mercredi 12 décembre 2012

Harper et la danse du ventre

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Je sais. On n'associe pas facilement Stephen Harper (qui, selon Richard Desjardins, ressemble à une figure de Playmobil) à un exercice de déhanchement lascif. Mais l'annonce en grande pompe cette semaine de l'appropriation d'une partie des sables bitumineux par la Chine équivalait à une danse du ventre sur la place publique.

Un petit coup de hanche par-ci pour nous assurer que "le Canada n'était pas à vendre", un autre petit coup de hanche par-là pour dire (aux investisseurs étrangers) que le pays était néanmoins "open for business". On assistait, c'est le moins qu'on puisse dire, à des contorsions de taille, d'ailleurs peu représentatives du premier ministre canadien. Dire une chose et son contraire n'est pas tellement Stephen Harper et, pourtant, c'est précisément ce qu'il faisait en donnant le feu vert à la société d'état chinoise CNOOC, tout en précisant, la minute d'après, qu'il ne permettrait plus ce qu'il venait de permettre.

"Sage décision", dit  la réaction au verdict tant attendu. De façon générale, commentateurs et économistes ont applaudi le choix de Harper, voyant dans ce double discours une façon de forcer la main de la Chine, pour ce qui est de nos propres investissements chez eux, tout en protégeant le Canada des velléités de sociétés étatiques étrangères.

Il faut dire que le premier ministre canadien semble plus enclin, ces temps-ci, de mettre de l'eau dans son vin. Son gouvernement a admis avoir fait une erreur en nommant un vérificateur général unilingue et s'est depuis rangé derrière la proposition du NPD exigeant le bilinguisme des grands commis de l'État. Harper s'est également inscrit en faux contre les recommendations d'un comité conservateur cherchant à élargir les catégories d'armes à feu permises au pays. Il a même tapé sur les doigts de son ami Benjamin Netanyahu, suite à l'annonce par Israël de la création de nouvelles colonies juives en territoire palestinien.

L'Histoire reconnaîtra sans doute Stephen Harper comme un grand équilibriste sachant
ménager l'opinion publique canadienne (plutôt au centre de l'échiquier politique) tout en poursuivant ses politiques (beaucoup plus à droite). L'Histoire se souviendra aussi de lui comme d'un grand cachotier.  L'accord commercial qui est derrière l'entente conclue cette semaine avec la Chine, l'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE), n'a pas été soumis au Parlement malgré les réclamations des partis d'opposition. Au cours des 20 dernières années, le Canada a signé 24 accords semblables. Tous ont été étudiés pendant plusieurs jours en Chambre, sauf celui-ci qui, de l'avis de plusieurs, est beaucoup plus complexe. Mis à part les suspicions d'espionnage et de compétition déloyale qui collent aux pratiques commerciales chinoises, il y a le fait que la Chine pèse très lourd dans la balance, et le Canada très peu. Bref, elle a vraisemblablement un pouvoir sur notre territoire que nous n'aurons jamais chez eux.

La Chine pourrait-elle donc poursuivre le gouvernement canadien s'il tentait d'entraver l'exploitation des sables bitumineux pour des raisons sanitaires ou environnementales?

C'est la crainte de plusieurs environnementalistes. Au-delà du fait qu'une part des ressources naturelles albertaines appartient désormais à un pays étranger, ce qui semble au moins inquiéter Stephen Harper, il y a le scandale environnemental, ce qui ne semble pas l'inquiéter le moindrement. Là-dessus, il demeure obstinément réactionnaire. Après avoir renié son engagement envers l'accord de Kyoto, le gouvernement Harper s'est vu décerner, à la conférence de Doha il y a deux semaines, le "fossile du jour" pour avoir refusé d'aider les pays pauvres face aux changements climatiques.

Les sables bitumineux, deuxième plus grande réserve pétrolière au monde, expliquent d'ailleurs pourquoi le gouvernement a renié ses engagements vis-à-vis la réduction des gaz à effet de serre. Il fallait choisir entre les objectifs de réduction de gaz d'ici 2020 ou les objectifs de doubler la production pétrolière des sables d'ici 2021 (à 4 milliards de barils par jour). En vendant une compagnie pétrolière à la Chine, deuxième plus grande consommatrice d'énergie au monde, le gouvernement Harper vient de faire résolument son nid. Et au diable l'environnement. En plus de détruire d'immenses superficies de forêt boréal, les sables bitumineux sont beaucoup plus polluants que la production pétrolière traditionnelle.

Bien des experts le disent: la dégradation de l'environnement est la plus grave question éthique de l'heure. Quand cette vérité finira par rattraper les contorsionnistes de ce monde, toutes leurs manoeuvres pour mousser l'économie, au détriment de l'environnement, auront l'air aussi ridicules qu'un homme bedonnant s'affairant à rouler des hanches.






mardi 4 décembre 2012

Justin rides again



Il y a toutes sortes de façons de dire "échec"  --bide, déboire, faillite, fiasco, four, insuccès, naufrage, revers-- mais abolition n'en est pas une. N'en déplaise à Justin Trudeau.

Échec veut dire qui n'a pas fonctionné alors qu'abolition veut dire qui cesse d'exister, peu importe si la chose a bien fonctionné ou pas. Par exemple, les conférences de presse hebdomadaires sur la colline parlementaire, la version longue du recensement de Statistiques Canada, les tournées culturelles à l'étranger, les mesures de calcul de dommages environnementaux... ont toutes très bien fonctionné mais ont néanmoins toutes été abolies par le gouvernement Harper.

Justin Trudeau a beau essayer de minimiser son attaque contre le registre des armes, le mal est fait, pour ne pas dire le mensonge. De controversé qu'il a pu paraître, le registre est tout sauf un échec. Les chefs de police, en ville comme en province, sont unanimes.  "Le registre a sauvé des vies et fait du Canada un pays plus sécuritaire. Nous l'éliminons à nos risques et périls", affirmait le chef de police de Toronto, Bill Blair, en février 2012.

Les statistiques sont d'ailleurs éloquentes. Les femmes tuées par leur conjoint le sont dans 72% des cas par une arme dite à épaule. Ces armes ne comprennent pas seulement les sympathiques "fusils à chasser le canard" qui ont marqué l'enfance de Justin Trudeau, mais également les armes semi-automatiques, dont le Ruger mini-14 utilisé par Marc Lépine le 6 décembre, 1989. Le registre des armes, rappelons-le, est né dans la foulée des événements tragiques de l'École Polytechnique. Il est d'ailleurs doublement curieux que le candidat à la chefferie du PLC ait choisi de s'en prendre au registre à quelques jours du 23e anniversaire du 6 décembre. Et le jour même où un footballer américain abattait sa compagne par balles, avant de se suicider devant ses entraîneurs.

M. Trudeau, qui a voté maintes fois en faveur du fameux registre, devrait pourtant savoir que, depuis son entrée en vigueur en 1991, les homicides conjugaux par fusils et carabines ont chuté de 69% et les homicides conjugaux par armes à feu (autres) de 74%. De plus, le taux global d'homicide conjugaux, tous moyens confondus, a chuté de 44%.  Illustration pertinente que moins il y a de fusils, moins il y a de violence.

Alors, échec, dites-vous? Du cafouillage dans sa mise en application, certainement, un coût sensiblement plus élevé que prévu, également. Mais encore là, un peu de perspective est de rigueur. Aux USA, la violence armée coûte 6.6 milliards par année. Au Canada, on estime que le registre des armes a épargné aux contribuables 1.4 milliard depuis 1995. Pour faramineux qu'ils puissent paraître, les coûts du registre (au-dessus de 500 millions, difficile de savoir exactement) sont quand même moindres. Notons également que le registre est consulté non moins de 17,000 fois par jour par les corps policiers.

Avant que Justin Trudeau parle d'échec, et ouvre une boîte de Pandore au sein du Parti Libéral du Canada, il n'y avait que les conservateurs pour déclamer ainsi. Il y avait beau avoir de la dissension dans les rangs libéraux et même néo-démocrates, on tenait ça mort par "principe". Car le contrôle des armes s'élève non seulement contre la violence faite aux femmes mais contre cette idée du far west qui privilégie le droit individuel (à porter une arme) sur le droit collectif (à la sécurité).

Que s'est-il donc passé dans la tête de number 1 son pour qu'il ait senti le besoin de retourner sa veste (de daim)?

Depuis qu'il a enfourché sa rossinante dans la course à la chefferie, Justin Trudeau se présente comme le grand rassembleur --des jeunes, des nouveaux arrivants, des Albertains comme des Québécois et, non la moindre, de la classe moyenne-- et carbure, pour ce faire, aux stratégies américaines. A l'instar de Barack Obama, il parle d'unir le pays en transcendant les chicanes de partis et de redonner "de la dignité à la classe moyenne".

A venir jusqu'ici, l'emprunt se tolérait, voire se justifiait. Mais de là à prétendre que le port d'armes est une question "d'identité canadienne"? De la bouillie pour les chats. Non seulement le Canada est à des années lumières de l'histoire et de la constitution américaines qui consacre the "right to bear arms", il n'y a rien de fondamental du fait de devoir, ou non, enregistrer son arme. Il s'agit d'une simple formalité, bon dieu, l'équivalent d'enregistrer son auto.

On voudrait nous faire croire à une injustice fondamentale vis-à-vis du monde rural alors que la véritable injustice concerne toutes les victimes des armes à feu, en commençant par les femmes, notamment en région dont les deux tiers sont entourées d'armes qui pourraient un jour être utilisées contre elles. D'ailleurs, selon le rapporteur spécial des Nations-Unies, les pays qui ne réglementent pas suffisamment les armes à feu manquent à leurs obligations envers les femmes, en vertu de la loi internationale.

Justin Trudeau aurait intérêt à remettre les priorités à la bonne place.