mercredi 30 avril 2014

Mère Bagage

Impossible d’écouter Joël Legendre parler avec force conviction de son désir d’avoir des enfants, de l’adoption internationale qui, avec le temps, s’est fermée aux hommes gais, de tous les efforts que son conjoint, son fils adopté et lui ont mis dans cette nouvelle aventure parentale sans être de tout coeur avec lui. Des pères, il en faudrait davantage de sa trempe. Aucun doute que son engagement est sincère et bien intentionné. Va pour le coeur. Mais la tête, elle, peine à suivre devant autant de considérations biologiques, éthiques et politiques. Sans s’en douter, la sympathique vedette du petit écran a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait bien revenir le hanter.
 
Qualifiée sur le blogue Hollywood PQ comme « awww, la nouvelle la plus cute de la journée », la révélation de Joël Legendre sur Facebook s’est avérée, en fait, une véritable bombe. En juillet prochain, une Québécoise de 35 ans donnera naissance à des jumelles avec lesquelles elle n’aura ni lien génétique ni, par la suite, lien de parenté. Cette femme « extraordinaire », selon Joël Legendre, prête son corps à l’implantation d’ovules appartenant à une autre, une Américaine non identifiée, et fertilisés par des spermatozoïdes non pas d’un, mais de deux hommes, ceux de l’animateur bien connu ainsi que de son conjoint. Non seulement le lien maternel est-il ici gommé — qui, des deux femmes, celle qui prête son ventre ou celle qui donne son matériel génétique, est, selon vous, la vraie mère biologique ? —, mais le lien paternel l’est aussi. Impossible de savoir qui des deux hommes est le père biologique sans procéder à des tests génétiques. Il va falloir que l’un des deux, M. Legendre en l’occurrence, se proclame éventuellement comme tel devant un juge et que son conjoint devienne la mère de facto par adoption. Enfin, si le juge accepte ce pacte parental. C’est à suivre.
 
Le problème ici n’est pas le fouillis de procédures légales et cliniques qu’une telle parentalité exige. Encore moins le fait que des homosexuels puissent devenir de vrais parents. On en veut. Mais pour faire avancer la cause des hommes gais, faut-il pour autant faire reculer celle des femmes ? Ce que cette jeune amie s’engage à faire est peut-être un énorme cadeau pour la famille Legendre, mais ce n’est certainement pas un cadeau pour les femmes en général.
 
Il y a décidément quelque chose d’un peu, comment dire, répugnant ? indécent ? haïssable ? dans le fait de transformer son corps en minimanufacture et boutique de gestation. Il y a bien plus en cause ici que simplement la « grandeur d’âme » évoquée par Joël Legendre dimanche dernier à TLMEP. Ce n’est pas par hasard que le Code civil dit : « Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle, de nullité absolue [article 541]. » On parle de « nullité absolue » quand l’acte contrevient à l’ordre public. Comme pour l’inceste, il y a quelque chose qui spontanément fait « ouache » en ce qui concerne l’idée de gestation pour autrui.
 
La « marchandisation du corps » des femmes est, évidemment, en cause. Les femmes marchandent leur corps en se prostituant, me direz-vous, sans créer un haut-le-coeur collectif. Bien qu’il y ait un parallèle à faire entre louer ses parties intimes pour une heure et prêter ses parties viscérales pour neuf mois, il y a des considérations beaucoup plus profondes en ce qui a trait aux mères porteuses. La commercialisation de la fonction même de reproduction, d’abord, la raison pour laquelle la loi canadienne interdit toute rétribution des mères porteuses (sans nécessairement interdire la gestation pour autrui) C’est un peu comme essayer de commercialiser l’eau, l’origine de la vie, acte répréhensible s’il en est, mais pas moins tentant pour autant.

 Même en admettant qu’il n’y aura aucun échange d’argent dans ce cas précis (permettez-moi quand même d’en douter), c’est précisément la raison pour laquelle la pratique est devenue courante dans la plupart des pays industrialisés. Il n’y a absolument aucune autre raison de se prêter à un jeu aussi 1. personnel, 2. compliqué, 3. douloureux, 4. risqué, 5. long, sinon la perspective de faire de l’argent, tant pour les femmes démunies que pour tous ces commerçants sans scrupules qui tentent, et tenteront, d’en profiter.
  Il y a également la négation du lien maternel qui entre en ligne de compte. On parle ici d’un des principes de l’évolution de l’humanité, quand même, qui, dans le cas de mères porteuses, n’a tout simplement plus sa place. Autant de raisons pour lesquelles, même en présence de l’exceptionnelle « grande âme », il faut se méfier de cette pratique comme de la peste.

mercredi 23 avril 2014

Place aux maires

Maintenant que nous avons quatre longues années « beiges » devant nous, croupissant à nouveau sous l’enseigne tristounette du business as usual, coincés plus que jamais dans nos ambitions, enfirouapés dans nos rêves, le moment est tout indiqué pour repenser le système politique. Je ne parle pas ici de représentation proportionnelle, très bonne idée par ailleurs, mais de quelque chose de plus radical encore : bouder la notion désuète d’État-nation en faveur de ces « berceaux de démocratie » que sont les grandes villes.  

C’est du moins la thèse intrigante du politologue américain Benjamin Barber qui voit les maires de métropole comme les politiciens de l’avenir. Non seulement leur fait-on davantage confiance, dit-il, ils sont également beaucoup plus efficaces. Moins coincés par l’idéologie et les stratégies électorales, les maires sont plus pragmatiques, plus enracinés dans leur milieu et plus aptes à « trouver des solutions », plaide l’auteur de If Mayors Ruled the World : Dysfunctional Nations, Rising Cities et conférencier TED.
  On n’a qu’à penser à Denis Coderre et Régis Labeaume pour voir que Barber a quand même un peu raison. Au moment où nos deux grands partis roulent à vide — le PQ étranglé par ses propres manoeuvres électoralistes, le PLQ, sans avoir procédé à un véritable renouveau, élu par défaut — les maires de Montréal et de Québec, eux, roulent à fond de train, la tête au-dessus de la mêlée.
  « Notre monde politique est de plus en plus défini par des États dysfonctionnels dans lesquels des nations souveraines, datant du XVIIe siècle, sont de moins en moins capables de gérer les problèmes transfrontaliers du XXIe siècle », dit Benjamin Barber. Terrorisme, immigration, pandémies, marchés financiers, changements climatiques… les grands défis de l’heure ne respectent aucune frontière, il faut bien l’admettre, en plus d’être ceux, en premier lieu, des grandes villes. 80 % des émissions de carbone viennent des métropoles et 90 % d’entre elles sont situées près de l’eau. Selon l’analyste politique, nous vivons dans un monde « brutalement interdépendant » et lorsque nous cherchons des solutions politiques, démocratiques, nous nous retrouvons devant « des institutions archaïques conçues il y a 400 ans ».
  La démocratie est dans de mauvais draps et c’est justement parce que nos nations sont de moins en moins capables de trouver des solutions aux problèmes. (J’y faisais d’ailleurs référence dans ma dernière chronique en parlant de la désaffection des jeunes face au PQ). Alors que faire ? Il faut changer le sujet de la discussion, dit Barber, s’intéresser davantage à ce qui se passe dans les grandes villes et moins à ce qui se passe au niveau national.
  Aux sceptiques qui se demandent ce qu’une ville peut bien réaliser, Barber donne l’exemple de la conférence de Copenhague « où 140 pays sont venus dire que leur souveraineté ne leur permettait pas de relever les défis du réchauffement climatique » mais où, parallèlement, 200 maires ont répondu à l’invitation du maire de la capitale danoise, dont les membres du C40, un regroupement de 40 mégapoles qui, depuis 2005, se coordonnent pour réduire les gaz à effet de serre. Ce type de regroupement, moins spectaculaire que les sommets internationaux et leurs légendaires prises de bec, mais immensément plus constructif, est de plus en plus fréquent. On leur doit plusieurs initiatives, dont celui d’avoir propagé l’idée des vélos communautaires, l’électrification des transports et les édifices verts. Barber parle aussi de la ville de Los Angeles qui a nettoyé son port, de New York qui a entrepris un vaste chantier d’efficacité énergétique, de Bogotá qui a révolutionné son transport collectif…
  Évoquant la nécessité d’instaurer « un parlement mondial de maires » et, avec lui, « des citoyens sans frontières », l’appel de Benjamin Barber n’est pas sans rappeler le « pensez globalement, agissez localement », slogan environnementaliste de la première heure. Mais, cette fois, avec une urgence et une acuité décuplées. Dans les années 70, on était encore loin du désabusement politique que l’on connaît aujourd’hui, notamment au Québec où l’on célébrait le « début d’un temps nouveau ». On était surtout loin des problèmes qui assaillent l’ensemble de la planète aujourd’hui.
  Cinq cents ans avant J.-C., les Athéniens ont inventé la démocratie afin d’avoir leur mot à dire sur les choses de la cité (« le gouvernement du peuple par le peuple »). À un moment où l’idée du pays bascule ici à nouveau, le moment serait-il venu de récupérer cette idée fondamentale ?

mercredi 16 avril 2014

La fracture

On parle depuis une semaine de la fracture entre le Parti québécois et les jeunes, comment, à tant vouloir former le « bon » gouvernement, le Parti québécois aurait omis de transmettre le rêve du pays. C’est vrai. Mais le gouffre, soudainement si apparent, entre le PQ et les jeunes ne concerne pas uniquement l’avenir de la nation ; il concerne également l’avenir de l’humanité. C’est aussi parce que les 18-34 ans sont motivés par des combats qui dépassent nos simples frontières, l’écologie notamment, qu’ils boudent, pas seulement le PQ, mais tous les « vieux partis ». Vu le désintérêt des partis traditionnels pour les questions environnementales, cette baisse d’intérêt pour la politique ne peut que s’accentuer.

Pourtant un sujet chaud, comme nous le rappelle le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat, l’environnement était un des grands absents de la dernière campagne électorale. Ni le PLQ, ni la CAQ, ni le PQ n’en ont parlé. Et, au moment même où nous apprenions que nous avons « six ans pour changer nos habitudes », l’ex-premier ministre Lucien Bouchard donnait son appui au projet pétrolier d’Anticosti. Un projet avec des dommages environnementaux garantis, pour une extraction pétrolière toujours aléatoire, à un moment où il faut tout faire pour réduire la consommation de pétrole. Tout se passe comme si le verdict environnemental entrait par une oreille et sortait par l’autre. Sauf pour les jeunes. Pas tous, évidemment, il doit bien y en avoir quelques-uns qui n’ont que leurs perspectives d’emploi à coeur, mais, de la même façon que le marxisme, le féminisme et le nationalisme ont été les marqueurs de générations précédentes, l’écologisme est celui qui distingue cette dernière.

Je me souviens d’avoir pensé que le combat pour l’environnement n’était guère prometteur — on était alors dans les années toujours glorieuses du féminisme, début des années 1980 — parce qu’il ne comportait pas, tenez-vous bien, de volet identitaire. On ne s’identifie pas à un sac de poubelles, ni même à un ours blanc. Le fait de ne pas voir les implications de la dégradation des écosystèmes dans sa propre vie empêche, de toute évidence, le déclic de se faire. Mais c’était avant que le ciel nous tombe sur la tête. Il y a 30 ans, nous avions encore une très petite idée de la détérioration environnementale. Nous ignorions, surtout, que ces dommages seraient bientôt irréversibles.

« Au cours des 50 prochaines années, la Terre se réchauffera au point de rendre des régions entières inhabitables, des millions de personnes seront déplacées et des millions d’espèces menacées », dit encore une autre étude sur les changements climatiques. Le rapport de l’Université d’Hawaï avertit également que des villes côtières comme Londres ou New York deviendront intenables.

Les cassandres se multiplient, les rapports s’empilent, jusqu’aux banques qui avertissent devoir tenir compte désormais des « catastrophes naturelles » et, pourtant, la classe politique fait toujours la sourde oreille. Pourquoi ? Sans doute parce que l’idée que nous courons à notre perte va à l’encontre de l’essence même de l’évolution humaine, basée sur l’innovation et le progrès. Chaque fois qu’Homo Sapiens s’embourbait, une invention le sortait du pétrin. Plus maintenant : notre inventivité et nos ressources technologiques sont, cette fois, les causes mêmes du problème. Mais il y a plus.

Selon l’éthicien australien Clive Hamilton (Requiem for a Species : Why We Resist the Truth About Climate Change), avant de pouvoir accepter « la notion voulant que la catastrophe soit imminente », il faut deux niveaux de connaissance : intellectuel et émotif. Le premier type est à la portée de tous, explique le journaliste américain Chris Hedges dans son blogue The Myth of Human Progress. Le deuxième, par contre, est plus difficile à atteindre « parce qu’il implique de condamner ceux que nous aimons, et surtout nos propres enfants, à un avenir d’insécurité et de misère ».

Parce qu’ils savent qu’ils vont être obligés de vivre les conséquences du laisser-faire actuel, parce qu’ils baignent aussi dans une insécurité qu’aucune autre génération n’a connue, une insécurité planétaire, les jeunes ont souvent cette conscience morale, émotive, qui fait justement défaut aujourd’hui. Au-delà d’un simple écart générationnel, ils ont une autre façon de penser qui risque de rendre la politique comme on la connaît désuète. La vision nationaliste, embourbée dans ses propres affaires, forcément à courte vue, est non seulement impuissante à remédier à la détérioration mondiale, elle y contribue la plupart du temps.

En attendant une autre façon de régler le sort des humains sur Terre, la désaffection des jeunes vis-à-vis de la politique ne pourra que s’aggraver.

mercredi 2 avril 2014

Mais où va le PQ?

Jamais deux sans trois. Après le poing levé de Pierre Karl Péladeau, les yeux ronds de Janette Bertrand, voici le chapeau tendu de Claude Blanchet.
  Comme si la campagne électorale n’avait pas suffisamment dérapé pour le PQ, la dernière tuile, concernant le financement de la campagne au leadership de Pauline Marois, risque de faire couler le bateau encore davantage. Même si le geste de Claude Blanchet n’est pas illégal en soi — le conjoint de Mme Marois nie d’ailleurs l’avoir commis —, la révélation vient confirmer ce que bien des électeurs croient déjà. Selon la boussole électorale de Radio-Canada, on fait encore moins confiance à Pauline Marois, côté éthique, que Philippe Couillard (44 % contre 34 % pour ce qui est du manque d’intégrité). C’est vous dire. Loin de décourager le cynisme, les efforts du gouvernement sortant semblent au contraire le cultiver.
  Bref, un gouvernement péquiste majoritaire est non seulement hors de portée, on peut croire que c’est l’élection même du PQ qui est désormais remise en question. Mais au-delà des simples erreurs de campagne, cette élection aura servi à détourner encore davantage le Parti québécois de ses deux grandes raisons d’être : la souveraineté et la social-démocratie.
  Depuis l’entrée en scène remarquée de Pierre Karl Péladeau, et la réaction paniquée qui a suivi, on ne donne plus cher de l’article « un » du programme. Y a-t-il encore quelqu’un qui croit à un troisième référendum ? Il y avait pourtant quelque chose d’absolument rafraîchissant dans le geste spontané de la nouvelle recrue. La dernière fois qu’un politicien s’est laissé aller à une démonstration aussi enthousiaste doit bien dater du dernier référendum. On oubliait comment la volonté d’aller de l’avant, plutôt que simplement de côté, donne du « pep dans le soulier ». Allez, on n’a pas peur, semblait dire le poing en l’air de PKP. Mais les efforts herculéens de l’équipe Marois pour remettre le génie dans la bouteille ont aussitôt ramené la culture de la peur, tout en minant la confiance qu’on peut avoir dans le PQ à l’égard de la souveraineté.
  Et puis, que dire de ramener Janette Bertrand, et les sombres desseins qu’elle s’imagine, sur le devant de la scène ? On se pince en pensant que c’est le parti de René Lévesque qui cherche à agiter de tels épouvantails. Mme Bertrand, qui a beaucoup fait pour la société, méritait une fin de carrière plus élégante. En plus de n’avoir à peu près rien dit sur les choses qui comptent vraiment — la culture, l’éducation, l’environnement —, le PQ a donc choisi de mettre le cap sur ce qui divise les Québécois et, là aussi, cultive la peur.
  Dans une autre tentative désespérée de compter des points auprès de l’électorat francophone, le PQ dit maintenant vouloir invoquer la « clause nonobstant » advenant des contestations juridiques de sa charte. Comme il peut sembler loin le temps où un prédécesseur de Pauline Marois, Lucien Bouchard, affirmait : « Je veux pouvoir me lever, me regarder le matin en sachant que je n’ai pas suspendu l’application des droits fondamentaux. Je veux que le Parti québécois puisse se voir dans le miroir sans avoir à baisser les yeux. »
  Je sais. Vous allez me dire que je m’acharne sur le PQ, encore une fois. Pourquoi ne pas montrer Philippe Couillard du doigt plutôt ? Il n’a pas grand-chose à dire, lui non plus. C’est vrai. Seulement, je n’ai aucune attente envers le PLQ, qui m’apparaît en ce moment égal à lui-même. Le PQ, c’est une tout autre histoire. Je suis de la génération qui a vu le PQ apparaître comme un soleil à l’horizon, qui a applaudi ses réformes et partagé, très souvent, ses objectifs. Le voir se vider de sa substance comme de sa raison d’être se vit comme une espèce de trahison.
  Vous me direz que par sa nature hétéroclite, alliant la gauche et la droite, le PQ a toujours été un peu caméléon, toujours prompt à mâcher ses mots par rapport à la souveraineté. Pour ma part, je crois que la transformation qui se remarque en ce moment au PQ va beaucoup plus loin. Il y a 10 ans, il aurait été impensable de douter de l’avenir du Parti québécois, mais aujourd’hui, la question se pose.