jeudi 29 novembre 2012

La question qui tue



La destitution cette semaine du maire de Toronto, Rob Ford, relève à nouveau le contraste entre Montréal et Toronto mais, cette fois, en matière éthique. D'une part, une avalanche de compromission, de collusion et de détournement de fonds de la part de (trop) nombreux ingénieurs, fonctionnaires et entrepreneurs en construction. D'autre part, un maire arrogant qui ne croit pas dans les procédures gouvernementales mais dont le seul crime, du moins pour l'instant, est de penser que les règles ne s'appliquent pas à lui.

Bien que le tempérament du maire pose problème, le fait d'avoir utilisé du papier entête de la ville pour mousser ses bonnes oeuvres est une pécadille en comparaison à ce que l'on découvre à Montréal. Non seulement le bouillant politicien n'a pas tenté de s'enrichir aux dépens des contribuables, il a été élu en 2010 "to stop the gravy train", mettre un terme aux largesses gouvernementales, le dada des populistes de droite dont M. Ford fait partie. La sévérité de la peine qui lui a été imposée ne fait d'ailleurs que creuser le fossé "moral" entre les deux métropoles.

On attend Toronto au détour, bien sûr. La ville Reine a elle aussi son cortège de mafiosos, plus redoutables encore que les nôtres, dit-on. Mais, pour l'instant, on ne décèle aucun geste déplacé. Et que dire de l'ex-pdg de SNC-Lavallin, Pierre Duhaime, les menottes au main? Une affaire qui n'a rien à voir avec la mafia et qui noircit Montréal davantage.

Alors, avant que Macleans magazine nous refasse le coup, disons-le tous en choeur : la corruption a une ville, voire une province, et jusqu'à preuve du contraire, elles se trouvent de ce côté-ci de l'Outaouais.

La question, maintenant, celle qu'on répugne à se poser, c'est pourquoi? 

Chaque fois que les médias canadiens-anglais posent la question, en tout cas, la réponse est toujours la même: le méchant nationalisme, peu importe si le fédéralisme est grandement responsable de l'avant-dernier scandale digne de ce nom (les commandites). Comme le rappelait Gérard Bouchard dans Le Devoir, le nationalisme est en fait responsable de nos plus belles réussites: l'accès à l'éducation supérieure, le degré de syndicalisation, la responsabilisation de l'État sont tous tributaires du "modèle québécois". M. Bouchard se faisait un devoir de nous le rappeler pour contrer l'effet démoralisant des révélations de la Commission Charbonneau.

En fait, il y a un énorme paradoxe dans cette juxtaposition d'ombre et de lumière. Si, comme le croyait Sigmund Freud, la civilisation est la capacité de refouler nos pires instincts pour le bien collectif, comment expliquer que nous soyons coupables d'autant de tricheries tout en ayant fait tant de belles choses?...

Une partie de la réponse doit bien résider dans l'aspect collectif versus individuel. Quand il y a un désir de réalisation collective, on est a son meilleur; quand il s'agit d'un désir purement individuel, le part du démon en chacun de nous, comme le rappelait les invités de Catherine Perrin à RC cette semaine, peut facilement l'emporter sur la part d'ange. C'est donc dire que, loin d'inviter les dérapages, la ferveur nationaliste nous garderait dans le droit chemin, plutôt que son contraire.

Mais s'il ne s'agit pas d'une tare nationaliste de quoi alors s'agit-il?

Pour avoir vécue dans les deux métropoles et, surtout, d'être passée de l'emploi de Radio-Canada (à Montréal) à celle de CBC (à Toronto), je peux témoigner des différences profondes entre ces deux mondes. D'une ville à l'autre, on ne conçoit pas la vie en société de la même façon.

Le modèle anglo-saxon est immensément plus "hands on", rigoureux ou, si vous voulez, tatillon, que peut l'être le modèle québécois. Que ce soit de la bonne façon de traverser la rue ou de mener une enquête journalistique, on est tenu sur une courte laisse à Toronto. Le sentiment qu'il y a une bonne (et mauvaise) façon de faire les choses, qu'il y a des règles à suivre, est omniprésent là-bas. À Montréal, l'improvisation, la spontanéité, le libre arbitre sont davantage valorisés, et ceux qui sortent du moule davantage applaudis. Personne, ici, va vous crier des bêtises si vous osez traverser la rue en diagonale.

Evidemment, ces traits culturels n'expliquent pas la fraude comme telle, seulement la pente savonneuse. Sans vouloir décrire le Québec comme une république de bananes, peut-être faut-il regarder du côté des pays du tiers monde pour y voir plus clair.

L'absence, dans ces pays, de tradition démocratique, de lois et d'institutions bien établies, expliquent très souvent la corruption étatique. Bien qu'on aime se décrire ici comme une des "plus vieilles démocraties au monde", l'emprise séculaire de l'Eglise catholique sur nos institutions a un peu tordu l'implantation d'une telle tradition démocratique. L'Eglise, d'abord, n'a jamais été démocratique et ses normes ne peuvent être confondues avec des lois. Jacques Languirand, je crois, en a déjà fait l'exposé. Bref, l'histoire du Québec est immensément plus cahoteuse que ne l'est l'histoire du Canada anglais. Sans prétendre avoir la réponse, peut-être y a-t-il là un élément du puzzle.

A mon avis, mieux vaut réfléchir à la "question qui tue" que se laisser assommer par l'étendue des dégâts.

mardi 20 novembre 2012

Notre Prince William à nous



Des études récentes montrent que les gens qui ont de belles gueules se font mieux traiter que les "ordinaires" parmi nous. Non seulement les regarde-t-on davantage, on les écoute plus et, surtout, on leur accorde des qualités d'intégrité et de crédibilité sans pourtant en avoir la preuve, mise à part le blanc de leurs yeux et la courbe de leurs mentons. C'est injuste mais c'est comme ça. Et Justin Trudeau, visiblement, le sait mieux que quiconque.

À le voir dimanche dernier à Tout le monde en parle, en pleine possession de sa superbe machinerie (en plus, il embellit en vieillissant, le maudit) détendu, charmant, flirtant même avec le fou du roi, Dany Turcotte, admettez-le que je suis irrésistible, murmurait son langage corporel... le fils number one de Pierre Elliott Trudeau, et candidat à la chefferie libérale, exsudait la confiance en soi.

Des deux nets avantages que Justin Trudeau possède à ce moment-ci de la course, son patronyme et son sex-appeal, il n'est pas dit que le deuxième aspect ne lui rapporte pas davantage. Le coeur des jeunes filles, c'est clair, bat la chamade, et pas seulement des jeune filles. La combinaison de ces deux formidables atouts font de JT notre Prince William à nous, le seul à prétendre à une certaine noble lignée, sans nécessairement l'avoir mérité, en plus d'être vachement agréable à regarder.

Justin a d'ailleurs donné une réponse digne de Paris Match, et de son statut de beau prince, en parlant du divorce de ses parents comme l'erreur qu'il voudrait lui-même éviter. C'était de loin la réponse la plus déroutante qu'il ait donné. Comme c'est son habitude, l'aspirant jeune chef à mis du temps à répondre, marquant le coup, nous donnant amplement de temps d'imaginer sa réponse.

"L’erreur que votre père a commise que vous ne referez pas", demande Guy A Lepage.

Il ne referait pas le coup de la taxe sur l'énergie, j'ai tout de suite pensé, vu ses efforts à reconquérir l’Alberta depuis sa nomination. Ou, mieux, il ne planterait pas un couteau dans le dos des Québécois, pour une question de constitution. La question cherchait manifestement ce genre de réponse. J’étais parfaitement dans le champ. 

"Il n'a pas su garder sa famille unie et...s'est divorcé avec ma mère", est venue la réponse.

Genre de réplique où l'on est partagé entre un certain dédain et une certaine admiration, comme lorsque sa mère Margaret est partie s’éclater, du temps qu'elle habitait le 24 Sussex, avec les Rolling Stones à New York. Une réponse à mille lieux de la tête mais assez proche, on devine, du coeur. 

J'admets faire partie de ceux qui attendent Justin Trudeau au détour. Je le vois davantage comme "le fils de sa mère", pas seulement à cause des ressemblances physiques, mais parce qu'il transpire l'émotivité bien davantage que l’intellect.  Mais j'admets aussi qu'il donne un bien meilleur spectacle que j'aurais imaginé. Non seulement son combat de boxe a-t-il été un coup de génie, le jeune loup est plus déterminé, plus capable de prendre la critique et plus engagé qu'on l’aurait cru.

Sûr, la reconstruction du parti libéral fédéral semble une tâche si gigantesque qu'on imagine mal Trudeau junior comme l'homme de la situation. Pour ne rien dire de la "substance" qui se fait attendre. Les grandes idées ne sont pas toujours au rendez-vous dans les discours de JT. Mais rendons quand même à César. En plus de sa capacité de performer, l'aspirant chef s'est approprié une idée capitale : la nécessité de miser sur la classe moyenne et ainsi réclamer le centre de l'échiquier politique. L’idée lui vient directement de la scène américaine, ça sent d’ailleurs un peu trop l’emprunt, mais rien ne dit qu'il n'y a pas du millage à faire avec ça, au nord du 49e parallèle.

Une des grandes leçons du 6 novembre est que les Américains, malgré une polarisation intense entre la gauche et la droite ces dernières années, préfèrent finalement être gouvernés au centre. Or ce qui est vrai des USA l'est davantage du Canada, de nature beaucoup moins extrême que nos voisins du sud. Malgré notre nouvel axe politique gauche-droite -- Stephen Harper au pouvoir et la nouvelle opposition NPD obligent -- il est fort à parier que la majorité canadienne est centriste dans l'âme.

En allant chercher les mêmes éléments qui ont donné la victoire à Obama, les immigrants, les femmes, les gais, c'est-à-dire en grignotant tant dans la cour des conservateurs (les immigrants) et des néo-démocrates (les femmes, les gais), en plus de faire le plein chez les jeunes et les vieux libéraux, Justin Trudeau pourrait peut-être bien remettre le PLC sur la carte sans trop de remue-méninges, encore moins l'idée de faire le pont entre les "deux peuples fondateurs" .

En le regardant faire ses pirouettes dans la cour du roi, dimanche dernier, j’ai compris que j'avais probablement sous-estimé notre jeune prince. Saura-t-il nous impressionner davantage?  Reste à voir. Ou, comme dirait son père, just watch him. Les médias, pour ne rien dire de la popularité galopante de JT, nous y condamnent, de toutes façons.

jeudi 15 novembre 2012

Le sexe qui tue



Admettez que ça change de la Commission Charbonneau. De la parade de petits hommes gris qui ont tous la même chose à dire: les enveloppes d'argent, les billets de hockey, les parties de golf, le business as usual ... qu'aucun d'entre eux n'a senti le besoin de remettre en question jamais. Déprimant. Le fait que certains disent ne pas avoir acceptés les services de prostituées (voir La Presse, 4 novembre) n'a rien pour réjouir non plus. Pour certains, il n'y avait que les "filles" de sales là-dedans. Mais l'argent?... Doublement déprimant.

Le scandale entourant les généralissimos américains nous change heureusement le mal de place. D'abord, il s'agit de héros de guerre, du fameux 1%, non pas des plus riches mais des personnes les plus influentes aux États-Unis. Le général quatre étoiles David Petraeus, qui a dû démissionner de son nouveau poste de chef de la CIA suite à sa relation avec sa pseudo-biographe Paula Broadwell, est considéré comme le plus grand leader militaire depuis les généraux MacArthur et Eisenhower. Il était vu, dit le New York Times, comme un "demi-dieu" tellement ses stratégies en Irak et en Afghanistan avaient impressionnées.

Ensuite, l'erreur fatale ici n'est pas de la simple avarice --assez banale merci, nous dit la Commission Charbonneau-- mais d'avoir mangé du "fruit défendu", ce que les Américains prennent très au sérieux. La liste de grosses gommes qui ont tombé de leur piedestal suite à des histoires de cul est particulièrement longue aux USA. Gary Hart, Bill Clinton, John Edwards, Al Gore, Eliot Spitzer, Newt Gingrich, David Petraeus... Et la liste pourrait bientôt inclure le successeur de Petraeus en Afghanistan, le Général John R. Allen, si les milliers de courriels envoyés à l'autre ravissante brunette dans cette histoire, Jill Kelley, également femme mariée accusant 20 ans de moins, et un net penchant pour l'homme en uniforme, s'avèrent concluants.

Le président américain Lyndon B. Johnson, rappelle la chroniqueure du New York Times Maureen Dowd, disait que deux choses rendaient les hommes politiques "stupides": l'envie et le sexe. Particulièrement stupide, pourrait-on ajouter, quand il s'agit de sexualité.

Il y a bien sûr tous ceux qui jugent les relations extra-conjugales immorales, mais ce n'est pas ce que Johnson voulait dire. Sauf les ultra-conservateurs, tout le monde admet que les infidélités sont dans l'ordre normal des choses ou, du moins, d'un long et tortueux séjour sur terre. Bref, ce n'est pas qu'un président des E-U ou qu'un chef des Forces armées aient eu une relation avec une autre femme (que leur légitime) qui pose tant problème. C'est l'absurdité en quelque sorte de la situation et, peut-être surtout, leur incapacité à le voir. C'est ça qui est nono.

Dans presque tous les cas, l'équation est la même: attirante jeune femme + admiration béate + homme plus vieux + pouvoir = boum.  Ce n'est pas tant une question sexuelle qu'une question de pouvoir, dans le fond. Tous ces grands hommes se retrouvent au sommet de la pyramide pour avoir outperformed, sur-performés, et ils en sont éminemment conscients. Le général Petraeus, pourtant l'opposé d'un vantard, s'est déjà présenté à un dîner à Washington avec toutes ses médailles épinglées sur son veston (de civil, s'entend). On s'habitue à déplacer plus gros que soi. Ces hommes de pouvoir s'attendent à ce que le monde les salue.

Après 38 ans de mariage, comme celui du général Petraeus, ce genre d'admiration (de la part de la "légitime") n'était sans doute plus tellement dans les cartes. Ce n'est pas par hasard, écrit Frank Bruni dans le NY Times, "si Bill Clinton a eu une relation avec une stagiaire à la Maison Blanche, Newt Gingrich avec une aide au Congrès, John Edwards avec une femme qui l'a suivi avec une caméra pour créer des mini-hagiographies de lui et Petraeus avec une femme qui a signé une biographie de lui si élogieuse que Jon Stewart s'en est moqué en disant ne plus savoir si le général était 'incroyable' ou 'franchement incroyable'."

Le fait d'être admiré par une (relativement) jeune femme, dont le pouvoir est essentiellement sexuel, peut paraître irrésistible à un homme plus vieux qui, lui, a tous les pouvoirs, sauf peut-être celui de planter son drapeau, sexuellement parlant, comme il l'entend. Ces femmes, qui veulent se rapprocher du pouvoir en le baisant, sont de véritables pièges à cons (dans tous les sens du mot) pour ces géants aux pieds d'argile.

C'est une dynamique qui crève les yeux sauf, curieusement, aux colosses qui en font partie. Bien qu'ils aient tout à perdre, ceux-ci demeurent convaincus de pouvoir contrôler la situation. C'est leur truc, après tout. Ils ne voient donc rien venir et inventent des stratagèmes un peu grossiers, tels qu'inviter Monica Lewinski directement dans le bureau présidentiel ou encore, écrire des courriels compromettants en utilisant un simple "drop box", comme l'ont fait le général et son paramour.

Les tragédiens grecs ont un bien beau mot pour décrire l'homme plus grand que nature qui se plante par orgueil: hubris. Celui qu'on dénommait le "moine guerrier", David Petraeus, en est un autre bel exemple. Et, contrairement à ce qu'on peut penser, sa chute n'a pas été causée, cette fois, par le puritanisme américain. Tout indique qu'on avait l'intention d'ignorer sa liaison illicite. Non, le général a été défait à cause du dénommé agent shirtless, l'agent du FBI a qui Jill Kelly, la sirène # 2 dans cette histoire, a parlé des courriels menaçants qu'elle recevait de Paula Broadwell. Mme Kelley connaissait cet agent qui lui avait déjà envoyée des photos de lui... torse nu!

Une histoire de cul (ou deux) qui donc commence, à ses tortueux débuts, par une autre simili histoire de cul, pour ensuite retontir, à tort, entre les mains d'un congressman républicain revanchard, qui lui avertira la tête du FBI... avec les conséquences qu'on connaît.

Les Grecs auraient un fun noir avec ça.

lundi 5 novembre 2012

Mauvaise blague



Fort mauvaise blague que ce jugement d'outrage au tribunal émis contre Gabriel Nadeau-Dubois. Quelqu'un devrait avertir l'honorable Denis Jacques qu'il y a eu (grâce justement au mouvement étudiant) élection au Québec, que les Libéraux ont perdu et que les méthodes dures préconisées par le PLQ, notamment la loi 78 et l'appel aux tribunaux, ont non seulement été condamnées par le Barreau du Québec mais rejetées par la majorité des Québécois. Bref, plusieurs choses ont changé depuis le moment où la requête du tristement célèbre Jean-François Morasse, l'étudiant en arts plastique qui s'est présenté deux fois plutôt qu'une devant les tribunaux, lui a été soumis.

À lire son jugement, on se croirait six mois derrière, alors que le gouvernement Charest voulait à tout prix faire croire que les étudiants, et plus précisément Gabriel Nadeau-Dubois, constituaient une menace à l'ordre établi. Le juge Denis Jacques reprend les mêmes termes acrimonieux en accusant l'ex-porte-parole de la CLASSE de "prôner l'anarchie et encourager la désobéissance civile". Sans se sentir le moindrement obligé d'en faire la démonstration, par ailleurs.  

On comprend l'intention de porter ce jugement en appel, surtout après avoir lu les 20 pages en question. En plus de faire fi des changements survenus au Québec, ce jugement est une insulte à l'intelligence et, on l'espère, au droit comme tel.

Laissons de côté, pour l'instant, le fait que le juge Jacques, pressenti comme candidat libéral en 2004, a des accointances avec le PLQ. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment sa nomination à la Cour supérieur s'est faite (avec ou sans post-it ?..), mais c'est pour un autre jour.

Laissons de côté aussi le fait qu'il beurre épais avec sa citation de John F. Kennedy ("le déni de la loi est le chemin le plus sûr vers la tyrannie") étant donné que le président américain défendait, ici, le droit d'un protestaire, James Meredith, premier Noir à fouler le sol d'une université ségrégationniste en 1962. L'université du Mississippi voulait évincer Meredith et il a fallu qu'il soit accompagné par des policiers pour être admis. Kennedy craignait qu'il y ait de la violence contre l'étudiant téméraire et, dans un discours à la radio,  invoque le respect des nouvelles normes antiségrégationnistes, et non pas l'application coûte que coûte de la loi.

C'est pas parce qu'on est juge, faut croire, qu'on sait décoder les événements qui nous entourent.

Passons aussi sur la litanie de citations qui cherche à démontrer comment l'outrage au tribunal "vise à garantir la primauté du droit sur l'arbitraire." Vu le détournement de sens fait des mots de Kennedy, ces citations ne sont guère convaincantes en plus d'être prises hors contexte.

Venons-en à l'essentiel et, surtout, à ce que le juge Jacques ne dit pas.  

D'abord, que l’outrage au tribunal est "la seule occasion en matières civiles où la peine d’emprisonnement est applicable" (voir http://www.faitsetcauses.com/2012/11/01/gnd-apres-loutrage-au-tribunal-lamende-ou-la-prison/). C'est donc extrêmement grave comme accusation et ne peut être portée qu'avec beaucoup de discernement. L'outrage au tribunal exige que la preuve soit faite "hors de tout doute raisonnable", le magistrat devant démontrer de façon indubitable que l'accusé avait comme intention de miner "l'autorité et la dignité de la cour."

Le juge Jacques ne fait absolument pas cette démonstration. Il admet, d'ailleurs, que l'ordonnance d'injonction, obtenue par Jean-François Morasse, le 12 avril 2012, n'a pas été "signifiée", c'est-à-dire remise en mains propres, à Gabriel Nadeau Dubois, la seule façon d'être absolument sûr de la transmission d'informations. C'est pour ça que les huissiers existent.

Il admet aussi que l'Association des étudiants en arts plastiques qui, elle, avait copie de l'ordonnance, ne l'a pas transmise au porte-parole de la CLASSE, non plus. Le juge déduit seulement que, vu les propos tenus à RDI, Gabriel Nadeau-Dubois devait connaître l'ordonnance. C'est ce qu'on appelle faire les coins ronds.

Interrogé à RDI le 13 mai 2012, GND dit regretter le manque de solidarité de certains étudiants devant la "volonté démocratique qui s'est exprimée à travers le vote de grève." Il poursuit: "je crois qu'il est tout à fait légitime pour les étudiants et étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d'aller en grève."

Non seulement ces propos ne reflètent pas "hors de tout doute" la connaissance de l'ordonnance du 12 avril, il s'agit d'une opinion personnelle ("je crois") et non, comme le maintient le juge Jacques, une incitation "à contrevenir" à l'ordonnance. Comme dit un commentateur du site juridique Faits et Cause: "Est-ce légal pour un juge de travestir les propos de l'accusé?"

De plus, le juge justifie son accusation d'incitation à contrevenir à la loi en contrastant, à trois reprises, les propos tenus par Gabriel Nadeau-Dubois avec ceux de son confrère Léo Bureau-Blouin, alors leader de la FECQ et également interviewé à RDI ce jour-là.  M. Bureau-Blouin, on le sait, a toujours été considéré le leader étudiant le plus modéré. Ce qu'on sait moins, et ce que de toute évidence le juge ici ignore, c'est que LBB ne voulait pas de cette grève, qu'il y a été forcé par ces propres membres, près d'un tiers de son membership l'abandonnant par la suite en faveur de la CLASSE, vu la mollesse de direction à la FECQ.

Léo Bureau-Blouin peut difficilement être considéré un modèle pour comment mener la grève, vu son préjugé favorable pour le maintien des cours.

Ce qui m'amène à la lacune la plus criante de ce jugement : nulle part admet-on le droit de mobilisation ou d'assemblée des étudiants. Alors qu'un jugement antérieur précise que "le Tribunal ne discute pas le droit de certains étudiants de soutenir et de participer au boycottage des cours", le juge Jacques, lui, se contente d'affirmer que "le droit de grève étudiant ne trouve assise dans aucune loi". 

De là à traiter Gabriel Nadeau-Dubois de méchant anarchiste, il n'y a qu'un pas, franchi ici allègrement. En disant vouloir "sauvegarder la confiance du public en l'administration de la justice", le juge Jacques vient, au contraire, de la miner. 

En attendant que la Cour d'appel se prononce sur ce jugement éhontément biaisé, il y a urgence pour le nouveau gouvernement, ainsi que pour le Barreau du Québec, d'éclaircir le statut légal des associations étudiantes. Au même titre que les syndicats, leurs droits de protestation et de mobilisation doivent être reconnus. Ceux et celles qui nous ont redonné le goût de se tenir debout méritent mieux que de croupir dans un flou juridique.