jeudi 30 août 2012

La transexualisation de la politique


Pauvre Isabelle Brais.  La femme de François Legault est forcée, depuis quelques jours, de battre le trottoir aux côtés de son aspirant Premier ministre de mari. Politique oblige.

«Aujourd'hui, je suis presque obligée d'être à ses côtés», a-t-elle confié à la Presse canadienne. Obligée de faire une Michou ou une Ann Romney d'elle-même, c'est-à-dire de se plier au douteux jeu politique qui consiste à sortir les épouses du placard afin "d'arrondir les angles" de leur pas-très-douce moitié.

Un peu insultant pour la gent féminine, c'est sûr. À voir l'air crispé de Mme Brais sur les photos, on soupçonne qu'elle le pense aussi. Après tout, on n'est plus aux temps où la politique était la chasse gardée d'hommes blancs hétéros de classe moyenne devant prouver leur "métal" en brandissant la légitime épouse. L'équivalent de tirer un lapin d'un chapeau, l'apparition de la "petite dame" (toujours visiblement admirative de son homme) était le signal magique que le politicien devant vous avait  1- une vie sexuelle "normale"  2- un coeur  3- une famille. Du bon stock, quoi.

Nous ne sommes plus au temps où l'univers des femmes était essentiellement affectif et ceux des hommes se résumait à celui du travail, mais à voir la prestation très attendue d'Ann Romney, épouse du candidat républicain à la présidence, on pourrait s'y méprendre.

"Tonight, I want to talk to you about love", a déclaré Mme Romney devant la convention républicaine. Non seulement ça suintait les bons sentiments, Mme Romney, qui a consacré sa vie à élever sa famille (5 enfants, 18 petits-enfants), n'a pas tant "humanisé" son Mitt que ramené les bons vieux stéréotypes qui nous ont longtemps encarcanés. Femme = courage et émotion. Homme = force et intellect. Femme = second plan. Homme = premier plan.

La suivant au podium, le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, a vite fait de montrer de quel bois il se chauffe, lui: "Je crois que nous nous laissons paralyser par notre besoin d'être aimés", a-t-il dit. Et v'lan dans les gencives.

Comme démonstration de la faiblesse, pour ne pas dire l'ineptitude, de l'univers féminin (que venait d'étaler à grand renfort d'accordéon, Ann Romney),  c'est dur à battre. So much for love, et les femmes de politiciens jouant les âmes romantiques.

Comment se fait-il qu'on en est encore là? À exiger des femmes de politiciens qu'elles jouent les chiens de faïence alors que les maris de politiciennes, eux, brillent par leur absence? On aperçoit bien de temps en temps un Claude Blanchet, mari de Pauline Marois, à ses côtés, mais il n'est pas envoyé en commando pour masculiniser ou "dés-humaniser" l'aspirante Première ministre. Faut dire que Mme Marois est suffisamment tough comme c'est là.

Ce qui m'amène au coeur du sujet: la transexuelisation de la politique.

La politique est plus compliquée à gérer aujourd'hui du fait qu'on y retrouve des femmes aussi bien que des hommes. L'électorat est, par conséquent, lui aussi plus complexe.

La présence des femmes veut dire que les hommes politiciens ne peuvent plus se contenter d'étaler leur gentille épouse, au moment approprié, afin de passer le test de l'homme "complet". Les femmes --qui ont désormais, non seulement le droit de voter, mais leurs propres opinions et priorités-- doivent pouvoir s'identifier au politicien en question. N'en déplaise à François Legault, ça n'a rien à voir avec "la peur du changement". Ça à voir avec ne pas aimer ce que propose le gars au podium (ou encore, la face du gars).

A venir jusqu'à maintenant, les politiciens n'ont trouvé rien de mieux pour séduire l'électorat féminin que de s'enrubaner de leur légitime épouse, peu importe (comble de mauvais télé-théâtre) s'ils ne vivent plus ensemble. Ce serait le cas, veut la rumeur, d'un certain Premier ministre très en vue ces temps-ci.

Les femmes qui se présentent en politique n'ont pas la partie facile pour autant. Bien qu'elles attirent une certaine sympathie chez l'électorat féminin, elles ont besoin que les hommes les prennent au sérieux, en commençant par l'establishment politique auquel elles aspirent. La politique, comme le génie et la physique nucléaire, demeure un monde d'hommes. Elles doivent non seulement plaire à l'électorat (d'abord masculin mais les femmes sont à convaincre aussi), elles doivent constamment prouver qu'elles méritent de prendre la place d'un homme.

Peu surprenant, alors, que les pionnières politiques (Indira Ghandi, Golda Meir, Margaret Thatcher, Lise Payette, Lise Bacon, Hillary Clinton, Pauline Marois, Manon Massé...) soient un peu, assez, beaucoup masculines. Dans leurs cas, ça ne prend pas juste de l'ambition, ça prend un front de boeuf pour atteindre le podium. Le problème, c'est que ça ne donne pas toujours de bons résultats.

Prenons Pauline Marois, la femme qui voudrait devenir, d'ici quelques jours, première Première ministre du Québec. Comme le souligne le portrait d'elle dans l'Actualité, il y a un décalage entre la Marois au naturel et la Marois sous les feux de la rampe. En plus de ne pas être capable de se faire une idée rapidement (pas nécessairement un problème féminin), Mme Marois a tendance à se betonner pour mieux affronter la meute. Bref, elle en met trop. Elle apparaît plus dure, chicaneuse et agressive qu'elle l'est réellement. Tout ça la dessert énormément. 

Alors que les hommes politiques ne sentent pas du tout qu'ils ont a changé de personnalité pour mieux séduire l'électorat (féminin ou autre), beaucoup de politiciennes, surtout plus vieilles, plus enclines à douter (comme Pauline Marois) d'elles-mêmes, font de la surenchère de peur d'avoir l'air trop molle, faible, voire d'une femme. Le problème c'est que, loin d'augmenter leur capital de crédibilité et de sympathie, cette transformation, toute inconsciente qu'elle soit, leur en enlève.

A mon avis, le problème "transgenre" de Pauline Marois est malheureusement une des raisons pour lesquelles elle n'obtiendra pas la majorité qu'elle souhaite, lundi prochain. 

jeudi 23 août 2012

Les nonos qu'on mérite



Deux pays. Deux campagnes électorales. Deux bourdes gargantuesques.

Au Québec, le maire de Saguenay Jean Tremblay a sommé la candidate péquiste Djemila Benhabib, ardente promotrice d'une charte de la laïcité, de se taire. "C'est pas la charte comme telle, a-t-il dit. C'est de voir une personne, je ne suis même pas capable de prononcer son nom, d'Algérie, qui ne connaît pas notre culture, mais c'est elle qui va dicter les règles".

Aux États-Unis,  le représentant républicain du Missouri, Todd Akin, s'est distingué, lui, par sa méconnaissance grossière de la biologie, pour ne rien dire du viol. "Si c'est un véritable viol,  a-t-il affirmé, le corps de la femme a des moyens pour arrêter la machine et ne pas tomber enceinte".

Dans les deux cas, la bêtise est à ce point consommée qu'il est tentant de n'y voir que du feu. C'est-à-dire de mettre ça sur le compte des nonos de ce monde, point à la ligne. Mais ce serait une erreur. On a, après tout, les nonos qu'on mérite.

Le parti républicain a beau se dissocier des propos de Todd Akin, le pousser même à céder sa candidature, l'incident n'est pas si exceptionnel. D'autres républicains ont contribué à répandre le mythe des faux viols, comme des ressorts mystérieux du corps féminin. Le conservateur du North Dakota, Henry Aldridge, par exemple, croit que "le jus ne coule pas" chez les femmes "légitimement" violées. Un autre, Stephen Freind, croit que les femmes violées "secrètent une certaine sécretion" pour empêcher la grossesse.

Au-delà des commentaires farfelus, il y a le parti républicain lui-même qui de plus en plus "célèbre l'ignorance" que ce soit par rapport à la théorie de l'évolution, les changements climatiques ou, encore, l'avortement*. Il y a surtout un parti qui, avec l'arrivée en force des membres du Tea Party en 2010, a été extraordinairement éfficace à faire reculer le droit à l'avortement dans bon nombre d'états américains.

Depuis 2011, pas moins de 124 propositions législatives, un record, ont restreint la pratique de l'avortement. Le Mississippi, par exemple, est passé de 14 cliniques d'avortement en 1980 à une seule aujourd'hui. Pour plus de la moitié des femmes américaines, il est difficile d'obtenir un avortement à l'heure actuelle. Alors, peu importe si la bévue de Todd Akin lui coûtera son poste ou non, la "guerre contre les femmes", menée tambour battant par le Grand Old Party, persistera.

Au Québec, on a peine à imaginer un tel sexisme. Bien qu'on se demande si la charge du maire Tremblay contre Mme Benhabib ne s'en inspirait pas quand même un peu, le problème ici est davantage la xénophobie, la peur de l'Autre plutôt que la peur des femmes. Et M. Tremblay n'est pas, lui non plus, unique dans son genre.

Les Québécois qui croient, à l'instar de Mario Dumont et Richard Martineau, que nous sommes trop "mous" face aux cultures étrangères se font de plus en plus remarqués. Pensons au député péquiste André Simard qui se plaignait le printemps dernier de la pratique de boucherie halal, ce qui ne correspond pas, selon lui, "aux valeurs québécoises".

On pense aussi à Pauline Marois qui pas plus tard que cette semaine voulait exiger la connaissance du français à tout candidat aux élections scolaires, municipales ou provinciales. Mesure qui aurait créé deux classes de citoyens: les citoyens francophones, au-dessus de tout soupçon, et les autres. Heureusement, une loi interdit une telle discrimination envers les anglophones et allophones, comme a vite fait de le rappeler Jean-François Lisée.

On pense finalement à cette absurde charte de la laïcité proposée par le PQ qui interdirait "tout signe religieux ostentatoire", tout en permettant les crucifix de l'Assemblée nationale et ailleurs. Deux poids, deux mesures: une pour les citoyens majoritaires (chrétiens), une autre pour les minoritaires (musulmans, juifs ou autres). Comme écrit Michel C. Auger sur son blog: "La laïcité n’est pas le droit du gouvernement d’interdire l’expression des croyances religieuses des citoyens. C’est le droit des citoyens de vivre en sachant que l’État ne prendra pas parti pour une religion contre toutes les autres".

Or, la charte proposée par le Parti Québécois fait exactement le contraire. Notez le saut particulièrement périlleux qui consiste à invoquer "l'égalité hommes-femmes" pour justifier l'interdiction de signes religieux (autres que ceux de la majorité). En d'autres mots, par peur du sexisme, il faudrait verser dans la xénophobie. C'est ce qu'on appelle se tortiller le derrière pour chier droit.

mercredi 15 août 2012

François Legault et la planète Mars



Plus de six mois maintenant que les jeunes se mobilisent, prennent la rue, discutent en assemblée, parlent aux médias, organisent des camps de formation, pétitionnent les tribunaux, imaginent (avec l'aide de certains grands poètes) des slogans : "Nous sommes les bêtes féroces de l'espoir"...  Un véritable tsunami d'activités et de débats auxquels se sont intéressés de grands quotidiens comme Le Monde et le New York Times (et jusqu'au Paris Match!).

Rien d'autre de ce qui s'est passé au Québec depuis le dernier référendum a su attirer autant d'attention. Et tout ça, grâce aux "jeunes". Grâce à eux, nous avons eu l'impression de vivre au coeur des événements, d'être au centre du monde. La fameuse phrase de René Lévesque, "on est pas un p'tit peuple, on est quelque chose comme un grand peuple", prenait tout son sens tout à coup. Du courage, de la détermination, de l'éloquence... en voulez-vous en v'là.

Il était où François Legault pendant ce temps-là? Sur la planète Mars?

Depuis deux jours, le caquiste en chef accuse les jeunes Québécois de vouloir faire "la belle vie", les traitant de fainéants comparés à leurs vis-à-vis asiatiques, critiquant leurs "valeurs" et  leur "méfiance face à la notion de productivité". S'il fallait encore une preuve que le nouveau parti politique n'a d'yeux que pour ce qui fait tourner l'économie, la voilà.

D'ailleurs, les portraits-robots publiés aujourd'hui dans La Presse démontrent que la CAQ est le parti des hommes d'affaires par excellence. On croyait le Parti libéral prostré à cet autel mais, non, le parti de François Legault (un comptable agrée, après tout) compte déjà beaucoup plus de fidèles: 49% de ses membres viennent du milieu des affaires (contre seulement 27% au PLQ) et 78% sont des hommes. Ça n'en fait de la cravate ça, Madame.

On pourrait donc dire que plus on sait compter (et encore, les promesses électorales de Legault ne tiennent pas nécessairement la route), moins on sait écouter ou observer. Comme le rappelait certains commentateurs cette semaine, les jeunes Québécois n'ont jamais été aussi scolarisés, ni aussi nombreux à détenir un emploi, tout en étudiant. Comme les Asiatiques poussés dans le dos par leurs parents (ce dont nous parle François Legault), ils se fendent en six pour arriver.

La jeunesse nous a également démontré, ce printemps toujours, qu'elle avait quelque chose de plus précieux que de l'ambition, elle avait de l'idéal: le goût d'améliorer les choses, pas seulement pour elle-même, mais pour tout le monde.

Comment se fait-il que François Legault ne voit rien de ce qui crève les yeux en ce moment?

Après avoir renié son propre idéal de souveraineté, M. Legault fait la sourde oreille à tous les autres débats d'idées qui surgissent actuellement. A l'instar du regrettable ADQ, il a créé un parti du ni-ni: ni fédéraliste, ni souverainiste, ni à gauche, ni à droite. Le parti de la tirelire, ni plus ni moins, sans véritables idées sauf celle de l'efficacité et de la rentabilité. M. Legault a beau faire ses petites génuflexions aux stations politiques d'usage --la santé, l'éducation, l'environnement, la culture-- son seul vrai projet est de "dégraisser" l'Etat et d'inciter à la productivité.

Cette rengaine de la rentabilité est d'ailleurs renforcée par le formidable Dr. Barette qui, gourmand en toute chose, veut voir les médecins prendre de plus grosses bouchées au travail. Sans le dire tout haut, l'ex-président des médecins spécialistes croit que les femmes omnipraticiennes sont en train de donner un bien mauvais pli à la profession, avec cette fâcheuse manie qu'elles ont de vouloir s'occuper de leur famille et, donc, de réduire leurs heures de travail. Le Dr. Barrette voudrait revenir au bon vieux temps.

Encore une fois, ce n'est pas voir ce qui se passe en société, ni comprendre ce qu'il faut faire pour s'adapter aux nouvelles réalités. Pourtant friands de réformes, ni François Legault ni son candidat vedette Gaétan Barrette ont vu que la vraie réforme à entreprendre c'est la transformation du monde du travail: une vraie conciliation travail-famille où les employeurs ne se sentiraient pas lésés et les parents, coupables. En voilà une réforme qui en vaudrait la peine.

Mais il ne faut peut-être pas trop en demander à un parti qui a décidé de vivre sur sa petite planète à lui. Peu surprenant, d'ailleurs, que certains électeurs l'aient rebaptisé le Couac.

mercredi 8 août 2012

Voter utile ou voter heureux




Vous avez lu Bernard Emond dans Le Devoir[1]? Vu Yann Perreault sur Youtube[2]? À tout le moins entendu Gilles Duceppe fustiger Amir Khadir d'avoir voté NPD aux dernières élections fédérales [3]?...

A 28 jours du prochain jour de scrutin, les voix s'élèvent pour inciter les gens à ne pas "diviser le vote", à voter utile, comme on dit, et enfin éjecter Jean Charest de derrière son volant. Comme d'habitude, le cinéaste Bernard Emond s'est montré particulièrement éloquent:

"... il faut voter comme si c’était le deuxième tour. C’est Charest ou Marois, comme en France en mai dernier c’était Sarkozy ou Hollande. Et rappelez-vous les présidentielles françaises de 2002, c’était Le Pen ou Chirac. La gauche a voté Chirac. Toute la gauche, en bloc. C’était une question de salut national. Je crois que nous en sommes là. L’élection sera trop serrée pour risquer de perdre une seule circonscription aux libéraux à cause de la division du vote progressiste. Nous porterons la responsabilité de notre choix."


Yann Perreault soigne moins son vocabulaire mais dit sensiblement la même chose: Québec Solidaire, Françoise David, tout ça c'est bien beau mais "cette fois-ci, on niaise plus, on s'en va PQ, on sort Charest", dit le chanteur-auteur-compositeur-interprète.

Maudit dilemne, si vous voulez mon avis. Le "salut national" versus sa conscience. Comment choisir? La question à se poser, en fait, est la suivante: La démocratie est-elle plus mal servie en se tapant Charest encore quatre ans (pour cause de division du vote) ou l'est-elle davantage en taisant ses préférences politiques?

Il me semble que tous ceux qui pourfendent la division du vote ne se préoccupent pas suffisamment de la deuxième partie de l'équation. En fait, ils ne voient pas pourquoi on voterait Québec Solidaire, Option Nationale ou Parti Vert quand on a déjà un parti passablement solidaire, bien national et un petit peu vert. C'est-à-dire le PQ. En d'autres mots, ils ne prennent pas très au sérieux --du moins est-ce mon impression-- les velléités de voter pour un (petit) parti "progressiste souverainiste", comme s'il s'agissait d'une simple vue de l'esprit.

Tous ceux qui ne voient pas de réelles différences entre le PQ, QS, ON ou encore, PV, devraient sans doute voter pour le Parti Québécois. D'autant plus que le risque de cette élection n'est pas seulement celui d'un autre mandat libéral mais celui d'un premier mandat caquiste. La division du vote pourrait aussi avoir ce résultat-là.

Mais pour tous les autres? Pour tous ceux et celles qui ne se sentent pas représentés par le Parti québécois, qui ont à coeur une autre façon de faire de la politique ou simplement des causes que le PQ n'a pas toujours bien défendues (l'environnement, les ressources naturelles, la répartition de la richesse et même, l'éducation), n'ont-ils pas le devoir, au contraire, de voter avec leur coeur? De ne pas abandonner leurs idéaux précisément au moment où ça compte le plus?

On parle beaucoup de Charest et du cynisme qu'il propage mais il y a d'autres raisons au cynisme ambiant : il y a la camisole de force qu'est notre système électoral qui nous oblige de compter avec nos doigts plutôt qu'avec nos valeurs, de miser sur le court terme plutôt que le long terme, de prendre au sérieux un parti de transfuges dont l'ambition première est le bricolage d'Etat, et de s'abstenir de prendre position, tout en prétendant incarner le "changement."

Mais si c'est le (vrai) changement qu'on veut, alors où est-ce qu'on commence?  Ne faut-il pas d'abord donner un coup de pouce à ce qui commence, justement? ("Je suis arrivé à ce qui commence", écrit Gaston Miron, repris lors du printemps érable). Ne faut-il pas prendre le risque de parier, non pas sur ce qui fonctionne déjà mais sur ce qui ne fonctionne pas encore, sur un idéal plutôt que du tout cuit dans la bouche?

Une société qui ne mise pas sur l'idéal, c'est-à-dire l'espoir de quelque chose de meilleur, a-t-il même un avenir?

Quiconque a vu l'extraordinaire vidéo de Catherine Dorion, comédienne, mère d'un adorable bébé et candidate pour Option Nationale, sait ce que je veux dire: http://www.youtube.com/watch?v=yENc7zsPxUY . Enfin, une énergie, une parole, un entregent auxquels on peut croire. Il serait immensément dommage, pour tout progressiste souverainiste s'entend, de rayer cette dynamo de la carte par simple calcul électoral immédiat. 

Bref, pourquoi voter utile quand on peut voter heureux?


[1] http://www.ledevoir.com/politique/elections-2012/356027/il-n-y-aura-pas-de-deuxieme-tour-aux-elections-quebecoises
[2] http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/08/04/yann-perreau-appuie-pq_n_1741633.html

[3] http://www.lapresse.ca/le-soleil/dossiers/elections-quebecoises/201208/03/01-4562191-gilles-duceppe-se-livre-a-une-charge-virulente-contre-amir-khadir.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4562196_article_POS1

jeudi 2 août 2012

Élection: les chefs et leur style



"Ton style, c'est ton cul", chantait Ferré dans une autre de ses envolées fameusement sexistes. N'empêche que la phrase résume bien le phénomène: le style, c'est ce qui nous définit, c'est l'essence d'une personne. C'est parfois des habits mais c'est surtout une attitude, une façon de se comporter, de s'incarner aux yeux des autres.

Au jour 2 de la campagne (tant attendue), le style des trois chefs en tête de peloton frappe bien davantage que leurs thèmes, slogans ou discours électoraux. Jean Charest? Son style c'est son culot, sa grosse voix et sa dégaine de shérif. Définitivement celui qui a le plus de style à venir jusqu'à maintenant.

M. Charest a toujours aimé la bagarre, c'est un politicien à son meilleur, dit-on, en campagne électorale. Il l'a prouvé à nouveau lors de son assemblée d'investiture mais, cette fois, en augmentant les décibels. L'avait-on déjà entendu crier si fort? Jean Charest est en train de devenir le politicien le plus macho de récente mémoire. Tassez-vous, c'est Johhny Boy qui passe.

On se souvient d'ailleurs des invectives de M. Charest à l'égard de Pauline Marois: une femme incapable "de se tenir debout", avec "du jello dans la colonne vertébrale". La manoeuvre est grosse comme l'amphithéâtre (à venir) de Québec  -"Moi, Tarzan, toi, faible femme"- mais Charest a ici une stratégie claire et nette alors que son adversaire #1, elle, n'a qu'un programme électoral.

La stratégie machiavélique, éhontée, sans vergogne mais néanmoins efficace de Charest est de se positionner comme le bouncer de nos "institutions démocratiques", le gardien de l'ordre devant le "chaos" de la rue. Depuis le temps qu'on le voyait manipuler les étudiants, voilà que les jeux sont faits.  Charest a compris que les enjeux de la crise étudiante sont au moins aussi importants (pour une fois, le chel libéral et les étudiants se rejoignent) que celui de la corruption. Il a trouvé une façon d'escamoter ses propres dérapages en invoquant ceux "de la rue", et en y associant sa principale adversaire. C'est cynique, tordu, intellectuellement malhonnête et sexiste sur les bords. Mais c'est tout un plan. S'il obtient un cinquième mandat, Jean Charest pourra légitimement clamer être le Louis Cyr de la politique québécoise.

Pauline Marois, malheureusement, ne fait pas le poids. Dans la guerre d'image, s'entend. D'abord, elle a le ton de quelqu'un qui récite ses leçons. Assurée, certes, mais sans grande conviction. Jean Charest a toujours l'air de se croire parfaitement, même quand il nous ment en pleine face. Pauline Marois semble jamais tout à fait sûre d'elle, même quand il s'agit d'importantes propositions (les élections à date fixe, par exemple). Comme si toutes ses idées lui avaient été soufflées. Vrai ou pas, elle semble très influençable alors que Charest, pas du tout.

Est-ce le fait d'être une femme? Ou, plutôt, une femme d'un certaine génération? Sans doute un peu mais le problème de Pauline Marois est surtout ailleurs. Elle ne semble pas avoir d'inspiration profonde par rapport au parti qu'elle dirige ou la société dans laquelle elle vit. Sa ténacité est indéniable par rapport à défendre son propre carré de sable mais pour défendre des idées ou une direction politique, on repassera. Le meilleur exemple? La crise étudiante.

 Je ne suis pas de ceux ou celles qui trouvent que Mme Marois a manqué de jugement en adoptant le carré rouge. Son erreur n'était pas de le mettre mais de l'enlever aussi précipitamment qu'elle l'avait mis. En d'autres mots, de ne pas savoir quoi faire avec le fameux carré. (Le vidéo d'elle battant la casserole illustre d'ailleurs cette incertitude à merveille). L'occasion était là pour elle de reprendre toutes les questions posées par la crise étudiante --de la façon que nous sommes gouvernés au rapatriement des richesses naturelles, de l'égalité des sexes à  la hausse des frais de scolarité en passant par les autochtones-- et de nous convoquer à une deuxième Révolution tranquille.

Devant un chef "usé et corrompu", devant surtout des enjeux sociaux et politiques qui, depuis 50 ans, n'ont jamais interpellé autant, Mme Marois aurait pu en appeler à une refonte en règle de nos institutions, à une ère nouvelle. Mais de la crise étudiante, elle semble retenir que la pointe de l'iceberg, les frais de scolarité, qu'elle s'empresse de classer parmi une pléthore de revendications sur lesquelles, d'ailleurs, elle ne semble pas trop vouloir s'avancer (notamment, le référendum).

Si Jean Charest est l'homme du coup de poing sur la table, Pauline Maris est la femme
des petites bouchées.  Elle nous offre un beau plateau de sandwichs en forme de coeur mais, vu les circonstances, on reste sur notre appétit.

Et François Legault? Il a l'air d'un homme qui vient de gagner la 6/49. Super content, en d'autres mots, mais un peu nerveux pour ce qui est de la suite. M. Legault qui a multiplié les erreurs en façonnant son parti (dont celui de voter en faveur de la loi 78) a par ailleurs compris une chose: la corruption est la seule chose qui le distingue franchement de Jean Charest. Il a intérêt à frapper sur ce clou, ce qu'il fait d'ailleurs fort bien. Pauline Marois devrait prendre bonne note. Ce genre d'attaque pourrait s'avérer essentiel pour contrer la stratégie d'enfer de Charest.