mercredi 19 février 2014

Le sort de l'humanité

Nous sommes appelés à disparaître. Individuellement, c’est une vérité de La Palice, mais collectivement, la nouvelle se prend moins bien. L’humanité tout entière va s’éteindre à une date indéterminée, mais incontournable.
  Jusqu’à récemment, il n’y avait que l’Ancien Testament pour nous conter des peurs pareilles. Malheureusement, l’Apocalypse n’est plus la chasse gardée des évangélistes et des grenouilles de bénitier. Elle appartient désormais à la science. L’humanité court à la perte tête baissée, nous dit celle-ci, et la raison est claire, simple, indiscutable : l’utilisation d’énergies non renouvelables, dont évidemment le pétrole.
  Certains d’entre vous ont déjà commencé à rouler de la paupière. C’est rêver en couleur de penser que… Je trouve cela aussi. Après tout, le pétrole ce n’est pas seulement l’industrie de l’automobile, c’est l’asphalte, le toit des maisons, les ballons de soccer, les produits de beauté, le pull super moelleux que vous venez de vous acheter chez Simons (mais qui a une drôle d’odeur, quand même) et probablement une partie du bulletin de vote sur lequel vous faites religieusement un X aux quatre ans (ou moins). On ne se débarrasse pas du pétrole en criant David Suzuki. Et que dire des retombées économiques ? Le Québec a besoin d’argent, on ne le sait que trop bien.
  Tout ça pour dire que je comprends la décision du gouvernement Marois. Je comprends le besoin de voir aux enfants qui braillent, au toit qui coule, au compte de taxes qui est dû et aux voisins qui se plaignent. Je comprends le besoin de pallier aux urgences, de voir au court terme, mais alors, c’est le travail de qui, le long terme ? C’est la responsabilité de quel pays, au juste, le sort de l’humanité ?
  Pourtant, ce n’est pas les ouvrages scientifiques qui manquent. Un des plus récents, The Sixth Extinction : An Unnatural History, de la journaliste du New Yorker, Elizabeth Kolbert, raconte éloquemment ce qui se passe autour de nous. Par exemple, comment la disparition d’espèces animales, processus normal mais occasionnel, est passée d’un cas tous les 700 ans à 21 256 cas menacés d’extinction aujourd’hui, près du tiers de toutes les espèces étudiées.
  L’étude s’attarde surtout au fait que nous sommes actuellement plongés dans un événement rarissime dans l’histoire de la planète, un revirement écologique qui fera table rase du monde tel que nous le connaissons. Ce genre de cataclysme s’est produit à cinq autres reprises au cours des quatre milliards dernières années, mais jamais auparavant avec des humains à bord. La dernière disparition pandémoniaque, et la mieux connue, remonte évidemment au temps des dinosaures, alors qu’un astéroïde géant aurait subitement mis fin à l’ère du mésozoïque.
  Selon de nombreux scientifiques, nous vivons aujourd’hui la sixième extinction massive de l’histoire. Seulement, cette fois, l’astéroïde géant, c’est nous. « Aucune autre créature n’a réussi cet exploit [la destruction de son environnement], dit Elizabeth Kolbert, ce qui, malheureusement, deviendra l’héritage le plus durable de l’humanité. »
  Revenons donc à la décision-surprise du gouvernement Marois d’encourager la production pétrolière au Québec. Plusieurs ont applaudi. Il serait « immoral » de lever le nez sur un tel levier économique, a-t-on précisé. Mais que dire de l’immoralité d’ignorer l’avenir de l’humanité ? Il n’y a, après tout, qu’une seule façon de remédier au cataclysme qui nous pend au bout du nez. Il faut, disent les experts, laisser la presque totalité des réserves énergétiques où elles sont. Enfouies sous terre. Il faut commencer dès maintenant à trouver des solutions de remplacement. L’électrification des transports, la taxe au carbone, tourner le dos au gaz de schiste, c’est très bien, mais jumelés à l’exploitation du pétrole, c’est l’équivalent de se mettre au régime tout en mangeant du gâteau au chocolat. Un non-sens.
  L’aveuglement volontaire des politiciens au sujet de l’environnement m’apparaît l’équivalent, en fait, des ornières portées durant le temps de l’esclavage. Pendant des siècles, on considérait comme normale la vente d’êtres humains au nom du commerce international et des pratiques de travail. Il a fallu la Révolution française et la guerre de Sécession américaine, l’établissement de droits de la personne et, non la moindre action, un changement de cap du grand capital pour que la traite des Noirs soit considérée désormais immorale. Combien de temps encore avant que le déclic se fasse pour l’environnement ?
  En parlant de droits de la personne, la Ligue des droits et libertés fête ses 50 ans. Le droit des femmes, des autochtones, des minorités, le droit de manifester, à l’environnement… La Ligue en a enfourché, des chevaux de bataille. Une soirée est prévue demain pour l’occasion.

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