l’instar de Guy Turcotte, Oscar Pistorius pourrait bien se voir imposer un nouveau procès pour cause « d’erreurs judiciaires ». Mais, en fait, l’erreur est ailleurs. Elle est dans le passe-droit qu’on accorde trop souvent aux hommes qui violentent leurs conjointes et pour lequel les femmes elles-mêmes ont une part de responsabilité.

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